Tout au long du mois sacré de ramadan, nos habitudes alimentaires connaissent un changement radical. Il en est de même pour notre rythme de vie, nos habitudes et notre sommeil qui est retardé et écourté. Tous ces changements auxquels se trouve confronté notre organisme, tels les repas rapprochés et tardifs et le sommeil insuffisant finissent par induire des troubles. Parmi ces modifications, il y a les troubles digestifs qui représentent un motif de consultations médicales non négligeable durant le mois de ramadan. Pour mieux cerner ce sujet, nous avons rencontré pour nos lecteurs le docteur Jawad Housni gastro-entérologue, spécialiste des maladies du tube digestif.
Chez une personne saine, ne souffrant d’aucune maladie ou troubles digestifs, la digestion est un processus biologique au cours duquel les aliments de bonne qualité, qui sont ingérés dans des proportions raisonnables et qui appartiennent aux différents groupes d’aliments sont dégradés et transformés en nutriments assimilables, qui traversent ensuite la paroi intestinale pour entrer dans la circulation sanguine pour être utilisés par l’organisme. Ce qui n’a pas été absorbé, ajouté aux cellules mortes de la paroi intestinale devient la matière fécale dans le côlon. C’est dans cet endroit que se forment les déchets qui sont amenés au rectum. Son remplissage amène la défécation, l’évacuation de la matière fécale une à deux fois par jour est un indicateur de bonne santé. Si vous allez à la selle régulièrement, c’est que votre système digestif et votre transit intestinal fonctionnent bien.
Mais durant le mois de ramadan, force est de constater que pour de nombreux citoyens, les habitudes culinaires et hygiéniques changent complètement. On jeûne pendant 16 heures, on ne mange rien, on ne boit rien et soudainement, au moment de la rupture du jeûne (Ftour), on se jette sur les différents plats qui ornent la table du Ftour. On se gave de nourriture, on mange de tout harira , chabakiya, dattes, crêpes, batbout, mssemen, beurre, fromage, miel, œufs, café, thé, tagine…
On avale tous ces mets à grande vitesse, on ne mastique pas bien et on s’allonge en attendant le diner et le Shour.
Ces changements peuvent avoir des incidences sur la vie quotidienne, entrainant dans leur sillage des réactions de l’organisme, des symptômes douleurs et crampes abdominales, des nausées, des ballonnements, des flatulences.
Ces symptômes surviennent généralement après les repas (ftour, shour…).
D’autres signes sont aussi présents tels des maux de tête, des nausées et vomissements, des brûlures d’estomac, des douleurs dorsales, des troubles du sommeil, ce qui finit par gêner sérieusement les activités professionnelles et sociales de ceux qui en souffrent.
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Interview avec Docteur Jawad Housni, gastroentérologue
«Les troubles digestifs pendant le ramadan ne doivent pas être négligés»
Propos recueillis par Ouardirhi Abdelaziz
Al Bayane : Quelles sont les maladies digestives les plus fréquentes durant le mois de ramadan ?
Docteur Jawad Housni: Avant de rentrer dans le vif du sujet et de répondre à votre question, je tiens à préciser que le jeûne du mois de Ramadan est très bénéfique pour le corps et pour l’esprit. Il a un impact considérable sur la purification de l’âme, l’affinement des mœurs et la consolidation de la condition physique.
En général pour une personne saine, le jeûne n’occasionne aucun dégât sur la santé, à condition bien entendu de se nourrir correctement.
Concernant les divers problèmes de santé qui concernent le tube digestif au cours du mois de ramadan, il faut souligner que dans notre pratique quotidienne durant ce mois, ce sont les troubles digestifs qui sont un motif très fréquent de consultations et nombreux sont les patients que je vois chaque jour pour les mêmes problèmes. Il faut savoir que ces troubles sont souvent bénins, mais ils ne doivent pas être négligés car ils sont parfois l’expression d’une maladie plus grave.
Dans le registre des troubles les plus fréquents, il y a l’indigestion secondaire à un repas important et lourd, une irritation de l’estomac, ce qui va entrainer des douleurs et le patient se plaint de sensations de brûlures au niveau de son estomac avec des remontées acides, depuis l’estomac jusqu’à l’œsophage.
