Quel système fiscal pour un modèle de développement efficient?

«Il n’y a pas de modèle de développement qui marche s’il ne s’appuie pas sur un secteur financier solide et diversifié». Les propos sont ceux du patron de CIH Bank, Ahmed Rahou, qui intervenait lors de l’Université annuelle du PPS, organisée samedi à Rabat. L’orateur affirme que le développement du pays est incontestablement inhérent aux conditions de financement de son économie.

Cependant, le secteur financier tel qu’il est aujourd’hui n’est plus en mesure de drainer une épargne longue vers les secteurs productifs et de répondre ainsi aux besoins des investisseurs. L’urgence d’une réforme de ce système se fait sentir avec acuité. La dernière réforme financière remonte à la fin des années 90, comme l’a rappelé Ahmed Rahou, également vice-président de la CGEM. Certes des ajustements ont été introduits depuis, mais leur temps de production demeure relativement long. Ahmed Rahou met en garde contre la lenteur de ces réformes, affirmant que l’inefficacité et la faible diversité du secteur (en termes de nombre d’acteurs notamment) constitue un frein à l’économie nationale.

L’épargne semble aussi mal orientée. Conséquence pour les entreprises : elles ont de plus en plus du mal à se financer auprès des banques. Le constat est partagé par l’économiste Mohamed Benmoussa qui intervenait en réaction à l’intervention du vice-président de la CGEM. Il dénonce une orientation imparfaite de  l’épargne. Sur les 265 milliards de DH distribués en crédits lors des huit dernières années, seulement 60 ont été débloqués en faveur de l’investissement. D’où l’appel lancé par Ahmed Rahou pour poursuivre la réforme afin de « démultiplier les acteurs et les produits. Reste à veiller à diversifier l’offre.

Car, comme l’a souligné Ahmed Rahou, un marché se développe lorsque les acteurs n’arrivent pas tous de la même façon. Le vice-président du patronat a identifié d’autres points sur lesquels il faut agir pour renforcer la contribution du secteur financier dans l’amélioration du modèle économique. Comme nouveau produit, il propose l’assurance de la location immobilière. L’idée est d’encourager l’offre locative en mettant en place des instruments garantissant la mutualisation des risques. Ahmed Rahou considère que la politique destinée à rendre tout le monde propriétaire arrive à ses limites. «Cette politique a entrainé une forte baisse de la mobilité des Marocains. Or, la mobilité constitue l’un des moteurs de l’économie», estime-t-il.

Les mécanismes de cautionnement et de mutualisation des risques doivent être inscrits au cœur de la réflexion autour du nouveau modèle de développement. C’est cela qui permettra aux TPE d’accéder au financement, a souligné Rahou. Les instruments de financement par fonds propres sont également à développer.

Autre point soulevé pour améliorer le système : le rétablissement de la confiance avec la justice. Ce qui fait dire à Rahou que l’excès de garanties qui sont imposées par les banques découle de cette relation de défiance. Pour lui, les juges ne doivent plus uniquement s’appuyer sur l’expertise des experts, mais devraient motiver leurs jugements. D’autant que ces derniers n’ont souvent pas les qualités techniques requises. Dès lors, une meilleure régulation de ce corps s’impose, a insisté le patron de CIH bank. Les experts se voient souvent reprochés de dépasser leur mission et de se substituer au juge.

Par ailleurs, il faudra également envisager une réforme fiscale. Objectif : établir une relation de confiance avec le contribuable. Premier pas à franchir dans ce sens : le règlement des arriérés de paiement TVA, insiste Rahou. Parallèlement, il est indispensable de contrôler l’ouverture du marché. En effet, le futur modèle de développement devrait apporter des mesures à même de réduire le poids de l’informel. Par contre, l’ouverture sur les marchés financiers devrait être consacrée. Ce qui impose une révision de la règlementation de change afin de mettre fin aux entraves à la liberté d’investir à l’étranger.

Hajar Benezha

L’économie sociale à la rescousse

C’est connu : le modèle économique actuel n’a pas permis de mettre fin à la mauvaise redistribution des richesses. La création d’un nouveau modèle d’entreprise s’impose avec force.

Le Maroc a déjà franchi le pas en s’ouvrant sur l’économie sociale et solidaire. Celle-ci peine toutefois à trouver sa place, bien que le nombre de coopératives et de fondations ait augmenté au cours de ces dix dernières années. Intervenant lors de l’Université annuelle du PPS, Mounir El Ghazoui, vice-président du Réseau marocain de l’économie sociale et solidaire, a souligné que l’absence d’une vision commune ne facilite pas les choses. A cela s’ajoute le retard pris dans l’élaboration et la publication des lois devant réglementer l’entreprenariat social, a-t-il dit. En effet, la filière attend depuis 2011 sa loi cadre dont le projet est toujours bloqué au niveau du Parlement. En attendant le déblocage, El Ghazoui a relevé une série d’erreurs à éviter. Pour lui, l’économie sociale ne doit en aucun cas être considérée comme une filière destinée à lutter contre la pauvreté et le secteur informel. Il résume que la priorité doit être donnée aux secteurs productifs pour augmenter la contribution de l’économie sociale dans le PIB.

D’autres secteurs comme la santé ne sont pas en reste. Des secteurs dans lesquels l’offre publique connait des défaillances. Najib Guedira, économiste et ancien directeur de l’Agence de développement social, a appelé au renforcement du rôle du secteur public. Il en explique l’importance : «nous sommes devenus des otages du privé dont la prestation n’est pas toujours la meilleure», a-t-il déploré. C’est le sentiment de double peine qui anime les ménages. « Nous payons les impôts mais nous devons aussi payer pour accéder aux soins de santé», regrette-t-il.

Face à cette situation, le prochain modèle de développement devrait garantir une rupture dans les modes de gestion et de gouvernance à tous les niveaux. Le rajeunissement des postes de responsabilité pourrait contribuer à l’amélioration de la gestion de la chose publique, d’après Najib Guedira. L’ex directeur de l’ADS prône également l’adoption de la démarche contractuelle. L’idée est d’imposer la gestion axée sur les résultats et par conséquent, d’appliquer le principe de reddition des comptes.

L’investissement dans la santé est essentiel. D’autant qu’il s’agit d’un secteur productif et non de consommation, ajoute pour sa part l’ex-ministre de la Santé, Houcine Louardi.

Par ailleurs, les intervenants se sont également arrêtés sur les défis en matière d’emploi. Mohamed Boutata, ancien secrétaire général du ministère de l’emploi a rappelé les défaillances du marché de l’emploi, notamment le taux de chômage et de sous-emploi qui demeurent élevés. Chiffre à l’appui, le professeur universitaire pointe la prépondérance de l’emploi précaire. En effet, 60% des salariés ne disposent pas d’un contrat de travail. Il reconnait que toute l’attention est portée sur les primo-demandeurs, au détriment ainsi des salariés actifs. En plus de la précarité de l’emploi, le marché se caractérise aussi par un fort taux de chômage chez les jeunes diplômés. Autant de défis que le prochain modèle de développement est appelé à relever!

H.B.

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