Un homme exceptionnel dans son apport scientifique et son engagement politique pour son pays

A la mémoire de Germain Ayache

Dans le cadre de son programme «Des sommités dans la mémoire », la Fondation Fikr pour le développement, la culture et la science a organisée, jeudi 7 juin, un colloque national autour de l’héritage intellectuel de l’éminent historien Germain Ayache.

Initiée en partenariat avec le département de la culture relevant du ministère de la Jeunesse, de la culture et de la communication, l’association marocaine pour la recherche historique et l’université Mohammed V, cette rencontre scientifique tenue à l’amphithéâtre Charif Al Idrissi à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat, a connu la participation d’une pléiade de professeurs, intellectuels et acteurs politiques.

Une assistance nombreuse d’intellectuels et étudiants a suivi avec grand intérêt les témoignages édifiants et émouvants (18 au total) sur l’héritage scientifique de Germain Ayache.

Aux termes de ces contributions, les participants ont été unanimes à mettre en relief l’apport scientifique du défunt à la recherche dans l’histoire du Maroc et à la création d’une véritable école de Germain Ayache en la matière.

Ils ont également souligné son engagement politique pour la libération et le parachèvement de l’intégrité territoriale du Maroc, à travers sa lutte au sein des rangs du Parti Communiste Marocain et de son héritier le Parti du Progrès et du Socialisme dont il était membre, sans oublier ses qualités humaines exceptionnelles, sa droiture, son intégrité et son honnêteté intellectuelles.

Pour nombre d’entre eux, Germain Ayache était le modèle à suivre.

Pr El Hani : Germain Ayache, un grand patriote à honorer

A l’ouverture de cette rencontre, le doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines à Rabat, Pr. Jamal Eddine El Hani a affirmé que    Germain Ayache était un grand patriote attaché à sa marocanité, allant à contre-courant du choix de son père, le commerçant, qui avait opté pour la nationalité française.

Pr Germain Ayache, le militant au sein du Parti Communiste Marocain, était connu pour ses grandes qualités humaines et ses capacités d’éducateur et d’enseignant. Ses contributions à la recherche scientifique et à la réécriture de l’histoire du Maroc en rapport avec la résistance au protectorat se distinguent par leur rigueur et originalité.

Driouech : Baptiser l’un des lieux publics du nom de Germain Ayache

Lui succédant, le président de la fondation El Fikr pour le développement, la culture et les sciences, Mohamed Driouech est revenu en détail sur le choix de la thématique pour rendre hommage à un grand historien et grand militant et patriote marocain de confession juive, confirmant ainsi la richesse de l’identité marocaine avec toutes ses composantes et affluents.

Né à Saidia en 1915, Germain Ayache a grandi à Berkane et à Tlemcen et est revenu à Oujda en tant qu’enseignant avant de se rendre en France pour y parfaire ses études linguistiques.

A 21 ans, il est agrégé et à partir de 1960 il est enseignant à la faculté des lettres et des sciences humaines à Rabat et plus tard directeur de la revue Hespress. Il est décédé en 1990.

Il se méfiait des préjugés, qui le révoltaient. Patriote, intellectuel et politicien lucide, Germain Ayache s’était fixé dès le début le but de servir honnêtement son pays jusqu’à la fin de sa vie, a-t-il noté.

Il participa à la libération de son pays, le Maroc, au sein du PCM, comme il avait lutté de toutes ses forces contre le sionisme et pour la marocanité du Sahara, a-t-il encore fait savoir.

Et le président de la fondation Fikr de proposer de baptiser une institution nationale ou un quelconque lieu ou site public ou encore un monument historique du nom de Germain Ayache pour le graver à jamais dans la mémoire collective de ce pays, dont il était resté attaché jusqu’à la fin de sa vie.

