«Le mouvement culturel amazigh est un projet de société basé sur le repensé»

Entretien avec Dr Mohamed Handaine, président de la confédération des associations amazighes du sud marocain

Propos recueillis par Saoudi El Amalki

Dr Mohamed Handaine n’est plus à présenter. C’est incontestablement l’une des figures illuminées du mouvement amazigh, depuis des décennies. C’est aussi une référence incontournable pour les réflexions pertinentes, les analyses enrichissantes et surtout les positions pondérées qu’il ne cesse d’enfanter, tout au long des phases d’évolution de la question amazighe. C’est enfin une sommité amazighe dont le mérite de faire progresser le débat sur cette problématique, n’est plus un luxe qu’on rabâche dans les salons du «confort intellectuel», mais une nécessité sociétale laborieuse auquel on s’attelle, à travers des recherches approfondies dans tous les champs de la cognition. Dr Mohamed Handaine, érudit rationnel en la matière, s’y investit corps et âme, au service de l’émancipation de
l’amazighité certes, mais également et surtout pour l’émergence d’un maillage identitaire national, riche, harmonisé et fécond de la société marocaine, sans heurt ni affront compromettants. Toujours aussi disponible et avenant, il a bien voulu livrer à nos lecteurs ses convictions et ses pensées autour de la cause amazigh qui lui tient tant à cœur, en corrélation avec les interactions ambiantes. Entretien.

Al Bayane : En tant qu’activiste amazighe, fort connu pour des analyses à la  fois réalistes et fécondes, relatives à la question Amazigh. Pourriez-vous éclairer nos lecteurs sur les derniers développements de l’Amazighité aux plans institutionnel, culturel, linguistique et socio-économique?

Handaine : Je tiens d’abord à vous remercier pour votre engagement  en tant que militant fidèle aux principes  progressistes au sein du PPS,  et ouvert aux autres tendances  socio- politiques et de réflexion. Concernant la cause question  amazighe, je voudrais clarifier selon ma conviction certains aspects de l’amazighité. Beaucoup de gens ainsi que des personnes politiques décideurs  et parfois même les militants de ce mouvement, pensent que l’amazighité est limitée à la langue, la culture et l’identité parfois le folklore. Or la question est
beaucoup plus profonde ; l’amazighité que porte et revendique  le mouvement culturel amazigh est un projet de société basé sur le « repensé » de l’histoire marocaine, ce que j’appelle « l’histoire profonde » qui traverse toutes les périodes historiques à partir de l’homo-sapiens de jbel IGHUD en passant par les autres périodes historiques. Les marocains ont contribué à la construction de la civilisation méditerranéenne grecque, romaine, arabe, européenne. Le Maroc a une histoire profonde extraordinaire, avec un génie d’assimilation de la pluralité surprenante. Imaginer un peuple qui a parcouru toutes ces époques avec une acculturation remarquable, comment a-t- on commis une erreur historique et fatale pour le réduire à seulement 12 siècles en enseignant à nos enfants que le Maroc est stupidement né au début de l’époque médiévale, à l’arrivée de l’Islam?

De l’histoire religieuse du Maroc, ce grand pays a contribué à toutes les religions monothéistes, à commencer par le judaïsme dont les juives marocaines ont fondé une  doctrine judaïque spécifique au Maroc, et le christianisme où les Amazighs ont  influencé cette religion avec St Augustin ainsi que la création de la doctrine du donatisme. Enfin, les marocains ont contribué à la création d’un islam marocain avec une certaine tolérance adaptée à la mentalité rationnelle et aux spécificités de la société marocaine. Cela a été bien expliqué par Ibn Roch le grand philosophe marocain.
Donc, le Mouvement  Culturel Amazigh est basé sur ces principes purement marocains. Ce mouvement est loin d’être limité seulement à la langue la culture, c’est un mouvement humaniste semblable à celui de l’époque de la renaissance en Europe aux 16 siècles avec Etienne Dolet, Cicéron et François Rabelais.  Il s’inspire également de la pensée des siècles des lumières. C’est la raison  pour laquelle ce mouvement est plus proche idéologiquement avec le PPS qui est le seul parti qui a embrassé les juifs marocains, et le premier parti qui a combattu depuis longtemps la cause amazighe.