Il y a aussi les troubles dyspeptiques qui représentent la première cause de consultation en gastro-entérologie. La dyspepsie est apparemment plus fréquente au cours du mois de Ramadan. L’apparition de symptômes dyspeptiques relève d’une mauvaise alimentation au moment de la rupture du jeûne du fait de l’association fréquente et excessive d’aliments trop gras, trop sucrés, trop épicés, d’excitants (café, boissons gazeuses…), ce qui a pour conséquence une irritation digestive à l’origine de douleurs.
Qu’en est-il des personnes qui se plaignent durant le mois de ramadan des remontées acides dans leur œsophage et qu’on désigne par «Gir ou Hourgha» ?
Vous faites allusion au reflux gastro-œsophagien. C’est un trouble digestif très courant qui résulte d’un relâchement du sphincter inférieur de l’œsophage qui, physiologiquement, se referme dès le passage du bol alimentaire dans l’estomac pour éviter la remontée du contenu gastrique. Cette défaillance entraîne un reflux d’acide et provoque des brûlures de la paroi œsophagienne, à l’origine des douleurs caractéristiques du reflux gastro-œsophagien.
Lors du jeûne du Ramadan, la modification de l’alimentation après le repas du ftour privilégiant des aliments riches en lipides et en glucides qui vont directement agir sur le relâchement du sphincter inférieur de l’œsophage s’accompagne d’une augmentation de la sécrétion d’acide gastrique à l’origine des douleurs au niveau œsogastrique et d’un ralentissement de la digestion. Les changements alimentaires en termes de qualité (repas riches en graisses) et de quantité (prise importante et tardive d’aliments, juste avant le sommeil) favorisent la survenue du reflux gastro-œsophagien.
Que pouvez-vous nous dire au sujet des douleurs et troubles de l’intestin, dont souffrent de nombreuses personnes surtout durant ce mois?
Il faut savoir qu’il s’agit du Syndrome du côlon irritable. Un motif de consultation relativement fréquent chez les gastro-entérologues, en dehors et tout au long de ce mois de ramadan. Le Syndrome du côlon irritable concerne toutes les tranches d’âges. Toutefois, on note une prédominance chez les personnes adultes durant le Ramadan, et ce sont les femmes qui sont les plus touchées.
Le syndrome de l’intestin irritable est considéré plutôt comme un trouble fonctionnel et comme son nom l’indique, il s’agit d’un mauvais fonctionnement sans lésions apparentes au niveau de l’intestin. Quant au terme syndrome, qui signifie un ensemble de symptômes à type de douleurs abdominales, de ballonnements et de troubles du transit (constipation, diarrhées).
Le patient se plaint de ballonnements, et de flatulences (émission des gaz) qui sont source de spasmes et de crampes douloureuses.
Concernant la constipation et sa fréquence, il faut dire que le jeûne est apparemment à l’origine d’une plus grande fréquence de troubles intestinaux où la constipation est prédominante. Cette dernière serait la conséquence directe du déséquilibre engendré par le manque d’apport hydrique du lever au coucher du soleil, ce qui contraint l’organisme à réduire les pertes. L’organisme ne répond plus à la soif pour compenser les pertes externes et puise l’eau dans ses ressources internes, les selles deviennent consistantes, dures, le transit est difficile, ce qui explique la constipation.
Quand le colon est très irritable, il réagit très facilement par de la diarrhée.
Dans les deux cas, que ce soit la constipation ou la diarrhée, ces troubles du transit peuvent être alternés ou associés. Le point commun, c’est que la personne qui souffre de colopathie est mal à l’aise avec son ventre quasiment au quotidien.
Parmi les causes et les facteurs déclenchants du syndrome de l’intestin irritable, il y a les troubles psychologiques (stress, anxiété … ), dont les femmes sont plus sujettes et l’association fréquente et excessive d’aliments trop gras, trop sucrés, trop épicés, d’excitants (café, boissons gazeuses…). Et comme c’est souvent le cas lors du mois de ramadan, on assiste à un grand changement des habitudes alimentaires auxquels s’ajoutent des changements horaires qui vont modifier la qualité et la quantité des repas, ce qui n’est pas toujours le bon choix.
