Entretien avec Najat Dialmy
Par Noureddine Mhakkak
Najat Dialmy est docteur ès Lettres, professeur de littérature française au centre régional des métiers de l’éducation et de la formation (CRMEF) à Rabat.Elle mène des recherches sur la littérature française et francophone, sur la fiction et son pouvoir. Elle est écrivaine. Parmi ses publications :
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Fiction et argumentation, pouvoir de la fiction et stratégies narratives, essai,éditions européennes universitaires, Sarrebruck, 2011
Amères tranches de vie, recueil de nouvelles, Rabat net, Rabat, 2012
Auteurs à 100%, recueil de nouvelles collectif, éditeur de talents, Casablanca, 2015
Paroles de poètes, Collectif, publications de l’association paroles de poètes, Jurançon, 2015
37…du Maroc, recueil de nouvelles collectif, Broc- Jacquart, Casablanca, 2016
Mémoires d’un professeur, Récit de vie, Editions et impressions Bouregreg, Rabat, 2016
Voix d’auteurs du Maroc 2, Nos indignations, collectif, éditions Marsam, 2018
Voix d’auteurs du Maroc 3, Plumes et pinceaux, collectif, éditions Marsam, 2019
Des miettes de bonheur, recueil de nouvelles, éditions Marsam, 2020.
Voici une interview avec elle. Bonne Lecture.
1- Que représentent les arts et les lettres pour vous ?
La littérature et les arts de manière générale sont une école de vie. En lisant par exemple une fiction, on fait l’expérience de nombreuses vies à la fois. On apprend, on réagit, on agit parfois dans la vie à la lumière de ce qu’on a appris par le biais d’une lecture. On entend souvent dire la fameuse question : A quoi servent la littérature et les arts de nos jours ?
Eh bien, ils continuent à servir à ce à quoi ils ont servi depuis toujours : à divertir certes, à s’évader du quotidien souvent écrasant, mais on y retrouve d’autres aspects de ce quotidien présentés sous différentes formes et qui font que cela devient une école où l’on apprend la vie. On a peut-être raison de dire que le tableau le plus abstrait, le poème le plus hermétique véhiculent une réalité concrète.
Et puis, d’aucuns dénigrent de nos jours la littérature tout en s’adonnant avec délectation au cinéma, musique et chansons. Mais à bien réfléchir, qu’y a-t-il à l’origine d’un bon film ? N’est-ce pas une belle histoire imaginée, un bon texte bien écrit ? Qu’y a-t-il à l’origine d’une belle chanson ? N’est-ce pas un beau poème et de belles paroles saisissantes?
2-Que représente l’écriture pour vous ?
J’aime bien que l’on me pose cette question au lieu de l’embarrassant : pourquoi écrivez-vous ?
On ne sait en général pas pourquoi on écrit surtout dans le cas de l’écriture de la fiction. Mais on sait ce que cela représente pour soi. C’est un besoin vital, une envie incontrôlable de coucher sur papier des idées qui réclament à sortir, qui insistent pour ne pas rester prisonnières dans l’esprit qui les a imaginées et conçues. Je vis l’expérience de l’écriture de la fiction comme une insistance, quelque chose qui s’impose à moi.
Une idée, une image me passe à l’esprit, et c’est le déclic qui va déclencher le tissage de toute une fiction, qui va me solliciter à greffer autour de cette idée noyau une fiction animée par des personnages qui animent à leur tour une action pour aboutir à une fin tracée dans mon esprit dès le début. C’est une expérience magnifique que celle que de créer un monde par des mots !
Pour les articles et essais, mis à part ceux écrits dans le cadre de mes recherches académiques, les autres sont écrits en conséquence à mon interaction avec le monde dans lequel je vis. Certains sujets m’interpellent plus que d’autres ; je me retrouve parfois après un événement, un incident, une scène à laquelle j’ai été témoin, à rédiger un article pour exprimer mon point de vue et attirer l’attention sur tel ou tel aspect du sujet soulevé.
- Parlez-nous des villes que vous avez visitées et qui ont laissé une remarquable trace dans votre parcours artistique.
D’abord, il faut que je vous dise un secret : j’ai la phobie inexplicable de voyager aux pays qui se situent bien loin du Maroc. Je ne pense pas que je pourrais un jour mettre les pieds dans des contrées qui se situent à l’autre bout du globe terrestre, même dans le cas où j’aurais les moyens de faire de tels voyages.
