Après son adoption, en 2011, par l’Union Européenne et 33 autres pays, la Convention dite d’Istanbul visant l’élimination et la prévention de toutes les formes de violence à l’égard des femmes, la protection des victimes, la poursuite des coupables et la promotion de politiques s’attaquant aux inégalités de genre avait été ratifiée par la Turquie en 2012.

Pourtant, en cette année 2020, la liste des «féminicides» au pays d’Erdogan n’a pas cessé de s’allonger puisqu’à ce jour ce sont 163 femmes qui ont été assassinées et que cette triste tendance est appelée à s’accentuer à l’heure du coronavirus et de son lot de «confinement» et d’arrêt de travail avec tous les problèmes financiers y afférents.

Mais, en dépit d’un bilan aussi peu glorieux, Ankara envisage, néanmoins, de se retirer de la Convention précitée confirmant, par-là, la dérive réactionnaire entreprise par l’AKP, le parti du Président, sous l’impulsion de ces petites factions islamo-nationalistes qui, pour ne point déclarer ouvertement qu’elles sont «d’accord avec les violences contre les femmes et les enfants» et qu’elles désapprouvent l’égalité des genres prônée par ladite Convention, se contentent d’affirmer qu’elle «érode les valeurs familiales». Le vice-président de l’AKP, Numan Kurtulmus, ira, tout de même plus loin, lorsqu’il affirmera que ce traité est un outil de «propagande homosexuelle aux mains des LGBT et d’éléments radicaux».

Il n’en fallait pas plus, pour pousser les organisations féministes du pays à maintenir, malgré la répression policière, une forte présence dans les rues d’Istanbul et des principales villes du pays pour dénoncer la décision prise par le régime et appeler toutes les femmes à «revendiquer la convention, leurs droits et vies (car) la seule autorité habilitée à prendre des décisions sur ce sujet, ce sont les femmes elles-mêmes».

«Si le traité et le droitétaient entièrement appliqués, nous ne perdrions pas autant de femmes. L’égalité des genres doit être intériorisée. Des écoles aux domiciles et aux quartiers, des lieux de travail à la justice, il faut un programme pour mettre fin aux violences. La convention d’Istanbul peut être un guide à cet effet » souligne l’activiste Selin Top.

Le hashtag #istanbulsözlesmesiyasatir (#appliquezlaconventiondistanbul) étant devenu omniprésent sur les réseaux sociaux, l’opposition au pouvoir d’Erdogan s’en est immédiatement emparé et s’est lancé dans une vaste campagne d’éducation politique par le biais de panneaux, fascicules et autres flyers réclamant la mise en œuvre des dispositions prévues par ladite Convention. 

Ainsi, après avoir été, en 2012, le premier pays à ratifier cette Convention, la Turquie va être, cette fois-ci, avec la Pologne, un des premiers pays à la dénoncer. Or, pour Ilayda Kocoglu, militante féminine et ancienne vice-présidente, à Istanbul, du Parti républicain du peuple (CHP, opposition), «l’absence de convention risque d’exacerber les attaques et d’isoler un peu plus les femmes dans la société». Aussi, en rappelant que « le mouvement le plus puissant en Turquie a toujours été celui des femmes», cette dernière a invité ses compatriotes à se « tenir côte-à-côte (pour) empêcher quiconque de briser cette solidarité».

Mais si, au début du mois d’Août la puissante association Femmes et Démocratie (KADEM) dont la vice-présidente n’est autre que Sümeyye Erdogan Bayraktar, la fille du chef de l’Etat, avait reconnu que la Convention d’Istanbul contribue à la lutte contre les violences domestiques et «n’encourage pas l’homosexualité», force est de reconnaitre, toutefois, que le président turc Recep Tayyib Erdogan est d’un autre avis puisqu’il a clairement affirmé, vendredi dernier, qu’il penche en faveur d’un retrait dudit traité car «un accord, une règlementation ou une idéologie qui sape les fondations de la famille n’est pas légitime».

Qu’adviendra-t-il, en ce cas, du traité d’Istanbul visant l’élimination et la prévention de toutes les formes de violence à l’égard des femmes ? Attendons pour voir…

Nabil El Bousaadi