Une stabilité relative de la performance durant les quatre dernières années avec des effets significatifs de certaines variables contextuelles
Dr. Abdelali Kaaouachi
Université Mohammed I
Les résultats de l’enquête TIMSS 2019 ont été dévoilés mardi 08 décembre 2020. Cette édition a vu la participation de 64 pays et près de 580 000 élèves. Le Maroc a participé pour la troisième fois consécutive (2011, 2015, 2019) à cette enquête avec 8 830 élèves de la quatrième année du primaire et 9 790 élèves de la deuxième année du collège (selon le ministère de tutelle).
Pour analyser les résultats du Maroc enregistrés lors de cette édition, Al Bayane interroge Dr. Abdelali Kaaouachi, Professeur universitaire, spécialiste en statistique et expert en éducation comparée. Selon lui, la performance en mathématiques et en sciences a connu une stabilité relative durant les quatre dernières années. Elle pourra être améliorée de façon significative sous la condition d’accélérer le rythme de réforme notamment sur les aspects liés aux données contextuelles générées par l’enquête TIMSS.
Al Bayane : C’est quoi l’enquête TIMSS ?
TIMSS est une enquête internationale réalisée, tous les quatre ans depuis 1995, par l’association internationale pour l’évaluation du rendement scolaire. Elle mesure l’état et la tendance dans la performance des élèves en mathématiques et en sciences au niveau de la 4ème année et à celui de la 8ème année de l’enseignement fondamental.
TIMSS porte sur plusieurs domaines de contenu en mathématiques (nombres, géométrie, algèbre, données) et sur plusieurs domaines de contenu en sciences (sciences de la vie, sciences physiques, sciences de la Terre). Elle porte aussi sur trois domaines cognitifs (connaissance, application, raisonnement).
En plus de l’évaluation par test, l’enquête recueille des données contextuelles à travers des questionnaires adressés aux élèves, à leurs parents, aux directeurs des écoles et aux enseignants.
TIMSS fournit aux décideurs de l’éducation les données essentielles pour la prise de décision relativement à deux matières cruciales qui sont les mathématiques et les sciences.
Al Bayane : Quelle est votre lecture sur les résultats des élèves marocains qui ont participé à l’édition TIMSS 2019 ?
D’abord, nous devons préciser que TIMSS 2019 est la septième édition de l’enquête TIMSS. Cette édition est marquée par la prédominance des pays d’Asie de l’Est (Singapour, Hong Kong, la Corée, Taipei de Chine et Japon) qui se positionnent aux premiers rangs en mathématiques comme en sciences, pour les deux grades 4 et 8.
Les élèves marocains du Grade 4 ont obtenu le score moyen de 383 points en mathématiques et de 374 points en sciences, alors que ceux du Grade 8 ont obtenu le score moyen de 388 points en mathématiques et de 394 points en sciences. En termes de tendance, les résultats montrent que les performances des élèves marocains, des deux grades 4 et 8 en mathématiques et en sciences, ont à peu près au même niveau qu’en 2015, mais nettement supérieures et mêmes statistiquement significatives à celles de 2011.
Entre 2015 et 2019, la performance s’est améliorée de quelques points (en mathématiques, 6 points et 4 point pour la 4ème année et la 8ème année, respectivement ; en sciences, 22 points et 1 point pour la 4ème année et la 8ème année, respectivement). Durant les quatre dernières années, les scores sont demeurés relativement stables sauf pour ceux des élèves du Grade 4 qui ont marqué une progression statistiquement significative en sciences.
Un autre aspect des résultats montre que des parts élevées des élèves ne maitrisent pas les connaissances élémentaires en mathématiques et en sciences (Grade 4 : 57% en mathématiques contre 58% en sciences ; Grade 8 : 59% en mathématiques contre 52% en sciences). Du côté niveau avancé, des parts sont nulles ou presque (0% pour le Grade 8 en mathématiques et en sciences contre 1% et 2% pour le Grade 4, respectivement en ces deux disciplines). C’est un grand malaise d’aujourd’hui qui affecte le défi de préparation de l’élite pour l’avenir du pays.
Les différents pourcentages sur le niveaux de compétences n’ont pratiquement pas changé depuis 2015, sauf pour celui des élèves du Grade 4 en sciences qui a varié significativement (la part 65% des écoliers ne maitrisaient pas les compétences de base en 2015, est réduite à 58% en 2019).
