Noëmi Waysfeld: «La musique ne connait pas de frontière ni de limite»

Il y a des voix qui transportent vers d’autres cieux et d’autres horizons plus beaux. La musique de Noëmi Waysfeld en fait partie. Avec sa voix lyrique et ses chants exaltant les zéniths, la chanteuse a pu maîtriser dès sa jeunesse la douceur du chant lyrique. On l’a découvert lors d’une édition du festival Mawazine Rythmes (2016). En effet, dans son dernier album intitulé  Zimlya, la «terre» en russe qui sera disponible en mois de Mars, chante la terre, l’exil intérieur et cette  quête permanganate de soi. «Le yiddish (et le russe d’ailleurs) continuent de me transporter dans des sensations de l’enfance, du souvenir, de la mémoire. », a-t-elle dit. Noëmi Waysfeld, «l’exil intérieur est pour moi une sorte de refuge. Une solitude merveilleuse.  Ce serait une méditation dans l’imaginaire, un espace affectif de l’ailleurs, de se mettre en exil du monde, et trouver en soi une consolation, un monde, un chemin des possibles». Entre chant, théâtre et violoncelle, l’artiste a développé une carrière artistique prolixe et singulière. Ses voyages à travers le monde alimentent ses recherches musicales. «Cette quête, cette convocation  d’une terre intérieure, de repères, peut exister en effet comme je le disais plus haut avec la musique», confie t elle.

Al Bayane: Zimlya, la «terre» en russe, est le titre de votre troisième album. Dans ce dernier album qui sera disponible dès le 1 mars, vous chantez en français, votre langue  «maternelle».  Après le yiddish, votre langue émotionnelle, pourquoi le français?

Noëmi Waysfeld : Le yiddish (et le russe d’ailleurs) continuent de me transporter dans des sensations de l’enfance, du souvenir, de la mémoire… d’où que je la (les) nomme ma (mes) langue(s) émotionnelle(s). Et chanter dans ces langues est un plaisir vocal inouï. Ce sont des langues faites pour chanter.  Et aujourd’hui, c’est comme si, après ce tour du monde avec ces deux premiers albums et les autres projets que j’ai pu mener, il m’était enfin possible de chanter en français. Que l’émotion, l’intime n’étaient pas réservés aux autres langues, qu’il m’était possible maintenant et seulement maintenant -je crois- de pouvoir « dire » en français. De ne pas être autant tournée qu’avant vers les langues de ma famille, mais vers aussi celle dans laquelle j’ai été élevée, voire d’autres (espagnol, allemand par exemple). Cela s’est imposé tendrement, grâce au temps aux rencontres, à la confiance de certains musiciens,  et aux envies… c’est le cadeau de la musique, qui est plus vaste que soi et sa propre histoire, et ne connait pas de frontière ni de limite.

Vous parlez souvent de l’exil intérieur. Comment peut-il se révéler par le bais de la musique, de la parole poétique, du verbe sincère, mais aussi du rythme?

L’exil intérieur est pour moi une sorte de refuge. Une solitude merveilleuse.  Ce serait une méditation dans l’imaginaire, un espace affectif de l’ailleurs, de se mettre en exil du monde, et trouver en soi une consolation, un monde, un chemin des possibles. Il ne s’agit donc pas de mots, pas de psychologie, mais bien d’un état. La musique, qu’on l’écoute ou qu’on la joue, nous parle et nous répare sans chercher à être dans l’intelligibilité, l’intelligence. Il en est de même avec la poésie qui se situe au delà, à côté du sens, et va chercher ce qui nous touche, nous trouble, nous surprend, convoque des images nouvelles, rassurantes… et tout cela ne s’explique pas, il se vit. Cet état là, j’en ai besoin chaque jour, tout comme le sport, une façon physique de s’harmoniser.

Entre absence/présence, enracinement/déracinement, déplacement/dépassement. Comment la langue poétique, plus précisément la musique, pourrait-elle être cette terre promise, éternelle où toutes les valeurs humaines, au-delà des frontières géographiques, peuvent-elles cohabiter en toute symbiose?

La vie nous met tous face à la façon dont on est au monde, en interrogeant les distances, et les attentes, les absences et les présences, les sensations d’incomplétude. Cette quête, cette convocation  d’une terre intérieure, de repères, peut exister en effet comme je le disais plus haut avec la musique. Puisque la musique ne connait pas de frontières, et que dès lors qu’elle nous touche nous sommes face au non filtre des émotions, puisqu’elle fait résonner les sentiments existentiels, ce qui est intrinsèque à l’homme. Comme le théâtre classique nous montre que les préoccupations des hommes n’ont pas changées, la musique transcende elle aussi le temps et l’individualité. Chanter me permet de toucher à plus grand, plus haut que moi, dans un rapport sacré à la vie (certainement pas religieux, mais habité).

