Projet de Code de procédure pénale
-Par Jamal Eddine Felhi
La rencontre organisée, vendredi à Casablanca, par le secteur des avocats du Parti du Progrès et du Socialisme, a mis en lumière des lacunes et des insuffisances jugées importantes dans le projet de réforme du Code de procédure pénale.
Lançant le débat, Loubna Srhiri, coordinatrice nationale du secteur des avocats du PPS, est revenue sur la nécessité de la réforme en raison des mutations profondes qu’a connues le Maroc à tous les niveaux, en plus de ses engagements internationaux en matière de justice et des droits de l’homme. Comme il s’agit aussi de faire face à l’évolution de la criminalité tout en veillant à garantir les droits et libertés fondamentales. Et de s’interroger si le projet adopté par l’exécutif répondait à ces exigences et s’il était conforme à l’esprit et aux dispositions de la constitution.
Intervenant, au nom du PPS, Abderrahim Bensar, a tenu à souligner que la réforme de la procédure pénale ne doit pas se limiter à un simple ajustement technique d’un ensemble de dispositions mais constituer un chantier fondamental reflétant l’évolution de la société marocaine et ses aspirations à une justice indépendante, efficace et équitable. En ce sens que toute réforme du code de procédure pénale doit se fonder, entre autres, sur le renforcement des garanties du procès équitable, d’où l’importance de consolider le rôle de la défense, du principe de la présomption d’innocence, de la mise en place de mécanismes pour prévenir toute injustice ou abus, et de limiter dans le temps la détention préventive.
Il convient aussi de suivre l’évolution en recourant aux nouvelles technologies, de lutter contre l’impunité, de renforcer le rôle de la justice dans la lutte contre toutes les formes de corruption et de dépravation, et de relever les défis sécuritaires tout en respectant les principes des droits de l’homme et des conventions internationales, a-t-il affirmé avant de réitérer l’engagement du PPS à poursuivre son action en vue de l’édification d’un système judiciaire moderne respectueux des droits humains et qui consacre la justice sociale.
Plaidoyer pour le renforcement du rôle de l’avocat
De leurs côtés, l’ancien ministre de la justice et des libertés, El Mostafa Ramid, les anciens bâtonniers, Abderrahim El Jamaï et Hassan Birouaine, ainsi que Me Ali Amar et Me Mohamed El Ghaloussi, président de l’Association marocaine pour la protection de l’argent public (AMPAP), ont insisté sur la nécessité de revoir plusieurs dispositions contenues dans le projet de code de procédure pénale, reprochant à ce texte ses hésitations quant au renforcement du rôle de l’avocat tout au long du processus judiciaire.
Ils ont ainsi mis l’accent sur l’obligation de permettre aux avocats d’assister systématiquement aux interrogatoires des prévenus afin de garantir leurs droits ainsi que la crédibilité des procès-verbaux de la police judiciaire. D’autant plus que le projet, comme l’a souligné Me Hassan Birouaine, fait encore d’une simple déclaration orale une preuve irréfutable.
Abondant dans le même sens, Me Ali Amar a souligné la nécessité de considérer comme nul tout PV élaboré par la police judiciaire en l’absence d’un avocat. Il a, par ailleurs, insisté sur l’importance de l’assistance sociale pour les mineurs et les personnes ayant un handicap mental.
Les intervenants ont également reproché au gouvernement de ne pas avoir consulté, à ce jour, ni les juges ni les avocats au sujet du projet de réforme de la procédure pénale. Me El Jamaï a ainsi déploré que «la mouture du projet obéit davantage à des soucis sécuritaires et politiques» alors que le principe de la «présomption d’innocence» a tout bonnement disparu dans le nouveau projet, ce qui constitue un véritable recul en matière pénale et de droits de l’homme.
L’ex-bâtonnier a également attiré l’attention sur l’atteinte portée à l’indépendance du juge d’instruction dans le projet, en ce sens que la désignation de ce dernier par le parquet constitue une menace pour son impartialité alors qu’en principe c’est au président du tribunal que doit revenir cette mission.
Marginalisation des ONG
Pour ce qui est de la lutte contre les détournements des fonds publics, les intervenants se sont arrêtés sur les articles 3 et 7 du projet qui limitent le droit des associations et des ONG de la société civile d’ester en justice en cas de la constatation de crimes financiers.
L’article 3 du projet, souligne-t-on, stipule que les enquêtes et les poursuites concernant les crimes portant atteinte aux deniers publics ne peuvent être engagées, entre autres, que sur demande du procureur général près la Cour de cassation sur saisine de la Cour des comptes, ou d’autres institutions habilitées par la loi comme l’Inspection générale des finances, ou encore l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption.
Quant à l’article 7 du projet, il impose aux associations reconnues d’utilité publique d’obtenir une autorisation du ministère de la Justice pour engager des poursuites judiciaires, selon les règles définies par un texte réglementaire.
Il s’agit, ni plus ni moins, pour Me Ramid et le président de l’AMPAP, d’une restriction en contradiction flagrante avec la Convention internationale contre la corruption et le texte de la Constitution de 2011 dont son article 12 qui garantit le rôle de la société civile dans l’élaboration et l’évaluation des politiques publiques.
Ce projet de loi sur la procédure pénale ne sert pas l’intérêt général, souligne Me El Ghaloussi, estimant que les deux articles précités protègent, en fin de compte, ceux qui profitent de leur position de responsabilité pour détourner et dilapider les fonds publics. Plus encore, les dispositions du projet portent atteinte aux missions du parquet qui ne peut plus agir de manière autonome dans les affaires liées aux crimes financiers.
L’ensemble des intervenants appellent, en conséquence, à une révision profonde du projet de code de procédure pénale en vue de doter le Maroc d’un système juridique moderne promouvant les droits humains, la justice sociale et la transparence dans la gestion des affaires publiques.