AZIZ, l’intellectuel révolutionnaire, qui a su lier la pensée à l’action

Au 40ème anniversaire de sa disparition

L’oraison funèbre prononcée par feu Ali Yata

Aziz ! Oh toi le plus précieux des camarades, des amis. Ainsi tu nous quittes, sans avertir, ni prévenir, nous étions pourtant ensemble jusqu’aux dernières heures de la nuit du vendredi au samedi, jusqu’au matin, où nous discutions fraternellement ensemble, comme à l’accoutumée. Jamais nous n’aurions prévu qu’il s’agissait là de notre ultime rencontre.

Comme il nous coûte de ne pas avoir été à tes côtés, pour les derniers instants.

Combien nous sommes affligés de ne pas avoir pu recueillir tes dernières paroles.

Notre douleur et notre affliction sont multiples par le fait que tu es mort loin de la patrie et des tiens, de tes proches, de tes camarades, tes amis, ceux qui t’aimaient, loin du peuple prolétaire.

Comment t’invoquer, ô toi le père d’Abdelkrim, quand tous les glossaires du monde ne suffiraient pas à traduire notre peine et notre tristesse !

Comment te pleurer, quand les larmes et les sanglots sont incapables de porter l’ampleur de notre douleur.

Et quelles condoléances pour une perte de cette envergure, quand ta disparition représente une véritable catastrophe nationale, alors que tu nous as quittés au fait de tes capacités, au summum de tes potentialités, tandis que la patrie et le peuple avaient un besoin précieux de ton concours et de ton expérience.

La tragique nouvelle, celle de ton départ à jamais, a présenté pour nous, et tous ceux qui te connaissent et t’appréciaient, un choc qui nous a frappé de plein fouet.

Il ne pouvait pas en aller autrement pour nous qui connaissions si bien ta vie, qui avions lutté avec toi !

Au parti, nous te connaissions depuis trente et un ans. Et nous pouvons attester que cette trentaine d’années a été remplie par un combat mené sans répit ni interruption.

Nous savons que tu avais rejoint les rangs de la lutte depuis le plus jeune âge, avant même ton adhésion au Parti.

Tu avais perdu ton père très tôt et c’est ta mère qui t’avait élevé et qui éduqua tes frères et ta sœur de la façon le plus appropriée, malgré la modestie de ses moyens matériels.

Mais tu savais te contenter de peu. Depuis ton enfance, tu avais appris à compter essentiellement sur tes propres moyens, tu as appris et poursuivi dans tes efforts grâce à ta seule volonté.

C’est ainsi que tu achevas avec succès tes études secondaires au lycée d’Oujda, obtins la licence de droit à Rabat, décrocha le diplôme de troisième cycle à Toulouse, puis accédas au titre de Docteur d’Etat à Grenoble.

Mais de pair avec tes études universitaires, tu parvins à acquérir une culture générale, ample, autant littéraire qu’artistique et scientifique, tout en te spécialisant dans les sciences économiques et notamment dans son rapport au Tiers Monde. Ta culture avait fait de toi un intellectuel d’envergure encyclopédique, de premier plan. Tu étais devenu une référence.

Il me souvient que tu avais adhéré au Parti communiste marocain alors que tu étais tout jeune, poursuivant tes études, en 1951 : tu n’avais que vingt ans.

À cette époque, le peuple marocain se préparait à franchir une étape décisive dans son long et ardu combat pour l’indépendance et la libération.

Sur le-champ, tu en as participé à la direction, en prenant des responsabilités, en affrontant les difficultés, en acceptant les sacrifices, à un moment où cette promotion politique était plus un fardeau qu’un honneur.

C’est l’intelligence supérieure, la clairvoyance, la maîtrise dans l’analyse scientifique, la compétence alliée au sérieux et à la maturité qui t’habitaient, qui expliquent la confiance placée en toi par tes camarades.

Cette promotion politique vint accompagner ton intégration à l’université en tant que professeur en sciences économiques.

Depuis cette époque, tu luttais en même temps sur trois fronts : l’enseignement, la lutte politique et la recherche scientifique.

Ainsi, tu dispensais des enseignements aux facultés de Rabat et de Casablanca et à l’ISCAE. Tu as donc formé des générations d’intellectuels, de spécialistes : combien aujourd’hui, parmi eux qui sont des cadres au poste de décisions dans le pays !