Pour les villes que j’ai visitées, je ne peux dire qu’elles ont laissé une trace sur mon parcours, mais certaines villes m’ont ébranlée sur le plan affectif. D’abord les villes marocaines. Essaouira et Ouarzazate.
Essaouira, la ville où l’on n’a pas vraiment besoin de voiture pour y vivre, la mer qui longe la ville, les mouettes, le climat doux tout au long de l’année… un havre de paix où l’on pourrait mener une vie calme et sereine loin des grandes villes trépidantes.
Ouarzazate, une autre dimension de la variété naturelle de notre pays : oasis et palmiers dans un paysage rocailleux couleur de terre, une nature environnante exceptionnelle ; on a l’impression d’y vivre hors du temps !
À l’étranger, je me rappelle que je suis revenue il y a six ans, bien émue d’un voyage en Andalousie. L’empreinte de la civilisation islamique y est indélébile. El Ambra à Grenade et la grande mosquée devenue église à Cordoue rappellent un passé glorieux et un présent hideux : comment on en est arrivés là après une telle grandeur ?
Voir ces villes et leurs monuments à travers un documentaire ou des brochures et les visiter sont deux choses bien différentes. Y être, s’y promener, cela m’a donné l’impression d’une continuité : d’abord continuité géographique (la nature de l’Andalousie est presque la même que celle du nord du Maroc), et continuité de la civilisation Islamique représentée par des monuments, témoins éternels de la présence glorieuse de nos ancêtres sur cette terre. Je me rappelle que quelqu’un m’avait dit que cette continuité n’existe que dans mon esprit de nostalgique du passé. Je ne sais pas s’il avait raison ou non.
4-Que représente la beauté pour vous ?
La beauté, c’est lorsqu’on se sent saisi devant quelque chose qui fait plaisir aux sens, quelque chose qui apaise et repose, quelque chose qui fait oublier les horreurs de ce monde.
La beauté, ça peut être un beau paysage naturel, une belle personne, mais ça peut être aussi le sourire d’un enfant, le regard d’un animal heureux, une scène à laquelle on assiste dans la rue, une action qui mérite respect et admiration, une lecture qu’on a faite avec grand plaisir, un film qu’on a envie de revoir dès que le mot « fin » apparait sur l’écran…
La beauté, c’est ce qui invite à croire que la vie mérite d’être vécue malgré tout.
5-Parlez-nous des livres que vous avez déjà lus et qui ont marqué vos pensées
Je me rappelle avoir lu durant ma jeunesse Al Hayawane d’El Jahid et Kalila wa dimna d’Ibn al moukafae. Le premier livre m’avait éblouie par sa structure et la très grande richesse de son contenu. Le deuxième, sous forme de petites historiettes dont les personnages sont pour la plupart des animaux, présente un vaste éventail de la nature humaine, variée et changeante. Grâce à ce livre, j’ai fait la connaissance de plusieurs profils humains avant même de les rencontrer dans la vie réelle.
Plus tard, quand mes lectures étaient devenues exclusivement en français par la force des choses, j’appréciais particulièrement Maupassant, Hugo, Poe (traduit) et Voltaire. Il faut dire que ce dernier m’a beaucoup influencée de par sa philosophie, sa conception de la vie et par la manière dont il transmet ses idées dans ses écrits.
Dans la même perspective, parler des livres qui ont marqué mes pensées revient à parler des livres qui ont également influencé mon comportement. En effet, j’ai été amenée dans le cadre de l’élaboration de ma thèse de doctorat, à lire de nombreux théoriciens traitant de l’argumentation et de la logique dont les anciens Platon, Socrate et Aristote et des contemporains. Je peux dire que j’ai été si influencée par leur façon de considérer les choses et par la fameuse maïeutique que cela se répercute souvent dans ma propre façon de voir les choses.
6-Quelle est votre dernière publication ?
Des miettes de bonheur, publié aux éditions Marsam en Janvier 2020. C’est un recueil de seize nouvelles qui présentent notre société sous différents aspects et qui mettent en lumière toutes ces petites choses de la vie qui font qu’on goûte au bonheur, si infimes soient ces moments de bonheur.