Dans le chant demeure l’humain : sa vie, son vécu, sa mémoire, son existence. En fait, comment avez-vous tissé ce lien poétique voire musicale entre le fado et le yiddish, votre langue émotionnelle? Le passage de l’un à l’autre était si facile? Qu’avez-vous trouvé de commun entre ces deux territoires, ces deux univers différents et hétérogènes?

Oui ce passage a été facile et évident. Le fado, sans que je comprenne réellement pourquoi m’a toujours bouleversée, comme une musique familière. Cette évidence me questionnait, car je ne suis pas portugaise, et pourtant c’était comme si j’avais entendu cela depuis toujours. C’en est devenu une obsession, je n’écoutais que cela, et j’ai fini par comprendre que je voulais chanter ces chants. Mais à ma manière, évidemment, n’étant pas une fadista. Lorsque j’ai découvert que le quartier d’Alfama avait été un ghetto au Moyen Age, et que la langue yiddish, par les diasporas a voyagé, que le Portugal a été une terre d’accueil… puis la découverte de la collaboration entre Amalia Rodriguez et Alain Oulman, comme Amalia a propulsé le fado à l’international  j’ai compris que cette familiarité coulait de source, qu’elle émergeait de par l’histoire même, et que toutes les musiques populaires sont animées d’un même souffle vital, d’une féroce nécessité de témoigner, de dire le plus sincèrement possible l’état des âmes. C’est justement ce qui différencie ces univers qui les renforce, et permet des mélanges, des pas de côtés, des rencontres tout complément. La langue yiddish sonne plus aride et moins ronde à côté du portugais; comme tout œuvre traduite, un autre regard, un autre son apparaît.

Vous êtes une éternelle voyageuse. En fait vos déplacements ont-ils influencé votre style notamment ce retour nostalgique en Russie et Pologne?

Je ne suis pas aussi voyageuse que ce que je voudrais ! Mon « style », cette nostalgie qui me colle à la peau, est plutôt la résultante de mon histoire, mes origines familiales, les récits que je m’en suis fait et la fascination et l’attrait inexplicables pour cette Europe de l’est familiale là…
L’Europe de l’Est a été comme un point de départ géographique, un endroit où commencer. Mais la rencontre avec d’autres, et ma soif de découvertes musicales continuent de m’emmener explorer d’autres langues, d’autres rythmes, d’autres musiques. Et j’espère que cela ne s’arrêtera pas de sitôt !

Que représentent pour vous :

Violoncelle :
Mon instrument préféré ! Celui dont j’emporterais le son sur une île déserte.  Celui que j’ai pratiqué quasi 10 ans. Son timbre charnel et rauque, le répertoire, la façon de le tenir contre soi… c’est un instrument qui ne parle pas à ma raison mais à mes sens, dont je ne peux pas me passer. La découverte du concerto de Dvorak par Rostropovitch, la Sicilienne de Fauré et la sonate de Brahms sont des pièces qui continuent de m’accompagner très souvent.  A défaut d’avoir continué, je travaille avec nombre de violoncellistes ! Mon dernier coup de cœur : le disque Paris-Moscou du violoncelliste Christian-Pierre La Marca, en duo avec la pianiste Lise de la Salle.

Théâtre :
Une rencontre déterminante dans ma vie. Notamment enfant  avec la pièce Mademoiselle Else de Schnitzler. Je découvre plus tard le théâtre russe, et les mises en scène de Fomenko. Contrairement à son usage répandu, je lis énormément de théâtre, autant que je vais en voir. Même si la musique a pris les devants, le théâtre, les mots, la poésie et les langues restent une source d’inspiration, de rêverie fondamentale.

Léah Goldberg :
Léah Goldberg, entre autre poétesse, femme de lettres, sait user des mots pour décrire le sentiment du déracinement. Elle indique deux lieux de naissance. Officiellement l’Allemagne, en ; mais en remplissant une fiche d’inscription pour une association d’auteurs israéliens elle déclare La Lituanie.  Je citerai cela d’elle :
« peut-être que seuls les oiseaux migrateurs, connaissent, lorsqu’ils sont suspendus entre ciel et terre, la douleur de deux patries.
Avec vous, j’ai été plantée deux fois, avec vous les pins j’ai poussé, et mes racines dans deux paysages différents ».

Propos  recueillis par Mohamed Nait Youssef

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