Une première rencontre vendredi à Moscou

Turquie-Arménie

La Turquie a confirmé mercredi une rencontre à Moscou entre son envoyé spécial et celui de l’Arménie en vue d’amorcer le dialogue entre les deux pays qui ont une longue histoire conflictuelle depuis le génocide de plus d’un million d’Arméniens en 1915.

La première rencontre entre Serdar Kilic, ancien ambassadeur de Turquie à Washington et Ruben Rubinyan, vice-président de l’Assemblée nationale d’Arménie, aura lieu vendredi à Moscou, selon le ministère turc des Affaires étrangères.
Les deux responsables ont été nommés par leurs pays respectifs, à la mi-décembre, en prélude à une normalisation et à l’établissement de relations diplomatiques entre Ankara et Erevan.
La Turquie avait aussi annoncé la reprise prochaine des vols directs entre les deux capitales, suspendus depuis 2020, mais sans donner de date précise.

De son côté, l’Arménie avait levé, dès le 1er janvier, son embargo sur les produits turcs en vigueur depuis un an.
Le 30 décembre dernier, le chef de la diplomatie turque, Mevlut Cavusoglu, avait annoncé que la première réunion entre les représentants spéciaux aura lieu en janvier 2022.
Les deux envoyés échangeront « une feuille de route définissant les mesures à adopter », avait-il déclaré à la chaîne de télévision « 24 TV ».

 L’espoir de renouer avec les voisins arméniens        

Devant la petite gare en basalte noir d’Akyaka, dernier arrêt avant l’Arménie, les rails sont abandonnés aux oiseaux et aux chiens errants depuis près de 30 ans.

Dans ce recoin de l’extrême nord-est de la Turquie ceint de montagnes enneigées, à 10 kilomètres de la frontière arménienne, la reprise de contacts officiels entre Ankara et Erevan, près de 30 ans après leur rupture, attise l’espoir de la population qui attend beaucoup de la rencontre prévue vendredi à Moscou entre les envoyés spéciaux des deux pays.
« Depuis la fermeture de la frontière en 1993, notre région est l’angle mort du pays, verrouillée de toutes parts », résume Engin Yildirim, directeur de l’association des commerçants d’Akyaka. « La frontière, c’est notre seule porte vers l’extérieur ».

Deux ans après son indépendance en 1991, la frontière s’est refermée à cause du conflit du Nagorny Karabakh qui opposait l’ex-république soviétique d’Arménie à l’Azerbaïdjan, allié de la Turquie.
Depuis cette rupture, le trafic est suspendu et toute la région comme assoupie, avec une hémorragie de sa population.
Akyaka est devenue « la gare de la nostalgie » pour ses habitants. Tout le contraire de la fébrilité qui l’habitait avant, quand les convois s’y croisaient dans les deux sens.

« En 91, les gens se sont rués de part et d’autre de la frontière pour se retrouver. Pendant deux ans, c’était l’effervescence », se souvient Vedat Akçayoz, historien local et spécialiste des minorités.
Aujourd’hui, puisque le conflit du Karabakh est réglé grâce à l’accord signé sous les auspices de Moscou, après une résurgence du conflit en novembre 2020, « le dernier obstacle » a été levé, estime-t-il.
« Le gouvernement est pour la réouverture et je crois que l’Arménie aussi », renchérit M. Yildirim. « Les habitants ici suivent ce qui se passe avec sérénité. Nous, on a aucun problème avec les Arméniens, ni eux avec nous », assure ce quadragénaire.
Après la désignation des émissaires – Serdar Kilic pour la Turquie et Ruben Rubinyan pour l’Arménie -, Erevan a annoncé fin décembre la levée de l’embargo commercial sur les produits turcs décrété en 2020, lors de la dernière guerre du Karabakh.

« On faisait de bonnes affaires avec les Arméniens », se souvient Husseyin Kanik dans son échoppe à Kars (la capitale régionale à 50 km d’Akyaka), posant devant l’armoire réfrigérée où s’empilent ses fromages, la spécialité de Kars.
« Certains parlaient très bien turc, sans accent » reprend M. Kanik. Même du temps de l’URSS, « ils arrivaient avec des fourrures et des samovars et repartaient avec nos produits… On va revenir aux jours anciens », se réjouit-il.
Devant son hôtel, l’ancienne demeure de riches Russes, bâtie en 1896, Gaffar Demir aussi fait le pari de la paix. « Alors qu’on a une route, une voie ferrée, on n’a aucune relation avec les Arméniens! » s’insurge-t-il en espérant l’afflux prochain de touristes arméniens.

La présence du consulat d’Azerbaïdjan et d’un hôtel « Karabag » à proximité n’est pas un sujet.
« Pour tous, il est plus que temps que les gens vivent en paix », insiste Vedat Akçayoz en rappelant la dimension multiculturelle de la région, où se côtoient Turcs, Arméniens, Géorgiens, Azéris, Kurdes et de nombreuses minorités.
Personne n’évoque le point noir des relations turco-arméniennes, le génocide de plus d’un million de civils arméniens en 1915 qu’Ankara refuse de reconnaitre, évoquant des « massacres des deux côtés ». Un monument édifié sur la route entre Kars et Akyaka ne salue que la mémoire des « victimes turques ».

Mais le gouvernement arménien a de lui-même proposé de laisser « 1915 » de côté dans les discussions qui s’amorcent.
« Pendant la guerre froide, nous avons été élevés dans l’hostilité envers les Arméniens: pour les gens de Kars, ‘Arméniens’ était une insulte », rapporte l’ancien maire de la ville, Naif Alibeyoglu, très engagé pendant son mandat en faveur d’un rapprochement avec l’Arménie au milieu des années 2000.

« Il peut y avoir des éléments fanatiques, mais il n’y a aucune animosité entre les peuples » assure-t-il, se disant « très enthousiaste pour le processus de normalisation en cours ».
« On se ressemble tellement, on rit et on pleure des mêmes choses. Nous avons vécu ensemble pendant mille ans ici », appuie son frère, Alican Alibeyoglu, fondateur de la chaine de télé locale Serhat TV, impatient d’envoyer ses reporters « en Arménie.

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