«Les tablettes blanches»: des nouvelles à la gloire de l’écriture

Noureddine Mhakkak et le monde des livres

Par M’barek Housni

L’écriture est d’une modernité palpable quand elle s’aventure dans l’intime et dans le souvenir, tout en restant, une affaire d’écriture. Essentiellement une aventure dans l’écriture qu’est la réalité narrée, le monde diégétique accompagnant.

Ce recueil de huit nouvelles en est la preuve éloquente. Noureddine Mhakkak y expérimente, avec une création attentive et soignée, les méandres de l’acte d’écrire. Mais en le faisant passer, filtré et réfléchi à travers un sujet qui se plait à sauter, vivant et écrivant, d’un monde propre et personnel, à un autre non moins propre, en narrant et en écrivant, dans un va et vient incessant et renouvelé à chaque fois. L’ensemble tournant autour de l’univers de l’écriture justement.

L’homme des livres

Ce fait est condensé par un ensemble d’actes et de faits telle la passion des livres, liée à l’autre passion qui lui est jointe, à savoir la lecture. Le sujet (écrivant, narrant) passe de l’une à l’autre, les inter-changeant jusqu’à les rendre un seul et même acte. Dans la nouvelle intitulée « L’interprétation des rêves » le narrateur rêve qu’il déambule parmi des maisons étranges où il dépose des livres, et il le fait avec un tel zèle qu’il en devient lui-même un livre ouvert et lu. Un livre-homme qui lit ses propres contes aux êtres de la forêt.

Ce même sujet paraît dans «La cité de l’imaginaire», et des «La branche dorée», le narrateur/héros est un féru de livres rares et merveilleux. Il les cherche et les traque partout, dans les souks populaires comme dans les librairies du bout du monde qu’est les USA. Il en fait son monde qui lui colle, et lui tient de lieu de support d’une vie autre, plus prodigieuse et plus tentante. Ainsi la passion des livres vient, comme on pourrait le soupçonner, de la fréquentation des lieux des livres car cet attachement fort est un tout dominant et exclusif. Elle émane aussi du plus lointain temps personnel connu qu’est l’enfance, bientôt rejoint par les temps de l’initiation que sont l’adolescence et la première jeunesse. Toutes les nouvelles reflètent cette prédilection livresque comme une glorification extrême du « Livre », cet autre monde, ce bout rarement donné et qui permet au fond, de se réaliser et d’être l’homme et de participer à la seule langue commune aux seuls initiés.

L’homme des contes

Car, cette passion n’est pas casuelle ou générale, elle concerne les livres dont la fiction constitue et la trame et le sujet, le tenant et l’aboutissant. Le recueil est ce foisonnement de petits contes courts, brefs, générés à l’occasion de chaque événement narré dans les nouvelles. Ainsi la nouvelle est un petit monde où les faits sont autant de petits récits que des actes entrepris par des personnages.  Le livre est cet infini de contes, semble dire Noureddine Mhakkak. Il est l’ouverture sans cesse sur les merveilles de ces petites histoires qui sont autrement plus porteuse de sens et de plaisir que les faits narrés dans une suite « réaliste » mais sans fond. L’auteur, lui, écrit pour rendre le réel un engendrement et une création, continus et innombrables presque. On voit bien là la référence à l’idée du livre infini, chère aux borgésiens, eux-mêmes admirateurs dévoués au livre-référence qu’est « milles nuits et une nuit ». Noureddine Mhakkak emprunte l’idée avec brio et l’emploie dans les aléas fortuits de l’homme livresque évoluant dans son petit monde personnel. Ces aléas qui deviennent alors de petits morceaux de création indéniable. Le petit conte ou la nouvelle très brève, intégré dans une nouvelle du recueil, se révèle un élément, une astuce, une ruse, une réponse, un motif ou une intrigue qui participe à la confection de cette nouvelle, ou joue le rôle que devrait jouer n’importe quelle composante dans une nouvelle classique. On voit ce fait clairement dans la nouvelle intitulée « Les tablettes blanches » où chaque tablette, ces planches de bois des écoles coraniques, sert pour écrire une petite nouvelle courte, qui s’efface aussitôt, et une autre s’écrive dans une autre tablette et ainsi de suite. Dans la nouvelle «Ne t’en fais, ma chérie», le narrateur en écrit trois, et dans la nouvelle «L’amour au temps du choléra», il y en a cinq.

Dans d’autres nouvelles les histoires courtes s’intègrent entre de grandes parenthèses et fonctionnent comme des paragraphes constitutifs, comme quoi ce qui compte en fin compte est la majesté du «récit», le pouvoir de la narration.

L’homme de l’écriture

Mais au fait et dans l’intime des choses, la passion et le conte, ne sont, comme éléments et faits, que des prétextes à cet événement majestueux, grandiose, unique et précieux qu’est l’écriture. On se passionne pour les livres, on se voue aux contes, aimant les lires et les chercher de plus en plus, et à mesure que la flamme existe et grandit, pour une seule et même raison, et c’est celle de pouvoir les inventer après avoir passé le temps à s’en imprégner. C’est à dire les écrire soi-même, être un conteur à son tour. Un écrivain. Voilà l’idée majeure qui sous-tend ce livre, ce recueil de nouvelles.

Il n’est pas sorcier de deviner l’intention secrète qui a déterminé l’écrivain Noureddine Mhakkak. Car il nous livre ici son expérience de littérateur et d’écrivain. Les narrateurs ou les héros, que nous rencontrons dans l’espace de chaque nouvelle est un alter ego de l’écrivain, son porte-parole intime qui nous livre et nous fait partager le secret.  Ainsi différents postures, aspects et comportements de l’homme-écrivain apparaissent, surgissent à chaque tournant de phrase. Le narrateur est l’écrivain et nulle autre personne. C’est l’idéal perché que célèbre l’auteur. Le recueil est un grand hommage à l’auteur-créateur-conteur.

Et ce pour nous fournir la révélation majeure. Noureddine Mkakkak, en tant qu’écrivain nous montre que la réalité du monde est une réalité de conte. De trace, et d’empreinte, d’écrit. Et on ne peut qu’être d’accord. Il le fait avec tant de maîtrise. Son style est celui du conteur qui s’adresse à autrui en s’aidant de tous les ingrédients requis pour subjuguer le lecteur qui est au bout. Qu’il s’agisse de la description juste, de la peinture exacte du lieu ou du visage (celui des femmes notamment), de l’allusion cherchée aux faits qui charment comme l’amour, la beauté, l’évocation de la poésie…Le tout puisé, comme on l’a signalé au début, dans le souvenir, et dans l’intime. Tout ce qui est susceptible de donner du piquant, et de l’exquis à la démarche du suspense «nouvellestique».

Conclusion

Noureddine Mhakkak fait sa percée littéraire comme il se doit. Lui, qui écrit depuis les années quatre-vingts, et qui a publié des poèmes, des nouvelles, des critiques, tous salués par les gens du milieu culturel en leur temps. Il écrit et il n’a pu avoir l’opportunité d’éditer des livres qu’en l’année 2006. Ce n’est que justice faite.

Signalons par ailleurs que Noureddine Mhakkak, natif de Casablanca, est docteur en littérature arabe, ce qui ne l’empêche pas d’écrire dans la langue de Molière. Il est aussi critique de cinéma de théâtre et d’arts-plastiques.

Gageons que ce recueil n’est un premier jalon dans une œuvre.

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