Nabil El Bousaadi
En l’espace de quelques mois, Ankara, qui, en 1923, avait été sortie du désert anatolien par le régime d’Ataturk pour accéder au rang de capitale et qui a fini, ces dernières années, par succomber à la frénésie immobilière des islamo-conservateurs de l’AKP, s’est drapée, aujourd’hui, d’un nouveau costume.
Les sculptures ringardes et les répliques géantes de dinosaures érigées durant le mandat de Melih Gökçek, l’ancien maire pro-Erdogan de cette mégalopole de 5 millions d’habitants de 1994 à 2017, y ont laissé la place à des parcs rénovés devenus de merveilleux espaces de détente, à de nouvelles pistes cyclables et à ce nouveau pont qui enjambe cette grande avenue séparant deux rangées de gratte-ciel qui aurait coûté, à la nouvelle mairie de la ville, quelques 45 millions de livres turques.
L’initiateur de cette transformation spectaculaire de la capitale turque n’est autre que Mansur Yavas, son nouveau maire, qui s’est attelé, depuis son élection en mars 2019, au «relooking» d’une ville sans âme et sans charme où le béton régnait en maître absolu.
Mais qui est cet homme issu des rangs de l’opposition qui, après avoir donné ce nouveau visage à la capitale turque et démultiplié les initiatives à succès, semble déranger profondément le président Erdogan qui y voit même un dangereux rival pour les élections de 2023?
Membre du Parti Républicain du Peuple (CHP) Mansur Yavas qui a été élu, en mars 2019, maire d’Ankara avec 50,9% des voix face au candidat de l’AKP, le parti du président qui détenait la ville depuis 25 ans, a déclaré, à l’issue de ce scrutin qu’il n’entendait pas agir «au nom d’un parti » mais en tant que «maire de toute une population».
Considérant, par ailleurs, que la religion doit rester une affaire personnelle et étant marié à une femme non voilée contrairement au président de la république, il avouera préférer « perdre l’élection municipale plutôt que d’instrumentaliser la religion » faisant, par là, un pied-de-nez au président Erdogan qui, par le biais d’un interventionnisme militaire soutenu en méditerranée orientale, vise clairement à devenir le leader mondial des musulmans.
S’étant abstenu de commenter aussi bien l’interventionnisme militaire de la Turquie que la reconversion de la basilique Sainte-Sophie en mosquée, Mansur Yavas ne s’est pas empêché, néanmoins, d’entamer de nombreuses réformes bien loin du clientélisme de son prédécesseur. Multipliant les rénovations urbaines telles que l’aménagement de pistes cyclables et l’embellissement des parcs tout en faisant appel aux énergies renouvelables, le nouveau maire d’Ankara a mis en place une « démocratie participative ».
Ainsi, même si, parmi les 25 communes que compte la province, 19 sont encore contrôlées par l’AKP qui tente de bloquer certaines initiatives, le Conseil de la ville comprend, désormais, 500 organisations relevant de la société civile qui sont appelées à débattre avant tout nouveau projet et les appels d’offres y sont, désormais, diffusés sur les réseaux sociaux.
Ayant trouvé à son arrivée, une mairie endettée à hauteur de 2 milliards de dollars et un métro inachevé, Mansur Yavas a procédé, d’emblée, au lancement d’une cinquantaine d’enquêtes et de procédures judiciaires pour «corruption» et «dilapidation de deniers publics» notamment.
En outre, dès le début de la première vague de la pandémie du Covid-19, le nouveau maire d’Ankara a multiplié les initiatives en invitant, par exemple, ceux qui en ont les moyens à régler les achats effectués par les nécessiteux auprès des épiceries puis en rachetant les invendus auprès des agriculteurs et en les revendant à bas prix ou même en les donnant gratuitement à ceux qui sont dans le besoin. Même les chats et les chiens des rues qui se sont retrouvés sans nourriture du fait de la fermeture des restaurants n’ont pas été oubliés dans cette distribution et la gratuité de l’accès au réseau internet a bénéficié à tous les écoliers pour qu’ils puissent étudier en ligne.
Mais si, pour l’heure, toutes ces initiatives semblent plaider incontestablement en faveur du nouveau maire d’Ankara et faire beaucoup d’ombre au président et à ses hommes, qu’en sera-t-il si Mansur Yavas venait à représenter le Parti Républicain du Peuple aux prochaines élections présidentielles et à faire face à Recep Tayyip Erdogan? Attendons pour voir…