Nous ne sommes pas contre la tendance islamique au Maroc, comme le
partagent certains médias, mais nous sommes farouchement contre l’introduction de la doctrine salafiste du moyen Orient au Maroc. Celle- là n’est pas compatible avec la société marocaine et contre l’apport intellectuel des penseurs islamiques marocains déjà cités, comme on n’est contre l’introduction du nationalisme arabe  dans le discours politique marocain, qui est  aussi contre l’histoire et la réalité sociologique marocaine. Nous devons défendre la mentalité marocaine et la pensée marocaine basée sur le rationalisme d’Ibn Rochd d’Ibn Khaldun  et d’Alyoussi qui n’est pas loin de la pensée des siècles de lumières. Chaque fois qu’on s’éloigne de la mentalité marocaine, on n’est loin du nationalisme marocain, on défend d’autres espaces utopiques (la nation du khalifa musulmane, la nation arabe) au détriment de notre nation. C’est aussi la raison pour laquelle on défend d’abord les causes marocaines comme le Sahara. Avec la constitution de 2011, l’histoire a donné raison au MCA. Avec cette constitution qui a introduit la diversité et la pluralité, la mentalité marocaine, le Maroc est entré dans une phase historique de la révolution culturelle sereine et flegmatique que notre pays n’a jamais connue. Voici en général, à quoi ressemble le Mouvement Culturel Amazigh.

Ces derniers temps, à la veille de l’échéancier électoral, certains courants partisans accourent pour «grignoter» des «voix amazighes», à travers de soi-disants  accords d’entente. Qu’en pensez-vous et quel appel auriez-vous à lancer aux plurielles tendances du mouvement amazigh, sans toutefois, vous forcer à en jouer le rôle de tutorat?

Récemment les médias ont diffusé largement que le mouvement amazigh a déclaré une certaine alliance avec RNI alors que ce n’est pas totalement vrai. Le « Front amazigh de l’action politique » s’est déclaré clairement qu’il ne représente pas le MCA. Les jeunes du MCA ont pratiquement le droit d’adhérer aux partis politiques pour réaliser leurs ambitions politiques totalement légitimes. Dernièrement il faut  reconnaitre que le RNI, avec la nouvelle présidence de Aziz Akhnouch, a multiplié les actions en faveur des revendications amazighes, ce qui ne peut pas nous laisser indifférent. Nous saluons fortement ce changement de la part du parti, et nous espérons que d’autres partis fassent plus en faveur de notre identité longtemps marginalisé. Je pourrais dire que nous devons tous faire une compagne nationale pour l’amazighité du Maroc pour déraciner définitivement le malentendu chronique envers tamazight vers une solidarité culturelle pour toutes nos différentes langues et cultures. Quant à la politique et tamazight il faut vraiment faire beaucoup attention à l’ordre terminologique. Il faut lever certains amalgames, pensé qu’avec le logo tamazight seulement on peut gagner les élections, c’est totalement faux. Tamazight doit être introduit dans un cadre de projet de société qui doit lutter pour un Maroc démocratique, libre, sans disparité sociale et géographique avec une base de référence marocaine et dans l’horizon d’un Maroc fédéral «made in Morocco». Or,le MCA n’est pas cohérent au niveau idéologique, pour qu’il adhère à un seul parti politique. C’est vrai le MCA constitue une masse électorale considérable qui chamboule les pronostiques, mais il n’a pas été exploré. Les jeunes doivent s’inscrire dans les listes électorales. Le nihilisme ne peut emmener à nulle part. Avec la médiocrité alimentée par le mauvais usage de la technologie (Facebook- WhatsApp …), nous vivons un manque terrible au niveau du renforcement des capacités et une absence quasi-totale l de l’esprit critique. Les jeunes en général sont loin d’assimiler ce que je viens d’expliquer sur la pensée marocaine. Nous avons devant nous, un chantier énorme de lutter contre « l’ignorance sacrée » en utilisant le terme d’Arkoun. Et pour emmener ce combat, il faut être loin du populisme qui est la devise capitale de la politique. Les intellectuels marocains en majorité malheureusement ont démissionné, en laissant le champ à la médiocrité.

L’initiative des jeunes  du MCA s’inscrit dans un processus de l’introduction des revendications amazighes dans les programmes des partis politiques. Plusieurs militants du MCA ont déjà investi le champ politique depuis longtemps, et ils ont gardé leur «titre» sans aucun problème, le PPS fut un exemple dans ce domaine. Et nous encourageons ces initiatives qui ne peuvent que donner une valeur de plus à l’action amazigh. Quant au MCA, il est plus large que la politique, comme je viens de le signaler. Il doit garder ses distances envers les partis politiques. La force de ce Mouvement, c’est sa liberté et son indépendance. Son devoir, c’est de signaler les «hors-jeux» dans la société, la charte d’Agadir en 1991 est signale d’hors- jeu. Par ailleurs, c’est d’abord un mouvement de réflexion et de redressement de la pensée marocaine.