Ces résultats inquiétants ne favorisent pas un rythme de progression significative de la performance permettant d’atteindre l’objectif de développement durable 4 (ODD4) des Nations Unies d’ici 2030, notamment sur son volet d’assurer une éducation de qualité à tous les élèves.
Al Bayane : Quels sont les résultats obtenus relativement aux domaines de contenu et aux domaines cognitifs ?
Les élèves du Grade 4 ont montré une faiblesse dans le domaine mathématique correspondant aux données (374 points). En sciences, ces élèves du primaire sont faibles en sciences de la terre (350 points). En mathématiques, les élèves collégiens ont montré une maitrise importante du domaine de « la géométrie » (413 points) contre une faiblesse dans le domaine « d’algèbre » et celui des « données et probabilités » (370 points et 372 points, respectivement). En sciences, ces collégiens ont une grande difficulté en sciences de la terre (357 points).
Le domaine cognitif relatif à « la connaissance » en mathématiques et en sciences est le maillant faible des élèves marocains des deux grades 4 et 8. Cela pourra s’expliquer par les parts faibles de couverture du cadre de référence de TIMSS des deux matières par le curriculum national.
Al Bayane : Est-ce qu’il y a de différences de performance selon le genre des élèves ?
Le niveau de performance en sciences est désormais similaire des filles et des garçons, avec quelques points d’écart non significatif à la faveur des filles (9 points pour le Grade 4 contre 2 points pour le Grade 8). En mathématiques, le constat est le même en Grade 4 (385 points pour les filles contre 382 points pour les garçons) alors qu’un écart significatif de 5 points existe à la faveur des garçons pour le Grade 8.
Al Bayane : Peut-on expliquer le niveau de performance des élèves marocains en mathématiques et en sciences ?
Il y a plusieurs variables contextuelles qui peuvent affecter la performance des élèves. En plus des tests sur les deux disciplines mathématiques et sciences, l’enquête TIMSS a intégré des questionnaires pour collecter des données du contexte scolaire et personnel des élèves. Assurément, c’est un paquet de variables importantes mais qui ne sont absolument pas exhaustives. Nous allons analyser les liens qui existent entre certaines de ces variables et la performance scolaire.
Par exemple, on sait que le statut socioéconomique (SSE) de l’élève est lié à son apprentissage. L’indice « ressources à la maison » a été utilisé dans l’enquête TIMSS. Au Maroc, 99% des élèves du Grade 4 ont certaines ressources ou n’ont que peu de ressources à la maison. Ceux du Grade 8 représentent 98%. L’écart de performance suivant les catégories de l’indice sont très larges ; cela prouve le lien entre les ressources à la maison et le rendement scolaire.
Un deuxième exemple est la poursuite des études au préscolaire. 31% des élèves du Grade 4 ont suivi un programme préscolaire pendant trois ans ou plus, contre 30% d’entre eux n’ayant pas fréquenté le préscolaire. La différence des scores en mathématiques et en sciences entre les deux catégories est de 55 points et 51 points, respectivement. Cela prouve le lien entre la fréquentation d’un programme préscolaire et le rendement. Ce lien est encore prononcé si les programmes se basent sur les compétences en littératie et en numératie.
Un troisième exemple concerne les ressources pour l’enseignement des mathématiques et des sciences. Davantage d’élèves du Grade 4 fréquentent des écoles caractérisées par le manque de ressources avec un effet plus ou parfois prononcé sur l’enseignement des sciences que sur l’enseignement des mathématiques (93% contre 94%, respectivement). Un écart de performance significatif a été constaté dans les deux matières pour les élèves qui fréquentent une école dont la direction trouve que le manque de ressources a un certain effet ou un effet prononcé sur l’enseignement (508 points en mathématiques et 492 points en sciences) par rapport aux élèves des écoles où le manque de ressources n’a pas d’effet sur l’enseignement (362 points en mathématiques et 340 points en sciences). Le résultat est pratiquement le même pour les élèves du Grade 8.
Al Bayane : Est-ce qu’il y a des aspects positifs relativement aux données contextuelles ?
L’enquête TIMSS a constitué une mine riche d’informations qui nous renseigne de certains aspects très positifs. Ainsi, par exemple, l’attitude des élèves est très positive à l’égard des mathématiques et des sciences (95% des élèves du Grade 4 aiment beaucoup ou parfois apprendre les mathématiques et les sciences). Le même constat s’applique aux élèves du Grade 8.