Tu avais tenu à rester à l’université, Professeur et formateur de la jeunesse, alors qu’il était permis –si tu l’avais voulu – d’espérer accéder aux plus hautes responsabilités, occuper les plus hautes fonctions, bénéficier des plus grands privilèges, vivre dans le faste et l’opulence, en laissant de côté la voie ardue du combat pénible, plein de périls.

Sur le front politique, tu assumais pleinement la tâche de membre de la direction du Parti. C’est avec ton concours que toutes les décisions furent prises, durant pratiquement trente années. Ta contribution personnelle dans ce cadre fut spécifiée et précieuse, compte tenu de ta connaissance approfondie du socialisme scientifique, ta maîtrise complète des lois de l’évolution sociale, les capacités personnelles qui s’appuyaient sur une base scientifique, et ta riche et grande expérience.

De même tu jouais un rôle irremplaçable dans l’analyse de la situation économique et la mise au point de plans et programmes de lutte contre le sous-développement, pour garantir le redressement, le progrès, le développement.

Tu te distinguais, également, par ton patriotisme authentique, qui avait trouvé son expression par le biais des liens étroits qui t’unissaient aux réalités de ton pays et de ton peuple, par ton soutien continu à la défense de l’unité territoriale de la patrie, ton combat infatigable pour la démocratie et la justice sociale, ton dévouement à la cause des déshérités, ta ferme conviction dans la nécessité de parvenir à l’union de toutes les forces progressistes et patriotiques, ton action inlassable dans cette direction.

Ton patriotisme de la plus pure eau s’accompagnait d’un internationalisme à toute épreuve, ce qui a fait de toi une figure de prou du mouvement ouvrier international, une personnalité remarquable dans la lutte résolue contre l’impérialisme, le néocolonialisme, le sionisme et la réaction, pour l’unité maghrébine, pour la cause arabe et palestinienne, pour la défense des peuples de l’aurique et du Tiers-Monde, pour la paix et la sécurité dans le monde pour la consolidation des liens de fraternité, de coopération et d’amitié entre les peuples.

Tu te distinguais de même par le travail militant sans relâche que tu menais, surtout pour faire connaître la ligne politique et les idées du Parti. Personne, plus que toi, n’avait tenu autant de conférences. Toutes les villes aspirent à te connaître à travers les meetings, les rassemblements, les réunions, comme ce fut le cas pour les instances régionales et internationales.

Mais parallèlement, tu avais une production journalistique dense. Tu prenais la plume pour défendre la patrie et le peuple et propager les positions du Parti, ses principes, ses programmes. Combien nombreux sont les articles que tu rédigeas, surtout dans le domaine économique, qui sont aujourd’hui une richesse dont nous sommes fiers et un héritage sur lequel nous veillerons jalousement.

Sur le front de la recherche scientifique, tu avais mené à bien des études économiques et financières qui concernaient tant le Maroc que le «Tiers-Monde» et les pays socialistes. Tu avais des contacts avec les universités étrangères, en France, en URSS, en Amérique latine et ailleurs. Certaines de tes contributions furent publiées, alors d’autres devaient l’être.

Ta vie, ô notre Aziz que nous pleurons, fut pleine et remplie d’une activité riche et intense, portée par le dévouement et la fidélité.

Mais en même temps, tu demeurais d’une modestie sans égale, qui touchait à l’effacement, au point que tous ceux qui t’avaient connu, amis ou adversaires, témoignent de ta gentillesse sincère, de ton humanisme profond, de ta courtoisie inébranlable. Ils savent qu’outre tes qualités remarquables de penseur, d’intellectuel, d’enseignant, de dirigeant ouvrier de premier plan, tu étais cher à tes camarades, tes amis, tes étudiants, respecté par tes adversaires politiques, que tu savais affronter avec rigueur et détermination mais aussi en les respectant avec calme et sens de la mesure.

Parmi tes qualités de militant, il en est une qui te distinguait tout spécialement et qui devra inspirer tes camarades restés en vie : Il s’agit de ton attachement exemplaire à la discipline de ton Parti.

Tu défendais, certes tes points de vue avec force et franchise. Mais tu te pliais toujours à la décision collective et aux positions du parti.

