Par : Abdeslam Seddiki
La présentation du projet de loi de finances constitue un moment idoine pour relancer le débat national sur les grandes problématiques du moment. Au-delà des chiffres et des données techniques qui sont importantes à analyser et à décrypter, ce sont les choix politiques et les orientations générales qui les sous-tendent qui sont déterminants en dernière instance.
C’est un lieu commun de rappeler que le budget n’est jamais neutre. Il reflète des choix et des arbitrages au profit de certaines catégories sociales et, par conséquent, au détriment d’autres. Ces intérêts sont dissimulés, la plupart du temps, par le recours à l’idéologie pour habiller le contenu par des considérations d’ordre général et en faisant une lecture bien orientée des chiffres.
D’ailleurs, à peine un projet de loi de finances adopté, on se met à préparer celui de l’année d’après : et c’est à ce niveau-là que les lobbys s’activent pour introduire les mesures qui servent leurs intérêts. Ce qui est une pratique somme toute normale en démocratie.
Bien sûr, l’Etat ne cède pas facilement, car son rôle ne se réduit pas à être un simple porte-parole des classes et groupes dominants. Jouissant d’une autonomie relative, il a d’autres impératifs à régler, ceux de la régulation sociale dans son ensemble. Ce qui le conduit par moments à prendre des mesures qui peuvent apparaitre comme allant à l’encontre des intérêts dominants. Il a comme fonction de veiller à dégager des compromis sociaux qui assurent la reproduction sociale. Tout cela est fait au nom de l’intérêt général du pays et de la nation.
C’est par rapport à ces considérations méthodologiques qu’il conviendrait de lire les lois d’une façon générale et la loi de finances d’une façon particulière. Une loi ne peut être que l’émanation d’un rapport de forces dans la société. Il ne saurait y avoir de loi juste dans l’absolu.
Dans un contexte national marqué par un certain rapport des forces et des structures socio-économiques relativement figées, on ne doit pas s’attendre à un PLF révolutionnaire qui chamboule l’ordre existant. Quand on prend le soin de faire une comparaison entre l’actuel projet et les lois de finances des dernières années, on est frappé de premier abord par la ressemblance de leur structure, voire de leur contenu. Certes, on trouvera dans le cops du texte et des documents qui l’accompagnent quelques « nouveautés » qui relèvent soit d’un simple jeu d’écriture, soit d’une réponse aux sollicitations et injonctions de certains milieux.
Ainsi, on relève une certaine modification au niveau de la forme. Pour la première fois, la référence aux derniers discours de SM le Roi oblige, les priorités retenues commencent par la question sociale et relèguent la question des équilibres macro-économiques au dernier rang. Mais il ne s’agit là que d’un simple miroir aux alouettes pour faire « comme si ». L’examen des chiffres contredit cette priorité pour la question sociale et on peut y disserter à l’infini. Prenons tout simplement quelques exemples.
D’abord, celui de la couverture sociale des «indépendants» qui constitue un chantier national d’envergure. On constate que le dossier évolue à pas de tortue dans la mesure où l’Etat rechigne à dégager des moyens additionnels pour contribuer au financement. En comptant sur le seul apport des catégories concernées, le projet risquerait de trainer longtemps dans les discussions et débats stériles, voire de capoter tout simplement.
Ensuite le dossier du RAMED qui souffre de plusieurs dysfonctionnements mis en exergue par l’ONDH (Observatoire Nationale du Développement Humain) et auxquels le PLF n’apporte pas de solutions concluantes et durables.
Enfin, concernant la question de l’éducation-formation, retenue comme la priorité des priorités, force est de constater que les moyens mobilisés restent en deçà des attentes. Le taux d’augmentation de près de 17% du budget alloué à ce secteur ne doit pas nous induire en erreur pour au moins deux raisons : la première tient au transfert des cotisations de l’Etat au titre de la prévoyance sociale et de la retraite du chapitre «charges communes» au chapitre des dépenses du personnel des départements ministériels et institutions. Quand on sait que l’éducation nationale représente près de la moitié du personnel de la fonction publique, on mesure l’importance des montants transférés; la deuxième tient à la modestie de l’augmentation du budget d’investissement qui ne dépasse pas en valeur absolue 270 M DH et en valeur relative 4%.
Face aux difficultés rencontrées pour bouler le projet du budget, dans sa forme actuelle et avec toutes ses faiblesses, le gouvernement a opté pour les solutions conventionnelles de facilité telles que le recours excessif à l’endettement qui hypothèque par trop l’avenir du pays et celui des générations futures.
Ainsi, le montant prévu des recettes d’emprunt, à la fois sur le marché intérieur et extérieur permet de couvrirjuste le service de la dette en principal et intérêt (97 MM DH contre 96,5 MM) ! En d’autres termes, on n’est plus dans la logique keynésienne d’un endettement pour financer le développement, mais le pays est rentré de plain-pied dans le cycle infernal du déficit qui génère le déficit.
Autres solutions de facilité : le recours encore une fois à la privatisation, mais surtout le puisement dans les poches de la classe moyenne et des couches populaires. D’ailleurs, un examen attentif des mesures fiscales introduites dans le PLF montre on ne peut plus clair cette politique de «deux poids, deux mesures» : tout pour les nantis et pratiquement rien pour cette classe moyenne qui subit de plein fouet l’érosion de son pouvoir d’achat.
En définitive, nous sommes en face d’un PLF qui manque terriblement de vision politique claire et d’ambition de sortie de crise pour le pays. Il risque de causer beaucoup de dégâts au pays et de creuser davantage l’abîme. Y compris au sein de la majorité sensée le défendre et le porter. Ne parlons pas du décalage entre les Orientations Royales et ce que nous sert ce PLF comme menu!!