Un autre élément important est la satisfaction des enseignants. Au quatrième grade, 95% des enseignants de mathématiques sont très ou parfois satisfaits contre 96% en sciences. Pratiquement les mêmes pourcentages s’observent au huitième grade.
Cette satisfaction des enseignants est accompagnée par des déclarations positives des élèves à l’égard de la clarté de l’explication des cours. Ainsi, 97% (respectivement, 96%) des élèves du Grade 4 déclarent une clarté supérieure ou modérée des enseignants en mathématiques (respectivement, en sciences). Le même constat est quasiment porté par les élèves du Grade 8.
Al Bayane : Est-ce qu’il y a des aspects négatifs relativement aux données contextuelles ?
Le développement professionnel des enseignants n’est pas trop pratiqué. En Grade 4, moins de la moitié des enseignants de mathématiques et de sciences ont participé à des programmes de formation continue. Parmi les parts faibles, 18% des enseignants de mathématiques ont suivi une formation sur les technologies contre 23% en sciences. Cela indique que les enseignants avaient une préparation faible sur l’usage des technologies pré-covid 19. Au Grade 8, les pourcentages sont un peu élevés mais tournent globalement autour de la moitié.
D’un autre côté, les ressources et les locaux sont presque inexistants dans l’enseignement des sciences aux élèves du Grade 4. Globalement, les écoles primaires ne disposent pas de laboratoires ni de matériels de sciences.
Enfin, un peu de temps est accordé à l’enseignement des sciences aux élèves du Grade 4 (54h par année contre une moyenne internationale égale à 73h par année).
Al Bayane : Quelles sont les leçons que nous pouvons apprendre suite à l’enquête TIMSS 2019 ?
Le Maroc peut avoir des bonnes positions dans les futurs évaluations de l’enquête TIMSS à condition d’accélérer la réforme de son système éducatif, notamment de mettre en œuvre les dispositions de la Loi cadre 51-17. En particulier, un effort doit être déployé pour adresser les éléments négatifs identifiés dans notre analyse. Ainsi, il est nécessaire d’attaquer les pistes suivantes : généralisation du préscolaire avec la conception des programmes basés sur les compétences en littératie et en numératie ; élargissement des contenus des programmes pour couvrir le cadre de référence de TIMSS (le domaine des données en mathématiques pour les deux grades 4 et 8 ; le domaine des sciences de la terre pour le Grade 4) ; augmentation du nombre d’heures annuel en sciences pour le Grade 4 ; mise en œuvre des programmes de développement professionnel ; équipement des écoles primaires en ressources et locaux pour l’enseignement des sciences.
A notre avis, une bonne mise en œuvre de la réforme de l’enseignement aura des effets positifs pour avoir quelques points de plus dans les futures évaluations de l’enquête TIMSS, mais il reste d’autres aspects spécifiques qui influencent sur les acquisitions scolaires, comme le statut socioéconomique des élèves qui est très déterminant. Sa faiblesse au Maroc ne vas pas aider à réaliser des scores très avancés ni à court terme ni à moyen terme. L’optimisme est pour le long terme afin d’espérer une amélioration de la dimension socioéconomique des familles suite aux orientations du nouveau modèle de développement au Maroc.
Sans trop attendre les fruits de ces orientations qui s’inscrivent dans la durée, le ministère de tutelle pourra fixer l’objectif d’augmentation des pourcentages des élèves qui auront une acquisition des compétences de base, autrement dit les élèves qui auront des scores supérieurs au seuil de 400 points. C’est une piste pouvant inscrire le pays parmi ceux qui vont s’approcher à atteindre l’ODD4 des nations unies à l’horizon 2030.
Al Bayane : Vos derniers mots ?
Nous formulons l’appel de se préoccuper des compétences des élèves en mathématiques et en sciences dès la petite enfance qui est un investissement essentiel du premier ordre dans la science, la technologie et l’innovation (STI). C’est une voie d’envergure permettant de placer le Maroc parmi les pays se basant sur les STI qui auront la capacité d’être les principaux moteurs de son développement économique et social.
Devant cette importance primordiale des mathématiques et des sciences pour l’avenir de notre pays, nous appelons à la création d’une équipe d’experts qui aura le mandat de proposer un plan stratégique pour valoriser les mathématiques et les sciences et renforcer leur enseignement.