«Au Maroc, c’est dur de vivre de son art»

Abdelmalek El Andaloussi est l’une des icônes de l’art d’el aita jabalia. Il fait partie des rares artistes ayant œuvré pour la promotion, la préservation et la rénovation de cet art, à travers non seulement la recherche, mais aussi la transmission de leur savoir-faire aux générations futures. Al Bayane l’a rencontré au Festival national pour les arts d’el aita el jablia à Taounate où il a livré avec son groupe «Achamal», basé à Tanger, l’une des plus belles prestations devant un public charmé.

Al Bayane : De prime d’abord, pouvez-vous noud dire un mot sur votre groupe et votre participation à ce festival?

Abdelmalek El Andaloussi : Le groupe «Achamal» a été créé en 1997 à Tanger. En réalité, je fais partie des fondateurs. Notre but est de sauvegarder et faire rayonner le patrimoine musical jabali qui était, à un moment donné, en voie de disparition. Ma première aita était « lah idawina bdwah » et une chanson « ya rabi chouf men hali »… À l’époque, j’avais contacté un chanteur qui s’appelait Haji Chrifi. Je lui avais parlé de ces chansons. Il m’avait dit : «Jabali est mort ! Et on l’a enterré. » Je lui ai dit : «c’est vous qui l’avez enterré parce que vous n’avez pas pu le renouveler. Vous jouez uniquement tout ce qui est classique et les gens en ont marre d’écouter ça !».

Entre temps, j’ai rencontré le défunt Cheikh Hmad Lwourfdi qui m’avait amené à la radio de Tétouan où j’ai enregistré par la suite mes chansons. Elles ont eu un grand succès auquel je ne m’attendais pas. J’ai travaillé avec Hajdi ainsi que 11 chanteurs qui vivent actuellement en Amérique, en Hollande, en Belgique, en France, en Espagne… j’ai œuvré pour le renouvèlement de cet art afin de le faire connaitre auprès du grand public.

Comment avez-vous pu verser un nouveau sang dans les veines de cet art?

Deux mots : la transmission. C’est pour cela d’ailleurs que j’ai travaillé avec plusieurs artistes comme Hadji, Karima Tanjaouia avec un répertoire de 120 ou 130 chansons, Chama (2 ou 3 chansons) dont la chanson à succès «Twahchtek alwalida», Abdeslam lharaq (vivant en Amérique) avec 30 chansons, Laarfaji (vivant en Espagne) avec 50 chansons, Najat (vivant en Belgique) avec 25 chansons. Au total, j’ai travaillé avec 11 jeunes. J’ai partagé avec eux mon savoir-faire. Je composais pour promouvoir le jabali. J’ai également participé à plusieurs festivals au Maroc et ailleurs, notamment en Belgique, Hollande, France, Italie, Tunisie… Mon but est de faire rayonner de nouveau ce patrimoine musical en son et en image. Je suis à la quête de jeunes talents pour qui j’écrirai des chansons, je chercherai des arrangements et ferai des vidéos clips.

Pensez-vous que les festivals contribuent au rayonnement de ce genre artistique que vous jouez?

Je pense que sans ces festivals, cet art allait disparaitre. Or, malgré le soutien du Ministère de la tutelle, nos jeunes n’arrivent pas à comprendre que ce qui est essentiel et majeur c’est le travail, la rénovation, la recherche de nouvelles sonorités, arrangements et paroles. A titre d’exemple, mon dernier album intitulé «Bladna Hassdouna aliha» a obtenu une subvention de 100 .000 dh. Et je ne suis pas le seul à en bénéficier !  En fait, il y a un soutien, mais il faut que les jeunes travaillent et sortent de leur passivité et paresse.

L’artiste populaire, notamment celui de l’aita, pourrait-il vivre de son art?

C’est dur au Maroc de vivre de son art. Pour vous dire, j’ai exercé un autre travail pour assurer mon pain quotidien. J’ai étudié chez des grands artistes et comédiens comme Tayeb Sedikki, Mustapha Beghdad… j’ai représenté le Maroc partout, mais j’ai gardé mon travail parce ce que je savais que l’art ne pourra me garantir une vie aisée. Il faut rappeler quand même que mes conditions d’hier ne sont pas comme celles des jeunes d’aujourd’hui. Actuellement, il y a des radios, des télévisions, des théâtres, des festivals, des soirées… il faut juste chercher son propre style afin de trouver une place parmi les grands artistes. Les jeunes artistes doivent d’abord aimer ce qu’ils font, chercher, et aller à la recherche de l’excellence. Il faut que je vous dise que beaucoup d’«artistes», vu le manque d’idées, ont volé mes chansons, en l’occurrence de «Cheikh Lqbila », «Twahchtek  lwalida», «Arou liya zen jbal», mais cela contribue d’une manière ou d’une autre à la promotion de l’art jabali.

Peut-on fusionner l’art de l’aita avec les autres arts et musiques du monde pour mieux de le faire connaitre?

Ce qui a permis à l’art Gnaoua de s’inscrire dans l’universalisme, c’est le fait que ses artistes ont de la chance de voyager, de rencontrer d’autres artistes internationaux sous d’autres cieux… Ce qui leur a ouvert des portes pour faire des collaborations et produire des chansons qui sont écoutées un peu partout dans le monde. Il faut venir en aide aux artistes de l’aita jabalia pour leur permettre de jouer et de rencontrer de grands artistes de la scène mondiale. Ils ont beaucoup à donner et cet art est ouvert et riche en sonorités et en potentiel. Je crois qu’un jour, ils y arriveront.

Mohamed Nait Youssef

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