Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef
Talentueux, infatigable. M’hammed Kilito est un jeune photographe marocain qui a tout laissé derrière lui pour se consacrer à sa passion : la photographie. Le jeune artiste a sillonné les villes marocaines, en quête du déterminisme social, mais aussi de cet humain qui habite un pays à la fois homogène et hétérogène avec toutes ses transformations et changements. Né en Ukraine, M’hammed Kilito grandit au Maroc jusqu’à ses 18 ans avant de s’envoler au Canada où il a fait ses études de photographie à l’École d’Art d’Ottawa et le cinéma à l’Université de Montréal. M’hammed Kilito dévoilera ses œuvres à la Biennale Internationale de Casablanca qui se tiendra du 27 octobre au 2 décembre 2018. Rencontre.
Al Bayane : Une question classique : qui est M’hammed Kilito?
M’hammed Kilito : Je suis un jeune photographe qui s’est installé au Maroc il y a trois ans, et qui a décidé de se consacrer exclusivement à la photographie. J’ai vécu à peu près 6 ans à l’étranger. Du coup, j’étais un peu déconnecté de la scène culturelle et artistique marocaine… Par la suite, j’ai commencé un nouveau travail en exposant dans plusieurs endroits. Mon parcours n’est pas très classique. Mon travail photographique s’inspire de mes études en sciences politiques. Je fais ce que je m’appelle la démarche de la sociologie visuelle. Je m’intéresse à un concept de la sociologie politique. Pour le projet dessiné, j’ai beaucoup travaillé sur les œuvres de Pierre Bourdieu, Durkheim, Mark Alan Webber. Pour dessiner, j’ai tout simplement essayé de comprendre à quel point le Marocain a le contrôle de sa vie, à quel point la société lui impose des décisions à prendre. En effet, ce que je fais, c’est de photographier les gens dans leur travail actuel et je leur demande ce qu’ils voulaient être quand ils étaient plus jeunes. Par la suite, j’ai fait les mises en scène et j’ai quelque part monté un diptyque de ces photos accompagné d’une installation sonore en essayant de donner l’occasion à ces gens de s’exprimer.
Vous êtes nés en Ukraine, vous avez grandi au Maroc, à Rabat, ensuite vous êtes allés au Canada… Des années plus tard, vous êtes revenus au Maroc pour y vivre et travailler. Est-il un retour aux sources? Car, la plupart des jeunes « rêvent» de quitter le pays à la recherche d’opportunités sous d’autres cieux. Pourquoi ce choix?
C’est très simple parce que à chaque fois que je pensais à des projets créatifs, ma culture me rattrapait… et c’était forcément le Maroc. Ce pays est très riche en contrastes sociaux. Au Maroc, il y a énormément de différences entre le monde rural et le monde urbain. Il y a des gens très libéraux et bien d’autres qui sont conservateurs. Donc, j’ai beaucoup travaillé sur ces questions qui m’interpellent. Le Canada est un pays qui est très riche. En effet, tout le monde est beau, et quand tu sors dans la rue il ne se passe pas grand-chose. Or, le Maroc est un pays très agité, il se passe énormément de choses tous les jours. Un pays qui est visuellement très intéressant avec une lumière incroyable. Je suis venu un jour pour des vacances et puis, je suis resté parce que j’ai constaté qu’il y a beaucoup de choses à faire au Maroc. Bref, le terrain pour un photographe comme moi est relativement vierge.
Vous avez travaillé sur le déterminisme social dans votre dernière exposition qui s’est déroulé en 2017 à l’Institut Français de Rabat. Qu’en est-il du déterminisme social au Maroc?
Le déterminisme social au Maroc, selon le petit échantillon des gens sur lesquels j’ai travaillé, a montré que plusieurs gens ont pu réaliser leurs rêves et d’autres n’ont pas pu y arriver. Et souvent je pense que l’ascenseur social ne fonctionne pas vraiment au Maroc. Il y a eu des gens que j’ai rencontrés qui n’ont pas de choix dans leur vie. Le conditionnement social impose un chemin qui n’est pas celui qu’on voudrait.
Pourquoi alors le format carré?
Le format carré parce que tout simplement je travaille souvent en argentique, et l’appareil que j’utilise est un appareil médium format Hasselblad. Et c’est un format carré. Donc il n’y a pas de traitement par la suite.
Est-ce un choix esthétique?
C’est un choix esthétique parce que j’ai décidé de travailler avec cet outil là. J’aime travailler en argentique parce que je n’aime pas travailler en poste production. Le travail du photographe devrait être derrière la caméra et non devant l’écran de l’ordinateur.
Vous vous intéressez aux détails, à la vie des petites gens… Quelles sont les choses qui vous inspirent le plus dans votre travail photographique et dans votre démarche artistique?
Les sujets sur lesquels je travaille, me viennent généralement à travers une rencontre, une discussion, une histoire qui m’a intrigué, interpelé … je me mets donc à creuser. Je m’intéresse aux petites gens parce qu’elles sont peu représentées au Maroc. On ne s’intéresse pas à eux, on s’intéresse à d’autres choses.
Vous êtes un jeune photographe qui a sillonné le Maroc. Comment se dévoile ce Maroc à vos yeux ce Maroc et toutes ses transformations, évolutions, métamorphoses et changements?
Il y a ce travail qui est préparé en amont. En revanche, il y a une démarche qui consiste à faire de la recherche… et par la suite, celui-ci débouchera sur un travail photographique.
Le travail esthétique est important, mais le plus important pour moi, c’est le message que j’ai envie de véhiculer à travers la photographie, notamment dans un pays comme le Maroc. Je pense que la photographie peut faire passer un message à des gens qui sont incapables de lire et d’écrire. Le but est d’avoir un esprit critique et de pouvoir comprendre les choses à travers la photographique. Je m’intéresse aussi à ce Maroc qui est délaissé. J’ai envie de faire un clin d’œil à travers mon travail à ce Maroc là et ces gens issus des régions enclavées et des milieux précaires. C’est là où le travail de la photographie est important, à mon sens. Dans mon travail, j’aime montrer le Marocain dans différents milieux, ainsi que les différentes facettes du pays.
Au Maroc, l’artiste photographe est-il capable, à votre avis, de vivre de son art?
Il y a très peu de photographes marocains qui ne vivent vraiment que de la photographie. Dans mon cas, j’ai trouvé un moyen pour pouvoir le faire, c’est-à-dire je travaille sur un circuit de galeries. Je fais des expositions, des ventes de temps en temps. Je travaille aussi avec des magazines à l’étranger et je prends des commandes institutionnelles. En diversifiant les axes, j’arrive difficilement à m’en sortir… mais j’y arrive.
Et pour ce qui est des galeries?
La photographie est très différente de la peinture… Un collectionneur va être souvent plus amené à acheter une peinture qu’à acheter une photographie parce qu’il va penser que le photographe n’a fait que cliquer sur un bouton. D’où la difficulté de la photographie. Il y a aussi le problème de l’éducation à l’image au Maroc. La photographie reste peu développée que les autres média, malheureusement!