Point de vue
L’érosion côtière est particulièrement évidente le long du littoral méditerranéen dans le nord du Maroc, notamment dans la bande sableuse de la lagune de Marchica
Par Mohammed Tafraouti, « Écologiste »
Faire face aux défis du changement climatique dans la grande région de Nador nécessite les efforts combinés de la gouvernance locale, de la société civile et du secteur privé.
L’érosion côtière est un problème majeur dans la région méditerranéenne, avec des impacts socio-économiques complexes qui menacent le patrimoine naturel et culturel de près de la moitié de ses côtes.
Deux visites sur le terrain restent gravées dans ma mémoire, illustrant les effets du changement climatique. La première était sur la côte nord de la Méditerranée grecque, et la deuxième sur la côte atlantique de Rufisque au Sénégal. Depuis lors, la question de l’érosion côtière le long des côtes méditerranéennes du Maroc m’est restée en tête, m’incitant à explorer cette avancée silencieuse sur les terres et la montée du niveau de la mer à travers une approche journalistique visant à sensibiliser.
Le profil côtier du Maroc
Le littoral du Maroc, avec ses façades méditerranéenne et atlantique, possède une diversité écologique importante et constitue la pierre angulaire du développement national. Cependant, la migration rurale vers les côtes et l’expansion urbaine ont intensifié la pression sur cet environnement. Environ 60 % de la population du Maroc réside désormais dans des villes côtières, avec des activités industrielles, touristiques et portuaires. À cela s’ajoute que près de 70 % des eaux usées hôtelières et 90 % des eaux usées industrielles sont rejetées sans traitement, en plus de l’exploitation excessive des dunes de sable, tant terrestres que marines. Ces facteurs rendent les côtes marocaines particulièrement vulnérables au changement climatique.
Pour y remédier, le Maroc a adopté la loi côtière n° 81.12 afin de protéger et de gérer durablement ses zones côtières. Cette loi est conforme à la Convention de Barcelone, notamment au protocole sur la gestion intégrée des zones côtières, visant à concilier les impératifs environnementaux, sociaux et économiques. Cependant, malgré ces efforts, les interventions dans les zones côtières restent souvent sectorielles, soulignant la nécessité d’approches de gestion intégrées et précises. Les institutions et autres parties prenantes doivent collaborer pour aligner les projets et les actions avec des trajectoires de développement durable.
La nécessité d’une approche « Source-à-mer »
Le professeur Michael Scoullos, océanographe et président du Bureau d’information méditerranéen pour l’environnement, la culture et le développement durable (MIO-ECSDE) à Athènes, a déclaré lors d’une interview avec « Maroc environnement » que l’érosion côtière est un problème majeur en Méditerranée, avec des impacts socio-économiques complexes menaçant le patrimoine naturel et culturel de près de la moitié des côtes de la région. Les activités humaines telles que le développement urbain et touristique, couplées aux phénomènes induits par le changement climatique tels que les sécheresses, les tempêtes, les inondations, la montée du niveau de la mer et les changements dans la circulation océanique, aggravent ce problème. Scoullos a insisté sur la nécessité de politiques et d’interventions globales qui vont au-delà de la zone côtière, en englobant tout le bassin et les activités maritimes à travers une approche intégrée « source-à-mer ».
La dynamique de la dérive côtière à Tétouan
Pour comprendre l’interaction entre la morphodynamique côtière, les cadres géomorphologiques et les interventions humaines sur les plages méditerranéennes du nord-ouest du Maroc, le Dr Abdelmounaim El Mrini, chercheur en environnement marin à l’Université Abdelmalek Essaadi de Tétouan, a souligné lors d’une interview avec « Maroc environnement » les caractéristiques uniques du littoral de Tétouan. S’étendant sur environ 40 kilomètres, cette zone de grande priorité pour le développement du tourisme côtier présente des plages de largeurs variables et des changements morphologiques constants dus aux forces des vagues et du vent.
