Je vais lui faire la surprise

Mais je savais qu’elle m’écoutait
Alors j’ai continué à raconter :
J’étais économe sur le budget
Je gérais les allocations et ma retraite, seul
Je faisais les courses, seul
Y compris les couches pour les jumelles
Je payais le loyer et les factures
J’achetais les légumes et la viande
Il fallait juste qu’elle les accommode
Bref ma femme et mes enfants ne manquaient de rien
Mais pour les relations intimes, je n’avais rien
Voilà pourquoi je voulais divorcer.
La dame a pris une longue inspiration
Puis elle a dit dans une longue expiration
Difficile de placer un son :
«En cas de divorce, c’est vous qui sortirez
C’est à la mère que le domicile conjugal sera attribué
Entre une belle-mère et une mère
Pour un.e juge, l’évidence du choix c’est la mère. »
Je lui ai donné raison puisque j’avais moi-même
Été élevé par une marâtre qui me maltraitait.
Elle a poursuivi sans me laisser parler:
«Apparemment, même chez vous vous êtes à la retraite
Alors que vous êtes à la retraite.
A l’école : votre femme ne peut pas les y conduire
Parce qu’elle fait le ménage chez les autres.
Cette femme vit dans la misère
Les allocations des enfants, elle les voit de loin
pourtant qui mieux qu’elle connaît leurs besoins.
Quand elle a fini le ménage chez les autres
elle revient s’occuper du vôtre. »
Elle m’a confié comme un secret :
« Monsieur, des enfants de six ans
ne mettent plus de couches depuis longtemps
elle doit les rapporter contre un peu d’argent ».
« Qui, au juste, avez-vous épousé ?
Une épousée serait respectée
une employée serait rétribuée
elle est gréviste
c’est du hors piste ! »
«Vous n’avez pas les règles du jeu
votre couple ressemble à ce jeu :
vous imposez les ingrédients à votre candidate
et elle doit s’affairer à les accorder, bonne pâte».
Elle a conclu, essoufflée :
«Dès lors que c’est la mère qui gère la maisonnée
élabore les menus et cuisine pour ses ouailles
c’est elle qui doit toucher les allocations familiales».
Si je me décidais à entrer dans cette ère :
adieu ennemie et bienvenue partenaire.
A mon tour d’être sidéré.
Mon plan avait une faille
parce que mon coeur était fêlé.
J’ai annoncé avec gaîté :
désormais c’est chez le banquier de mon égale
qu’arriveront les allocations familiales.
Je ne vais pas lui annoncer
elle verra la bonne surprise
en consultant son relevé.
Je lui dirai d’un ton léger :
«C’est mieux comme ça !»
Emporté par l’enthousiasme, j’ai ajouté :
ainsi, ma femme cessera de travailler
et me tiendra compagnie toute la journée.
Mais la dame recommençait à se figer.

• Avocate et poétesse

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