Meryem Aassid : «notre vision est d’explorer la chanson amazighe dans toute sa splendeur !»

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Meryem Aassid, 24 ans, est l’une des voix montantes de la chanson amazighe. Passionnée de la poésie, du chant et de la musique depuis sa tendre enfance, la jeune chanteuse a intégré la chorale de l’Institut Royale de la Culture Amazighe (IRCAM), à  l’âge de 7 ans. Du rythme et de la musique dans les veines ! En fin 2018, Meryem et Oussama Chtouki ont créé un projet artistique prometteur : Jazz’amazigh. « Jazz’amazigh » est le fruit d’un amour, d’un partage musical, d’une envie d’exprimer une identité plurielle. C’est un jazz en Amazigh, et c’est un amazigh en jazz », a-t-elle fait savoir. Et d’ajouter : «notre vision est d’explorer la chanson amazighe dans toute sa splendeur, en la faisant sortir des sentiers battus ». Entretien.

Al Bayane : De prime abord, qui est Meryem Aassid ?

Meryem Aassid : J’ai envie de dire, « non, elle n’est pas que la fille d’Ahmed Aassid». Excusez ma première réflexion… elle est spontanée. Mais, hélas, je comprends ! Je comprends cette approche familiale, car je sais que j’en serais également coupable en étant en dehors du cadre. Et puis, il faut dire que mon nom est également une fierté. Mais passons. Je suis une fille de 24 ans. Une passionnée de la vie, de la musique et des mots.

Parler-nous un peu de vos débuts. Comment êtes-vous venue à la musique ?

Je pense avoir commencé à chanter dès mon plus jeune âge. Chaque soir avant de dormir, nous avions un rituel familial : chanter une chanson classique amazighe. Honnêtement,  je ne trouvais pas toujours ce rituel amusant; mais nous le faisions quand même, mon frère et moi, pour faire plaisir à papa. Au fur et à mesure, c’était devenu un exercice personnel que je maitrisais de plus en plus. À l’âge de 7 ans, j’ai rejoint la chorale de l’Institut Royale de la Culture Amazighe (IRCAM). A 9 ans, j’ai interprété la chanson de Rais Lhaj Belaid, Taliouin, lors d’un grand événement au Théâtre Mohammed V à Rabat. Mon adolescence était une explosion musicale. J’avais les cheveux longs d’un côté, et courts de l’autre. J’écoutais du Ramones et chantais du Evanescence.

Quel a été le rôle de vos parents dans vos débuts artistiques?

De vrais supporters ! C’est grâce à eux que Jazz’amazigh a pu naître. Vous savez, la résidence artistique de création du premier album s’est déroulée dans la maison familiale à Temara, où les artistes musiciens ont résidé pendant une semaine.

Vous avez livré dernièrement un concert digital lors de la dernière édition du Visa For Music. Pouvez-vous nous présenter votre projet Jazz’amazigh?

Jazz’amazigh est le fruit d’un amour, d’un partage musical, d’une envie d’exprimer une identité plurielle. C’est un jazz en Amazigh et c’est un amazigh en jazz. Concrètement, il s’agit d’un projet artistique que nous avions fondé, Oussama Chtouki et moi, en fin 2018. Notre vision est d’explorer la chanson amazighe dans toute sa splendeur, en la faisant sortir des sentiers battus. On n’y est pas… on n’y est pas encore, mais nous ne comptons pas nous arrêter là!

Pourquoi le Jazz ? Et quels sont les rythmes que vous pratiquez ?

Parce que justement le jazz sort des sentiers battus. Il est libre, ambitieux et courageux ; ce qui nous donne une grande marge d’improvisation et de créativité.

Quant au rythme, il est loin d’être au singulier. Nous plongeons dans tous les rythmes, du Swing, à Ahwach jusqu’à la Samba brésilienne…

La chanson amazighe a beaucoup souffert de ce regard folklorique. Aujourd’hui, les choses ont changé avec des jeunes artistes amazigh (e)s porteurs de nouveaux projets artistiques, tous styles confondus, dépassant les frontières. Qu’en pensez-vous ?

C’est tout ce dont la chanson amazighe avait besoin. Cette dernière est d’une richesse incroyable et elle mérite d’être internationalisée au-delà de son aspect folklorique.

Aujourd’hui, rares sont les personnes qui apprécient réellement les joutes oratoires précédant ou suivant le groove de Ganga et Tallount… et c’est un gâchis car c’est le fond même de ce style musical. Vous savez, certains ont critiqué mon aspect vestimentaire lors du concert digital de Visa for Music : chemise et pantalon patte d’éléphant. Mais c’était justement pour éviter, d’une façon radicale, tout aspect folklorique.

Bien évidemment, les accessoires et les habits amazighs sont d’une beauté extrême ; mais j’ai senti qu’il a fallu sortir de cette bulle pour ensuite l’intégrer autrement.  

Que représente la poésie amazighe pour vous ?

Un trésor ! Il est temps de creuser…

Vous êtes chanteuse et compositrice. D’où inspirez-vous vos textes et chansons ? Est-ce qu’il y a des chanteurs, poètes qui ont influencé votre manière d’écrire et de chanter?

Mon inspiration est cosmopolite. Elle part d’Albnsir, Tihihit, en passant par Ella Fitzgerald et Amy Whinehouse, jusqu’à Raymond Bidaouia et Hajib.

Aujourd’hui, un bon nombre de musiciens et d’artistes recourent aux plateformes digitales pour mieux faire connaitre leurs univers musicaux. Pourquoi à votre avis?

Je pense que les moyens de diffusion de l’art ont accompagné l’évolution technologique et numérique, et c’est logique.

Aujourd’hui, l’univers digital n’est pas qu’un outil de partage, mais également une forme de ressource pour l’artiste. Après, je ne pense pas adhérer à cette tendance…Vous savez… je suis un peu old school…

Est-il facile aujourd’hui de produire de la musique au Maroc, notamment dans un secteur artistique fragile marqué par l’absence d’une véritable industrie de la musique, où l’informel règne encore ?

Ce n’est pas facile. Créer et innover est naturel, mais intégrer «l’industrie musicale» est une toute autre histoire. Ou plus exactement, l’intégration de l’industrie dans les conditions et les normes «formelles» n’est pas donnée ; particulièrement aux projets artistiques qui s’adonnent à des approches nouvelles.

Comment avez-vous vécu la période du confinement, notamment avec l’annulation des festivals et la fermeture des centres culturels et artistiques?

C’était dur. Loin de l’arrêt de la vie culturelle, je suis une personne très active qui a toujours une mission à accomplir au réveil. Avec le confinement, je me suis sentie impuissante et improductive. Bien évidemment, l’activité culturelle a toujours été présente dans ma vie et son arrêt a réellement eu des répercussions sur ma créativité au début… Mais j’ai pu m’adapter à un certain moment et j’ai beaucoup composé et écrit sur ce que je vivais…Vous savez, certains m’ont dit que la douleur est le premier moteur de l’inspiration… ils se reconnaitront.  

La musique ou le journalisme ?

La musique et le journalisme. Et la musique pour dire ce que je n’oserais pas dire en étant sobre.

Quels sont vos projets artistiques à avenir ?

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