Le Dr El Mrini a expliqué que les vagues, souvent venant de l’est et du nord-est, créent un courant primaire de dérive côtière se dirigeant vers le nord. Ce processus naturel divise la côte en deux zones selon le mouvement des sédiments. La zone sud, au sud du promontoire rocheux « Ras Al-Aswad », est protégée des vagues du nord-est les plus fortes et reçoit des dépôts sédimentaires importants provenant du fleuve M’diq. Ces sédiments sont redistribués par la dérive côtière jusqu’à ce qu’ils rencontrent le promontoire, créant de larges plages avec du sable moyen à bien trié et, dans certaines zones, des dunes de sable.
Inversement, la zone nord au-delà de « Ras Cabo Negro » fait face à des vagues plus fortes, ce qui entraîne le retrait des sédiments vers la mer. Ne disposant pas de sources importantes de sédiments, ces plages sont plus étroites et plus vulnérables à l’érosion. Les interventions humaines, telles que le piégeage des sédiments dans les barrages et la perturbation des échanges côtiers naturels par la construction de ports et la destruction des dunes de sable pour les développements urbains, compliquent davantage les dynamiques. Une gestion intégrée de ce littoral, incluant la compréhension de ses changements et des facteurs influençant ceux-ci, est cruciale pour garantir la durabilité des services comme le tourisme.
La surveillance de l’érosion côtière à Tanger
Kenneth Mubea, responsable du développement des capacités à Digital Earth Africa, a révélé lors d’une interview avec « Maroc environnement » que les données satellites du programme ont montré les niveaux d’érosion sur la côte de Tanger, parmi d’autres en Afrique. En utilisant les données satellites Landsat à 30 mètres de résolution, le service de surveillance de Digital Earth Africa a cartographié les changements du littoral africain de 2000 à 2023.
Ces données fournissent des informations précieuses sur les tendances annuelles d’érosion côtière et d’accrétion au niveau local et continental. Elles permettent aux décideurs de prioriser et d’évaluer les impacts de la gestion côtière en fonction des changements historiques du littoral. Les données éclairent également la manière dont les côtes réagissent aux facteurs de changement, tels que les événements météorologiques extrêmes, la montée du niveau de la mer et le développement humain, fournissant ainsi une base pour des stratégies de gestion côtière durable.
L’impact du changement climatique sur le littoral méditerranéen du Maroc
Le professeur Abdellatif Khattabi, président de l’Association marocaine des sciences régionales, considère le changement climatique comme l’un des défis environnementaux les plus pressants dans la région méditerranéenne, avec des effets considérables sur les écosystèmes et les systèmes humains. Parmi ses conséquences, la montée du niveau de la mer constitue une menace importante pour les zones côtières, où vivent des millions de personnes et où de nombreuses activités économiques, telles que le tourisme et la pêche, dépendent directement de la santé des écosystèmes.
Le professeur Khattabi note que les effets directs du changement climatique sur les zones côtières, couplés à la montée du niveau de la mer, intensifient des phénomènes tels que l’érosion côtière, les inondations des zones basses et l’augmentation de la fréquence des tempêtes. Ces impacts génèrent des coûts économiques élevés, endommagent les infrastructures côtières et augmentent la pression sur les écosystèmes, notamment en raison des changements de salinité et des inondations persistantes, menaçant leur équilibre écologique et leurs fonctions naturelles de régulation. Les communautés dépendantes des ressources côtières pour leur subsistance, notamment la pêche, l’agriculture et le tourisme, sont particulièrement vulnérables. La perte de ressources naturelles et d’infrastructures vitales pourrait aggraver les inégalités sociales et économiques, nécessitant une intervention urgente pour atténuer ces effets destructeurs.
La région de Nador : un cas d’étude des défis côtiers
À Nador, située sur la côte méditerranéenne du Maroc, les effets du changement climatique sont particulièrement évidents. La montée du niveau de la mer constitue une menace directe pour les écosystèmes locaux et les activités économiques. Le littoral de la région, abritant des écosystèmes uniques comme la lagune de Marchica, est à risque important en raison de l’accélération de l’érosion des plages et des tempêtes marines de plus en plus fréquentes. Ces facteurs entraînent un recul du rivage, mettant en danger les infrastructures côtières et les moyens de subsistance locaux.