André Azoulay : Germain Ayache l’école et l’innovateur qui fait la fierté de sa communauté scientifique et politique

Rendant un hommage sincère au personnage de Germain Ayache, André Azoulay, conseiller de Sa Majesté le Roi a affirmé que le défunt était l’exemple de la responsabilité en tant que militant, qu’il assumait différemment, du point de vue de la compréhension, et dans la capacité de la remplir.

Il avait cet ADN. Alors âgé de 21 ans, il avait rejoint en 1936 le Parti Communiste et avait très vite donné une posture différente à son engagement, a-t-il rappelé.

Normalement on prenait une telle décision à partir d’un circonstanciel un référentiel, dirait-on aujourd’hui.

Il a également fait savoir que Germain Ayache, l’historien s’est très vite aperçu, que l’étude de l’Histoire du Maroc est faite à partir d’un regard exogène et en concluait qu’elle n’était pas la nôtre.

Ayache s’était donc écarté de cette vision de l’extérieur en émettant beaucoup de réserves et en soulignant la nécessité de ne s’appuyer que sur les archives nationales et les documents authentiques, donnant ainsi la primauté au référentiel endogène et non pas extérieur.

En agissant de la sorte, il a innové à travers la création d’une véritable école pour les Marocains qui soutient une théorie autre que celle que proposent les historiens du protectorat au Maroc.

 Il avait innové en ce qui concerne la théorie sur ce qui a conduit au protectorat français et qui situait les causes à la fin des années 1880, en se basant sur des considérations d’ordre géostratégique. Pour lui, les origines remontent au milieu des années 80.

Il avait aussi fait preuve de beaucoup de vertus et de qualité dans son engagement envers ses étudiants en tant qu’enseignant en optant pour une autre pédagogie dans une sorte de complexité et de proximité active avec eux.

« En tant que lycéen, j’avais suivi une présentation de feu Ali Yata en présence de Germain Ayache sur la situation qui avait tout changé dans ma vie », a-t-il confié.

La famille Ayache comptait aussi d’autres noms comme Albert Ayache, son cousin, un personnage qui avait également marqué son temps. Comme lui, il avait opté pour la lutte du côté des travailleurs et était l’un des fondateurs de l’Union marocaine du travail (UMT), œuvre qu’ont poursuivie d’autres Marocains de confession juive à l’instar de Simon Lévy.

Ce qui laisse entendre un certain déterminisme historique pour comprendre l’engagement syndicaliste de tous ces grands noms, selon A. Azoulay.

Tout en saluant l’œuvre de Germain Ayache, il a souligné qu’il a été cohérent en tous points de vue dans sa démarche et ses engagements, notant que son nom continue à faire école, à évoquer une période glorieuse et à exprimer nos ambitions pour notre pays, le Maroc, a-t-il conclu.

Benabdallah : Germain Ayache est l’une de ces figures nationales qui incarnent la richesse de l’identité nationale plurielle

Dans une allocution au nom du Secrétaire Général du Parti du Progrès et du Socialisme, Azzouz Senhaji, membre du Bureau Politique du parti a félicité la Fondation Fikr pour le développement, la culture et les sciences, la Faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat et  l’Association Marocaine pour la Recherche Historique pour l’organisation de cette conférence en reconnaissance de l’apport de Germain Ayache.

Selon le Secrétaire Général du PPS, l’initiative de «célébrer la mémoire nationale et les sommités de notre pays mérite tous l’estime et les éloges».

La culture de la reconnaissance du statut des pionniers parmi les personnalités nationales est une valeur noble en soi. Elle comporte également la valeur de l’exemplarité et de l’inspiration, en raison des significations qu’elle incarne et qui ne peuvent que renforcer la fierté de notre patrie, et de ce que nous sommes en tant que Marocains, en termes d’histoire et de civilisation, et d’aspiration ambitieuse à un avenir meilleur, ajoute-t-il.