À ton honneur aussi, que les hautes fonctions ne pouvaient te corrompre : outre le fait que tu tenais à poursuivre dans ton métier d’enseignant universitaire, on ne peut oublier qu’à la fin des années 1950, quand tu occupais une haute place dans l’appareil de l’Etat, le Parti te demanda pour des raisons politiques de renoncer à cette fonction. Et nous nous rappelons parfaitement que tu n’hésitas pas une seconde à obtempérer, alors que d’autres, eux refusèrent…

La meilleure preuve que tu n’avais pas cédé devant les offres et les prébendes, c’est que tu quittes la vie sans biens ni richesses, alors que tu aurais pu, si tu l’avais voulu, amasser une fortune importante.

Mais plus que tout, combien grande était ta générosité, ô père d’Abdelkrim.

Ta porte demeurait toujours ouverte à tous ceux qui s’y présentaient. Ton domicile était pratiquement devenu une annexe de l’Université, où les étudiants n’hésitaient pas à se rendre pour que tu leur prodigues conseils, aide et recommandations.

Tu ne disposais pour vivre que de ton salaire, mais malgré cela, tu aidais financièrement le Parti. Plus que cela encore, tu avais insisté pour que tes indemnités perçues en qualité de vice Président du Conseil communal d’Ain Diab lui soient versées, alors que ta commune se souviendra de toi comme d’un conseiller actif, toujours au service des citoyens et du bien du public.

O notre regretté Aziz. En vérité, tu représentais un modèle vivant, un exemple brillant d’intellectuel révolutionnaire, qui avait su lier la théorie à la pratique, la pensée à l’action, le patriotisme à l’internationalisme qui appliqua d’une façon vivante et créatrice, le socialisme scientifique aux données concrètes de notre pays qui puise ses racines dans la civilisation islamique.

Comment s’étonner que le Parti soit fier de toi, de ton militantisme dans ses rangs. Ils ne se trompaient pas les camarades, quand ils faisaient de toi un symbole du Parti, et quand il leur arrivait de dire que c’était le parti de Aziz Belal, sans avoir à en dire plus parce qu’il n’existait qu’un seul Aziz Belal au Maroc, toi. Toi dont l’exemplarité est rarement produite par l’histoire.

Voilà pourquoi tu vivras parmi nous, à travers les milliers de camarades que tu as formés, à qui tu as servi et tu serviras d’exemple, à travers les milliers de cadres que tu as instruits d’une façon si valable, à travers des générations entières d’intellectuels dont tu étais le meilleur éducateur.

Oui, tu vivras parmi nous, car la bonne graine ne meurt que pour donner de nouveaux épis, et tu étais de ceux-là.

Nous sommes convaincus, au moment où nous portons en terre ta dépouille mortelle, avant que l’herbe ne pousse sur ta tombe, tes idées et ton haut axe, tes idées et ton haut exemple auront germé dans les cœurs de milliers de jeunes et frayé leur voie pour se propager à travers les générations et l’arène de la lutte.

Tu vivras pour nous, car tes camarades sauront s’inspirer de tes valeurs militantes et nobles, de ta probité révolutionnaire hors de prix.

Immanquablement, ils tireront des enseignements en matière de fidélité au parti, à la classe ouvrière, aux masses populaires, et de dévouement au service des causes de la patrie et du peuple.

Ils apprendront beaucoup de toi. Toi qui fus un militant courageux, humble et réfléchi. Un militant qui ne fuyait pas devant les difficultés et les dangers. Un militant qui sut rester ferme et résolu, dans les conditions ardues de la clandestinité, comme à l’ère de la légalité, qui n’est pas pour autant facile… Un militant qui sut être, dans toutes les épreuves que traversa le Parti, un de ses piliers, un de ses bastions.

Permettez-nous, cher et regretté camarade Aziz, de déposer ta dépouille mortelle dans sa dernière demeure, tandis que ton étoile continuera de scintiller au firmament du parti, et que ton action bénéfique continuera d’éclairer notre voie.

Nous te jurons de poursuivre le chemin à l’élaboration duquel tu avais participé, et dans le défrichement duquel tu jouas un grand rôle.

Nos condoléances les plus attristées vont à ta femme, notre camarade, à tes frères, à tes deux fils Abdelkrim et Youssef, à tes cousins venus de l’Algérie sœur.

O Aziz, tu as fait ton devoir, tu as accompli ta tâche toute ta vie durant, à l’égard de ta patrie, de ton peuple, de ton Parti. Tu es mort dans l’accomplissement de ton devoir.

Hommage à toi ! Que le salut soit sur toi, pour ta vie et pour ta mort!

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