De mon côté, si je me permets de donner quelques points d’ordre méthodologique, et si on veut bien accomplir notre mission en tant que  militant du MCA, on ne doit pas se lancer aux élections rapidement, pour ne pas avoir ce qu’on peut appeler  «  le choc de la déception ». La meilleure mission est de faire la formation au sein des adhérents des partis au sujet de tamazight afin de continuer la révolution culturelle qui est la base de l’action du MCA pour changer les paradigmes antécédents, et pour changer les paradigmes de la société.  La majorité des gens ne savent pas encore l’importance de tamazight, alors que le tissu  des partis politiques est un chantier important pour cette action. Les leaders amazighs convaincus par l’action politique doivent faire de préférable la formation avant de se lancer rapidement aux élections qui est un domaine très compliqué. Or, les militants amazighs en général, n’ont pas accumulé encore des expériences dans ce domaine. D’autre part, ceux qui symbolisent le MCA ne doivent pas s’aventurer dans l’usage de tamazight au terrain politique. Il faut éviter l’expérience des mouvements islamiques qui ont investi l’Islam dans le terrain politique. Résultat : la réticence envers le symbole de l’islam politique. Tamazight ne peut être perdue ou gagner. Elle est le symbole d’une grande nation.

Il est bien certain que la question amazighe a franchi nombre de phases décisives de son parcours ardu qui se ponctue finalement, par l’officialisation de cette cause nationale. Croyez-vous que cet effort colossal auquel prenait part un parterre de militants du mouvement associatif, politique, syndical, des droits humains…, serait voué à un dessein encore meilleur et qu’elles en sont les conditions de rehaussement?

Avec la constitution, le Maroc a franchi une étape décisive dans son histoire. Avec l’officialisation de Tamazight, un énorme chantier est ouvert dans tous les domaines, en premier lieu la législation, les lois, une panoplie de lois doit être amendée, une formation de traduction doit être mise en place dans l’administration marocaine, c’est toute une révolution qui doit être abouti en toute sérénité et sureté. Avant, c’était la reconnaissance, aujourd’hui, c’est l’application de l’officialisation de tamazight qui est beaucoup plus compliquée et colossale. La cause amazighe est une responsabilité nationale dans laquelle tout le monde doit mettre la main à la pâte. Je voudrais signaler à cette occasion une chose qui est dans la bonne voie, c’est le changement du programme de l’histoire de la 5eme année primaire qui est en fait vraiment une rupture avec l’ancienne mentalité, l’introduction de l’histoire ancienne du Maroc est une chose décisive pour renforcer le patriotisme marocain, l’enfant marocain doit être maintenant fier de son histoire et de son pays comme c’est le cas des égyptiens qui se réfèrent toujours  aux Pharaons.

Êtes-vous pour ou contre la création d’un parti à vocation exclusivement amazighe, tout en sachant que la promotion de la langue et la culture amazighes devrait inéluctablement passer par la représentativité institutionnelle dans les centres législatif et exécutif?

Selon la loi, on ne peut pas créer un parti amazigh au sens ethnique du terme. Le parti qui a été créé par  feu Si Ahmed Addgherni n’est pas un parti amazigh. C’est un parti politique à référence d’identité marocaine qui est amazighe. Les forces politiques qui sont contre tamazight ont avancé cette idée qui n’est pas vraie, alors qu’ils n’ont même pas lu les statuts et surtout l’ouvrage «l’alternative» qui est le manifeste du parti. L’expérience de Si Ahmed Addgherni a été avortée suite aux conditions sociopolitiques. Parfois quelques initiatives viennent avec  le  temps. L’expérience de Addgherni est entrée dans l’histoire politique du Maroc. Aujourd’hui,  avec la nouvelle constitution, tous les partis politiques doivent être amazighs au sens plus large du terme.

Dr. Handaine Mohamed
– Président du IPACC (Comité de Coordination des Peuples Autochtones d’Afrique)
– Membre du Comité de Pilotage de l’année internationale des langes
autochtones UNESCO 2019
– Directeur du Centre des Etudes Amazighes Historiques et environnementales
– Président de la confédération des associations amazighes du Sud maroca

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