«Amazigh» est l’intitulé de la dernière série d’œuvres photographiques de la jeune artiste, Safaa Mazirh. Ses travaux donnent à voir un univers photographique singulier portant la marque de ses racines, de sa mémoire riche et peuplée de symboles. Le corps, dans cet esprit, est un tissu de signes, un florilège d’écritures énigmatiques.
A vrai dire, l’artiste habite un signe ! Or, Safaa ne fait pas de la photographie uniquement pour le plaisir des yeux, mais elle y propose un voyage dans les dédales des corps et murs tatoués. Ainsi, le tatouage dans le travail de l’artiste libre la peau en prenant la parole, en s’extériorisant, en s’éclatant à travers le cadrage, les lumières, les volumes, les contrastes et les mouvements du corps…
Dans chaque photographie, le mur franchi les limites de l’inconscient de celui qui contemple, qui regarde son œuvre. Bref, ce n’est pas un simple mur. C’est un mur existentiel, un mur de résistance contre l’amnésie, l’oubli, l’effacement, l’épuisement… de la mémoire. Chaque travail représente dans cette optique une espèce de mémoire gravée, écrite par les lumières et les formes géométriques du tatouage.
Il faut dire que c’est une tentative de réécriture d’un ici et maintenant inscrivant dans un avenir inachevé. Il s’agit là d’un corps-dissident qui se réhabilite, qui se cherche dans les dédales des signes, des symboles, des formes et de la géométrie. La série «Amazigh» témoigne non seulement du talent de l’artiste, mais d’une mutation profonde dans la manière de penser et repenser le signe, le tatouage et la trace.
Par ailleurs, en méditant les photographies de l’artiste, on songe à une «archi-écriture» ou encore «une archi-trace», dont parlait Jacques Derrida, ouvrent dans le mur, dans le corps et les photographies des intervalles et des espacements.
Cette «archi-trace» remonte dans l’œuvre comme un spectre, un symptôme. Certes, le monde est voué vers des signes et hâté par la trace. Et si certains définissaient la photographie comme écriture avec la lumière, Safaa écrivait avec des signes, des tatouages et des corps en mouvement.
Par ailleurs, le corps est omniprésent dans son travail. Il est parfois au centre, au cœur de la photographie portant ce souci permanent de l’effacement de soi, de perte de toute présence dans le monde.
Le tatouage dans cette optique n’est qu’une trace dans le monde immortalisant un passage, une existence. Il va sans dire que c’est une écriture sur la chair, mais laisse le corps s’évader. Se faire tatouer, c’est «s’être laissé aller hors de soi-même», comme disait Augustin. «Amazigh» est un travail sur toute une identité authentique, inchoative et inscrite dans le temps.
Mohamed Nait Youssef