L’embargo américain contre Cuba : Une situation anachronique

En débat demain à l’AG de l’ONU

Mohamed Khalil

L’Assemblée générale des Nations unies s’apprête, comme elle le fait chaque année depuis trois décennies, à adopter, demain mercredi 23 juin 2021, sa nième résolution, appelant à la levée du blocus économique américain de Cuba. Une résolution non contraignante, d’ailleurs comme plusieurs autres restées lettres mortes, qui rappellent que le droit international est, comme celui des Nations, l’expression de domination des grandes puissances, loin de toute démocratisation progressive.

Cela est devenu un rituel annuel auquel les représentants des Etats s’adonnent, sans grande conviction d’un résultat tangible, sachant que Washington a tout le temps voté contre la décision de la communauté internationale, avec la parenthèse de l’abstention de 2016 sous le mandat d’Obama … pour voir, plus tard, Trump remettre, en 2020, La Havane dans la liste des pays terroristes et aggraver les sanctions contre l’île. Une l’attitude qui rappelle celle des puissants aux décisions stupides, rancunières et vindicatives, même si les temps ont changé…

Les longues décennies…

Tout a commencé depuis le débarquement raté de la baie des cochons, en 1960, à la suite de l’éviction de Batista, l’homme aux ordres de Washington, quand la CIA avait encadré et entrainé des exilés cubains pour tenter de déloger Fidel Castro et le parti communiste cubain…

Depuis,  face à l’échec et à l’humiliation qu’il a engendré, une multitude de lois, depuis les présidents Eisenhower, Kennedy… et d’autres, dont le dernier n’est autre que l’imperturbable Trump, ont été adoptées par l’Exécutif américain afin de museler et d’isoler Cuba sur la scène internationale.

Et pour quelles raisons ?

Ce ne sont plus les expropriations, par Cuba aux lendemains de la Révolution, des entreprises américaines ou des gros propriétaires cubains qui justifie la politique hostile vis-à-vis de La Havane.

Second alibi pour Washington, l’Union soviétique a disparu de la carte géopolitique et stratégique du monde. Nous sommes loin, également, de la décennie 1970 du siècle dernier quand les guérillas latino-américaines contre les dictatures militaires fleurissaient dans le continent. Pas plus que le mouvement émancipateur des anciennes colonies portugaises de Caetano ne sont plus de ce monde, où La Havane ne nie pas son rôle émancipateur  dans la libération de ces anciennes colonies…

Et, paradoxalement, après la fin de l’ex-Union soviétique, les Etats-Unis n’ont pas cherché à normaliser les relations avec Cuba, préférant maintenir le rêve de donner le coup de grâce au communisme en serrant Cuba, en recourant à des justifications liées à des principes tolérés ailleurs sous des ciels plus complaisants (démocratie et droits de l’homme…).

De l’avis général, la loi Torricelli, adoptée dans la décennie 1990, a accru les sanctions contre la population cubaine.

Or le commun des mortels sait pertinemment que le droit international interdit à toute loi nationale, fût-elle de la première puissance militaire mondiale, d’être extraterritoriale. Et donc cette loi ne peut pas s’appliquer au-delà des frontières des Etats Unis.

Plus grave encore est le fait que la fameuse loi Torricelli s’applique à tous les pays du monde. Sans que personne n’ose en rechigner…

Il faudra rajouter à ces dénis de justice la décision prise en 1992, interdisant à toute embarcation étrangère qui accosterait  à un port cubain, d’entrer aux Etats-Unis pendant six mois…

Il est clair que l’embargo sanctionne Cuba par un surcoût du transport maritime, le commerce avec les Etats-Unis étant plus fructueux et donc très privilégié. Cela donne lieu à des intermédiaires véreux, en plus de la psychose créée au niveau des transporteurs et la crainte de pénalisation.