La lagune de Marchica, l’une des plus grandes lagunes d’Afrique, subit d’importants changements liés à l’eau, notamment l’augmentation de la salinité et des perturbations des cycles d’eau douce. Ces changements menacent les activités de pêche traditionnelle dont dépendent de nombreux habitants locaux. De plus, l’éco-tourisme, vital pour l’économie de la région, est en déclin en raison de l’érosion côtière et des terres inondées, compromettant l’attractivité de la région en tant que destination touristique.
La nécessité d’une réponse intégrée
Nador incarne les défis plus larges auxquels sont confrontées les régions côtières méditerranéennes. L’élévation du niveau de la mer est une question environnementale, sociale et économique qui nécessite une approche intégrée et proactive. Pour protéger ces zones, il est essentiel de renforcer les infrastructures côtières, protéger les écosystèmes sensibles comme les zones humides et mettre en œuvre des stratégies d’adaptation durables.
Le Dr Khattabi a exhorté les autorités locales, en partenariat avec le gouvernement et les organisations internationales, à développer des solutions innovantes. Ces mesures pourraient inclure la construction d’infrastructures robustes pour atténuer les dégâts causés par les inondations et les tempêtes, la restauration et la préservation des écosystèmes côtiers, qui jouent un rôle crucial dans la protection naturelle des rivages, et la sensibilisation des populations locales tout en les impliquant dans des initiatives de gestion durable des ressources.
L’érosion côtière à « Arekmane » : un exemple clair
L’érosion côtière est particulièrement évidente le long du littoral méditerranéen dans le nord du Maroc, notamment dans la bande sableuse de la lagune de Marchica, précisément dans la zone d’Al-Muhandis. Ici, le littoral a reculé de plusieurs mètres, et la barrière de sable a été érodée, formant une falaise de 3 à 4 mètres. La route parallèlement à la côte a disparu.
Said Azouagh, coordinateur de la région orientale pour le Groupe marocain de protection des oiseaux, met en évidence l’érosion dans la zone est de la plage d’Aklim, connue pour ses villas de vacances. La plage et la falaise ont été considérablement érodées, avec la mer envahissant les bâtiments, dont certains se sont effondrés ou ont récemment été démolis par les autorités à titre préventif. Dans la lagune de Marchica, le niveau de la mer a augmenté de 10 à 20 centimètres, submergeant certaines îles (les îles jumelles) et inondant des zones autrefois utilisées par des espèces de sternes pour la nidification estivale.
Préserver l’avenir pour les générations futures
La région de Nador offre un microcosme des défis mondiaux posés par le changement climatique dans les zones côtières. Assurer un avenir durable nécessite des réponses collectives et coordonnées qui intègrent des mesures de protection immédiates avec des stratégies d’adaptation à long terme. Protéger ces régions garantit non seulement la survie des communautés locales, mais aussi la préservation de leur héritage environnemental unique pour les générations futures.
El Hadi El Ouarti, président du Forum d’urbanisme, d’environnement et de développement, a souligné que la grande région de Nador est l’une des zones urbaines les plus dynamiques du Maroc, avec environ 320 000 habitants et des caractéristiques naturelles uniques. Celles-ci comprennent de vastes terres agricoles (10 000 hectares de terres irriguées dans la plaine de Bouarg), une infrastructure moderne telle que des ports (soutenant la navigation maritime et la pêche) et un tourisme côtier prospère grâce à ses plages magnifiques. De plus, la lagune de Martchika, l’une des lagunes les plus importantes de la Méditerranée, est classée site d’intérêt biologique et écologique (SIBE) et site Ramsar.
