Le mouton à l’ère de la mondialisation.

Par Abdeslam Seddiki

Nous sommes à quelques jours de la célébration de la fête de « aid al adha » devant intervenir comme il a été annoncé le jeudi 29 juin. Les préparatifs vont bon train et les soucis des familles modestes s’accumulent face à la montée vertigineuse du prix du mouton et de tout ce qui va avec. Bien que le sacrifice du mouton ne constitue pas une obligation religieuse, les familles ont pris l’habitude de le faire et rares sont ceux qui s’en passent. On s’efforce donc par tous les moyens à acquérir cette bête quitte à recourir au crédit à des taux usuraires, ou à vendre les bijoux de famille ou un lot de terrain.  Un véritable calvaire en fait.

Comme le malheur des uns fait le bonheur des autres, ce sont les spéculateurs et les intermédiaires de tous bords qui tirent leur épingle du jeu en saisissant l’occasion pour s’enrichir sur la détresse des pauvres. Les informations qui circulent et s’échangent sur les réseaux sociaux et sur les colonnes de la presse nationale, voire les déclarations émanant des intéressés eux-mêmes, suscitent inquiétude et indignation.  

Tout d’abord, le gouvernement nous a induit en erreur. Alors qu’il n’a pas cessé de claironner à maintes reprises que le marché du mouton est bien approvisionné en recourant à un langage rassurant, il s’est avéré que ce n’est pas le cas dans la mesure où l’offre locale n’est pas suffisante pour satisfaire la demande estimée à plus de 5 Millions de têtes. Ce qui a amené le gouvernement à accorder des licences d’importation à certains intermédiaires, moyennant une prime de 500 DH par tête et une suppression des droits de douane et de la TVA.

 Quant aux prix en vigueur, ils nous laissent franchement pantois.  Contrairement aux années précédentes, où un ménage modeste pouvait se permettre une brebis de 700 à 1000 DH, il faut compter cette année au minimum 2000 DH pour la même carcasse.  Le prix courant se situe entre 3000 et 4000 DH. Ceux qui sont à la recherche des folies des grandeur, une toute minorité bien sûr, vont jusqu’à débourser 5000 DH et plus. Ce qui n’a pas empêché le président de l’Association nationale des éleveurs d’ovins et de caprins (ANOC) de déclarer au journal « Le Matin» que les prix des moutons sur les marchés correspondent tout à fait à la moyenne des bourses des Marocains. (sic). Faut-il rappeler à ce Président que la somme de 3000 DH correspond au salaire mensuel d’un employé payé au SMIG ! Et que dire de ceux qui n’ont pas de revenu fixe ou pas de revenu du tout ?

Qui aurait cru, il y a quelques années, qu’on allait recourir au marché international pour se procurer les moutons de l’Aïd, un secteur dans lequel notre pays assurait largement son autosuffisance.  Si les années de sécheresse ont eu un impact négatif sur le cheptel et la production agricole en général, force est de reconnaitre que la politique agricole suivie au cours des dernières années n’a pas beaucoup servi la paysannerie, notamment en matière d’élevage.  Historiquement, l’élevage a été une pratique paysanne par excellence à tel point que sa répartition était beaucoup moins inégalitaire que celle de la terre comme l’ont montré les différents recensements agricoles. Dans ces conditions, l’élevage jouait un rôle d’amortisseur des inégalités en procurant au paysan un revenu monétaire lui permettant de couvrir un certain nombre d’achats et qui plus est de faire face aux aléas de la sécheresse. Ainsi, à chaque occasion de l’aïd, les paysans éleveurs bénéficiaient de transferts monétaires consistants qui viendraient renforcer la monétarisation du monde rural et doper la demande intérieure.  

Mais cette résistance de la paysannerie a des limites au point qu’actuellement   la situation a changé de fond en comble.  Abandonnée à son sort, ne pouvant plus assurer l’alimentation de son modeste troupeau à cause du renchérissement des fourrages et autres aliments de bétail, elle se trouve acculée à s’en débarrasser à vil prix au profit des intermédiaires et des gros éleveurs qui disposent de moyens suffisants et ont un accès facile au crédit et aux subventions publiques. Il n’est pas exclu dans de telles conditions que le paysan pauvre, non seulement n’élève plus de cheptel, mais se trouve obligé de recourir à l’achat    du mouton au même titre que les citadins.  Il s’agit d’une transformation sociale profonde du monde rural marqué par la prolétarisation progressive de la paysannerie et sa paupérisation. En fin de compte, l’argent déboursé pour l’acquisition du mouton, qu’on pourrait estimer à plus de 10 MM DH, ne profite pas au monde rural et ne constitue pas un moyen de dynamisation de l’activité économique, comme ce fut le cas auparavant, mais plutôt une simple rente pour les intermédiaires et les grossistes spéculateurs.  Tout ceci avec la bénédiction de l’administration.

Non seulement, nous sommes en train de payer   les frais des choix faillis, mais d’hypothéquer l’indépendance de notre pays dans un domaine sensible dans lequel on disposait d’atouts réels et d’un savoir-faire incontestable. Nous avons la chance d’avoir une paysannerie profondément ancrée dans l’histoire, une paysannerie laborieuse qui dispose d’une dextérité et d’une expertise sans égal qu’il faudrait valoriser. Avec un minimum de moyens, cette paysannerie serait en mesure de créer des merveilles et devenir le fer de lance d’un développement agricole autocentré et orienté vers la sécurité alimentaire de notre pays.

Il est grand temps de rectifier le tir et se fixer comme seul objectif notre souveraineté alimentaire et l’amélioration du niveau de vie de la population et en premier lieu de la paysannerie laborieuse.  On ne peut pas imaginer toutes les souffrances physiques et psychiques que ressentent les masses populaires, et une bonne partie des classe moyennes pour acquérir le mouton de l’Aïd. C’est un sacrifice incommensurable qui grève lourdement leur pouvoir d’achat   pour aujourd’hui et les jours à venir.  Je termine ce propos en vous souhaitant à toutes et à tous BONNE FETE. Avec ou sans mouton !

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