«Votre choix de célébrer le regretté Germain Ayache, ses apports et contributions scientifiques et éducatives n’est pas seulement un bon choix, mais également un choix aux diverses significations profondes qu’aucun œil ne peut rater», précise-t-il.

L’homme est une figure académique dans le domaine de la recherche scientifique historique, un pionnier fondateur, une référence à part entière, un penseur encyclopédique, une école avec ses fondements, un professeur doté des qualités des grands éducateurs, un patriote solide à une époque de grands sacrifices et un authentique progressiste internationaliste, rappelle-t-il.

Je crois fermement que le Maroc, qui a donné naissance à des personnalités remarquables qui ont marqué notre histoire nationale et scientifique comme Germain Ayache est capable de produire de nouvelles générations de penseurs et d’intellectuels novateurs qui influencent positivement leur société, estime-t-il.

Je n’entrerai pas dans les détails des importantes contributions scientifiques de Germain Ayache, étant donné les témoignages et les interventions scientifiques programmées qui répondront à cette question.

Cependant, je veux partager avec vous ma réflexion, selon laquelle le grand professeur Germain Ayache n’était pas seulement un chercheur au sens étroit du terme, mais un porteur d’une vision et d’un projet intellectuel qui découlaient de sa prise de conscience que le premier pas sur le chemin de la prospérité de toute société réside dans la renaissance de sa mémoire, ses cultures et son histoire, sans falsification, instrumentalisation ou interprétation erronée, afin d’avoir la capacité collective de prévoir demain avec plus de confiance et d’assurance, estime Benabdallah.

Il a donc adopté une approche scientifique originale, qui dévoile en toute clarté les faits de l’histoire et montre les lacunes de certaines lectures du passé. En atteste à juste titre l’intérêt le plus extrême et le plus méticuleux qu’il accordait aux documents historiques authentiques et à la réécriture d’une période importante de notre histoire, de manière impartiale et objective, loin de toute platitude ou arbitraire, explique-t-il.

Parallèlement, et tout en consacrant une partie de sa carrière à la recherche scientifique pure et à la supervision, en tant que professeur aux qualités distinguées, à l’encadrement de toute une génération de chercheurs, Germain Ayache est resté attaché aux aspirations de sa société marocaine et à son patriotisme. Il était l’une des figures nationales et des noms scientifiques éminents qui incarnent la richesse de l’identité nationale plurielle dans le cadre de l’unité avec ses divers composantes et affluents.

Sur cette base, et tout en rappelant que Germain Ayache a été un dirigeant responsable dans les rangs du Parti Communiste Marocain (PCM) dès ses débuts, et qu’il a toujours été un militant fidèle à son parti, le Progrès et le Socialisme, il a sans aucun doute joué, en tant qu’intellectuel progressiste et un Marocain juif, un rôle pionnier dans le développement de la pensée de la gauche marocaine, à travers ses contributions ininterrompues sur les pages de la presse du parti et sa présence dans les grands moments de ce parti.

Cet homme présent parmi nous, par son héritage intellectuel, a toujours joui du respect et de l’estime au sein de notre parti, qui est toujours fier de l’appartenance de Germain Ayache, autant que nous le sommes de toutes les sommités nationales parmi les Marocains juifs et de tous les grands noms de la lutte qui ont formé la génération pionnière dans les rangs du Parti du Progrès et du Socialisme, qui a une histoire de quatre-vingts ans, conclut Benabdallah.

Ismail Alaoui : Germain Ayache, le militant du PCM et l’intellectuel organique est un modèle

Parlant dans son intervention de la personne de Germain Ayache, telle qu’il l’avait connue de près pour l’avoir côtoyé en tant que militant au sein du Parti Communiste Marocain et du Parti du Progrès et du Socialisme et en tant qu’être humain qui mérite tous les éloges, son camarade de lutte et actuel Président du Conseil de la Présidence du PPS, Ismail Alaoui a indiqué que le défunt constituait pour lui un modèle.