Cependant, El Ouarti a noté que la région fait face à des défis croissants dus au changement climatique, qui menacent son environnement et ses systèmes socio-économiques. Ces défis incluent les inondations qui mettent de plus en plus en danger les villes et les infrastructures. Les zones peuplées comme Nador, Azghanghan et Beni Ansar subissent des inondations fréquentes, entraînant des dégâts matériels importants. Les inondations affectent également les terres agricoles, en particulier dans la zone de Bouarg, mettant en péril la biodiversité et la sécurité alimentaire locale. La détérioration des infrastructures côtières et de l’érosion dégradent la qualité de vie et augmentent les coûts de maintenance.
El Ouarti a souligné que la montée du niveau de la mer et l’érosion côtière constituent des menaces majeures pour les régions côtières, telles que le village d’Arkaman, entraînant la dégradation des plages et la destruction des habitats naturels pour les espèces côtières, y compris celles autour de la lagune de Martchika. Il a également mis en évidence les effets de la sécheresse et de la pénurie d’eau, qui réduisent les ressources en eau et la capacité d’irrigation dans les zones agricoles. La biodiversité est directement affectée par la désertification et la salinisation, nuisant aux écosystèmes naturels.
Pour faire face à ces défis, El Ouarti a appelé à une bonne gouvernance et à une planification stratégique. Il a souligné la nécessité d’un plan intégré de gestion des risques d’inondation, comprenant des infrastructures résilientes et des zones de protection naturelles. Cela devrait être complété par des politiques d’urbanisme efficaces pour limiter l’exploitation des zones exposées aux inondations. La gestion des zones côtières devrait se concentrer sur des projets qui renforcent la résilience contre l’érosion et la montée du niveau de la mer et mettre en œuvre des politiques de protection des lagunes écologiquement importantes.
Pour lutter contre la pénurie d’eau, il a recommandé d’améliorer les systèmes d’irrigation, d’adopter des technologies d’économie d’eau en agriculture et de promouvoir la recherche agricole pour améliorer l’efficacité des cultures en période de sécheresse. Les initiatives de renforcement des capacités, les campagnes de sensibilisation des communautés et la formation des populations locales et des décideurs sur l’adaptation au changement climatique sont également essentielles. Il a souligné l’importance d’impliquer diverses parties prenantes, y compris les universités et les organisations non gouvernementales, dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques.
El Ouarti a souligné la nécessité de promouvoir la recherche scientifique et la collaboration internationale, en particulier au sein des universités, pour développer des solutions climatiques basées sur la science. La création de partenariats avec des organisations internationales pour obtenir des financements pour les projets climatiques est tout aussi cruciale.
Faire face aux défis du changement climatique dans la grande région de Nador nécessite les efforts concertés de la gouvernance locale, de la société civile et du secteur privé. En adoptant des stratégies complètes et durables, Nador peut devenir un modèle pour les villes côtières qui s’adaptent avec succès au changement climatique tout en préservant leur environnement et leur économie pour les générations futures.
Un appel à l’action
Faire face aux défis du changement climatique dans la grande région de Nador nécessite les efforts combinés de la gouvernance locale, de la société civile et du secteur privé. En adoptant des stratégies complètes et durables, Nador peut servir de modèle pour les villes côtières qui s’adaptent avec succès au changement climatique tout en préservant leur environnement et leur économie pour les générations futures.
Cette problématique a été au cœur d’un atelier récent organisé à Nador à l’occasion de la Journée Internationale du Climat (8 décembre), sous le thème « Action climatique : Notre responsabilité, pas une option ». L’événement, organisé par le Centre des Perspectives Environnementales pour les Médias et le Développement Durable, en partenariat avec l’Association Marocaine des Sciences Régionales et d’autres organisations, visait à sensibiliser et mobiliser les parties prenantes pour renforcer la résilience des communautés et des infrastructures le long des côtes méditerranéennes du Maroc.
Ce rapport a été produit avec le soutien du Earth Journalism Network, dans le cadre de l’Initiative Méditerranéenne pour les Médias.