Que pouvez – vous nous dire au sujet des malades ulcéreux et Ramadan?
L’estomac utilise des sucs gastriques pour dégrader la nourriture que nous avalons. Pour le protéger de ces substances très puissantes, il est recouvert d’une muqueuse très épaisse. Mais lorsque la régénération de cette paroi est perturbée, son irrigation insuffisante ou la corrosivité ambiante trop importante, une lésion peut apparaître. C’est l’ulcère qui peut – être partiel ou total.
Il faut savoir qu’ il y a quelques années, la maladie ulcéreuse causait de très grands problèmes de santé durant la période de ramadan, et était en tête de liste des affections prises en charge dans des situations d’urgences au niveau des hôpitaux publics.
Longtemps, on a attribué l’origine de l’ulcère à des facteurs psychosomatiques. Mais aujourd’hui, on sait que 99 % des ulcères sont dus à une bactérie appelée Helicobacter pylori. Cette découverte a permis de révolutionner le traitement de l’ulcère, qui se focalise désormais sur l’élimination de cette bactérie.
Il faut savoir que le traitement de l’ulcère est essentiellement médicamenteux. La prise en charge nécessite la prise concomitante de médicaments diminuant la sécrétion d’acide gastrique et d’antibiotiques éliminant la bactérie Helicobacter Pylori.
Mais ceci dit, on peut rencontrer des ulcères en poussée qui se révèlent pendant le ramadan, des ulcères qui peuvent se compliquer. Donc les malades qui sont suivis pour ulcère, doivent savoir qu’il y a certaines précautions à prendre, que les traitements prescrits par le médecin traitant sont à prendre tout en respectant la période de ces thérapeutiques avant, pendant et après le ramadan dans le but de bien protéger leur estomac et d’éviter toutes complications possibles.
Quels sont vos conseils pour éviter les troubles digestifs?
Je tiens à rappeler encore une fois que le jeûne de ce mois béni de Ramadan est bénéfique. Le Ramadan est non seulement une occasion pour se rapprocher de Dieu et de mériter son pardon, mais également un moyen d’acquérir ou de maintenir une bonne santé.
Tout au long du mois de ramadan, il faut veiller à structurer les prises alimentaires autour de 3 repas par jour, en heures décalées. Prendre un petit déjeuner ( Shour ), un déjeuner , à la rupture du jeûne ( Ftour ) et un dîner. Cela permettra de répartir la ration quotidienne et fournira ainsi l’ensemble des macronutriments, ainsi que des vitamines et sels minéraux indispensables à l’organisme. L’organisation alimentaire est alors la même qu’avant, en décalant simplement les horaires des repas.
Équilibrez toujours vos repas en veillant à apporter des aliments de tous les groupes alimentaires (féculents, fruits et légumes, viande, poisson ou œuf, et produits laitiers).
Réduisez votre consommation de graisses, consommez plus de légumes.
Certains aliments sont à consommer avec plus de modération, les pâtisseries, les biscuits, les oléagineux en excès, les viennoiseries…
Éviter de grignoter continuellement tout au long de la soirée. Il est préférable de faire de vrais repas, vos choix alimentaires seront alors plus sains.
Mangez dans de bonnes conditions, en étant assis, à table, en prenant votre temps, mastiquez bien, évitez de manger devant la télévision ou un ordinateur, profitez du repas tout simplement.
Hydratez-vous tout de long de la soirée, par petites prises régulières afin de ne pas encombrer votre estomac par de trop grandes quantités de liquide.
Évitez les boissons gazeuses, elles peuvent provoquer des flatulences, inconforts digestifs, remplissent l’estomac d’air et peuvent couper l’appétit.
Arrêter ou du moins réduire la consommation du tabac qui peut favoriser la sécrétion d’acidité et aggraver le reflux. Il ne faut pas se coucher juste après le repas, en particulier si vous êtes sujets à des reflux. Évitez les vêtements trop serrés et apprenez à gérer votre stress. De même, il est conseillé de pratiquer une activité physique régulière, nécessaire pour entretenir un bon transit digestif.