Après la marocanisation du PCM, a-t-il dit, Germain Ayache avait été élu au Comité Central au sein duquel il s’acquittait de son devoir de manière exemplaire.

Selon lui, Germain Ayache le militant et le chercheur, se distinguait par son style, son honnêteté et sa droiture. Il n’avait jamais eu de problème ou de différend avec personne parmi ses collègues au travail ou ses camarades au parti, car il tenait à être l’ami de tous avant le camarade.

«Pour moi, il représentait le modèle », a-t-il affirmé, notant qu’il ne va pas répéter ce qu’il avait déjà dit à ce propos dans une précédente contribution à une rencontre organisée, il y a quinze ans, en hommage à l’apport scientifique de Germain Ayache.

Selon lui, Germain Ayache avait toujours fait preuve de rigueur et de sérieux dans ses démarches et comportements de tous les jours.

Au moment où son père avait opté pour la nationalité française dans le but de bénéficier de facilités dans le cadre de ses activités commerciales, Germain Ayache avait choisi d’honorer et de servir sa nationalité marocaine, et ce dès son jeune âge.

Durant ses brillantes études, il s’était spécialisé dans l’étude des langues anciennes et avait plus tard approfondi l’apprentissage de la langue arabe.

Après l’agrégation dans la littérature, il avait fait des études d’histoire et de retour au Maroc il s’était penché sur l’étude des archives et des documents maghzéniens.

Il était très lucide dans sa vision et démarches et il représentait « le modèle et la référence pour moi », a souligné Ismail Alaoui.

Germain Ayache n’était pas idéaliste au sens philosophique du terme, mais plutôt matérialiste comme il était objectif et positiviste dans ses recherches et études en tant que marxiste-léniniste.

En tant que chercheur et militant, il était très attentif et précis dans ses observations en appelant toujours à s’appuyer sur les documents authentiques et à faire preuve de prudence dans l’étude et l’écriture de l’histoire du Maroc et en particulier durant la période du protectorat. Il insistait dans ce cadre sur la nécessité de se méfier des versions et des écrits colonialistes à commencer par la terminologie utilisée et les causes avancées.

Evoquant la position du défunt au sujet de la Palestine et Israël, Ismail Alaoui a souligné que feu Germain Ayache a toujours rejeté le sionisme qui vise, selon lui, non seulement les Arabes et les Palestiniens, mais également les Juifs.

Pour lui, le peuple palestinien n’est pour rien dans tous les malheurs dont les Juifs étaient victimes durant des siècles en Europe. Et il n’y a donc pas de raison pour qu’il paie pour les atrocités commises par les Européens et les Nazis en particulier à l’encontre des Juifs.

« Réagissant à un article que j’avais écrit au lendemain de la guerre de 1967, suite à la défaite des armées arabes et dans lequel j’avais  condamné le comportement sioniste, Germain Ayache n’avait pas hésité à m’appeler au téléphone pour m’exprimer ses félicitations pour les idées que j’y avais défendues ; moi qui ne m’attendais pas à un tel remerciement», raconte Moulay Ismail Alaoui.

Selon lui, Germain Ayache était un homme de principes qui se distinguait par de nombreuses qualités, rarement réunies chez un seul personnage : modèle, modestie, sérieux, assiduité, responsabilité.

Il mérite en effet tous les honneurs et éloges de la part de tous : chercheurs, historiens, politiques et patriotes.

Au terme des témoignages présentés, nombreux sont les étudiants et les chercheurs présents qui ont tenu à rendre hommage à feu Germain Ayache et aux organisateurs de cette conférence, qui leur a permis de découvrir de nouvelles facettes de l’apport scientifique, politique et patriotique de ce grand penseur.

Pour sa part, la Fondation Fikr pour le développement, la culture et la science a promis de publier prochainement les actes de ce colloque, organisé dans le cadre de son programme « Des sommités dans la mémoire».

M’Barek Tafsi

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