Inutile de rappeler, comme le font plusieurs Etats du monde, que « le blocus constitue une violation des objectifs et des principes de la Charte des Nations Unies et du droit international » qu’il est « un acte d’agression et de guerre économique qui brise la paix et l’ordre international ». Et, enfin, qu’il s’inscrit en faux contre « les  règles du commerce universellement reconnues et la liberté de navigation ».

Des lois sclérosées, obsolètes

La loi Torricelli menace de sanctions tout pays qui apporterait une aide à Cuba. Le montant de l’amende infligée aux contrevenants à cette règle est défalqué de l’aide américaine au pays concerné, au point que plus aucun pays n’ose s’aventurer à aider Cuba.

Après cette loi léonine, l’administration Clinton avait adopté, en 1996, la fameuse loi Helms-Burton qui a fait couler énormément d’encre sur son « extraterritorialité et rétroactivité ». En d’autres mots, par cette loi, Washington sanctionne des « faits » postérieurs à son adoption par le Législatif américain. Ce qui est en contradiction flagrante avec le droit international. La même loi est considérée comme une épée de Damoclès sur la tête des entreprises étrangères et des Etats voulant s’installer ou commercialiser avec Cuba. De fortes amendes sont infligées à toute entreprise qui oserait défier l’embargo américain. Bien des sociétés européennes en ont pays les frais, en payant des amendes à coups de dizaines voire de centaines de millions de dollars…

Dès lors, qui oserait défier le roi de la jungle et la loi du talion..?

Car, contrairement à la coutume internationale, les lois américaines anti Cuba sont appliquées même dans les autres pays, sans qu’aucun Etat n’ose s’indigner sur cette ingérence dans ses affaires intérieures et porte préjudice à sa souveraineté de décision…

Tout cet arsenal juridique dissuade bien des pays et entreprises à investir à Cuba et limite son commerce international avec le reste du monde.

L’on pourra citer quelques victimes de l’absurdité américaine condamnées pour avoir effectué des  transactions financières en dollars avec Cuba : le Crédit Suisse avec une amende de 536 millions de dollars , la Banque néerlandaise ING : 619 millions de dollars… La banque française BNP en sait quelque chose pour avoir subi les foudres de Washington, avec tous amalgames possibles et imaginables…

Mêmes les filiales aux États-Unis des entreprises qui ne se plient pas au blocus sont menacées de représailles …

Cela restreint, drastiquement, le commerce extérieur cubain et expose les investisseurs étrangers à des poursuites américaines.

Il s’agit de sanctions cyniques et hypocrites, les raisons avancées par le passé ne le sont plus aujourd’hui.

Car, plus de trois décennies après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide, il est incroyable que l’Amérique du deuxième millénaire  continue sa vindicte contre Cuba et son acte de vengeance qui affecte lourdement et sensiblement le peuple cubain.

Presque tous las anciens présidents, à l’instar de Carter et Clinton ne cachent plus leur opposition au blocus économique contre le peuple cubain. Plus, ils réclament, publiquement, «  la levée toutes les restrictions financières, commerciales et de voyage ».

Aujourd’hui, le président Biden devra se départir de cette position américaine qui a tant nui à l’image externe de l’Amérique et fait ressurgir l’image d’un Etat qui ne soutient que les dictatures et les despotes. La nouvelle administration devra revoir foncièrement cet embargo aggravé davantage par les impacts de la pandémie du coronavirus sur l’ensemble de la population cubaine.

Le président Biden a l’obligation morale de demander, sans tarder, la levée inconditionnelle de l’embargo par le Congrès américain. Ce ne sera que justice rendue au peuple cubain fortement affecté par la politique du plus fort.

La levée du plus long embargo de l’histoire de l’humanité va permettre aux Cubains de respirer et mieux vivre, surtout en ces temps de pandémie ravageuse.

Le monde d’aujourd’hui a besoin de dialogue, de coopération et de respect de la dignité humaine.

Le locataire de la Maison Blanche a, demain à l’Assemblée générale de l’ONU, l’opportunité de marquer son mandat par un réel changement.

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