“Le visage de mon prochain est une altérité qui ouvre l’au-delà.’’, Emmanuel Levinas.

“Visages envisagés” de Nadia Mihfad : l’Homme à l’état brut !

Mohamed Nait Youssef

À la galerie Mohamed El Fassi à Rabat, Nadia Mihfad dévoile ses “visages envisagés”.  Médecin de formation, l’artiste peintre expose ses œuvres picturales sur les faciès où elle questionne, par le biais de la peinture, l’essence humaine, celle de l’Homme des temps modernes. En effet, les visages de Nadia Mihfad ne sont pas muets, mais ils nous parlent, ils nous interpellent, ils nous dérangent. D’où l’originalité d’une peinture sortant des tripes, des tréfonds de l’âme.   

Une expression humaine dénuée…

À vrai dire, sous la chair, voire la peau de ces visages demeure la douleur, les brûlures, la poisse, le cri et l’expression humaine la plus dénuée. «Pour moi ses représentations sont plus des visages que des portraits. Des visages que je voudrai représenter sans identité, sans sexe, sans âge, sans race, sans repères…etc. En bref, l’Homme à l’état brut. Mon acte plastique émane d’une pulsion profonde qui me guide dans une perpétuelle quête de l’ETRE, de ses angoisses, de ses souffrances, de ses joies et de ses rêves…», explique l’artiste peintre.

Lieu de rencontre avec autrui par excellence, le visage, au-delà de ce simple objet d’identification sociale,  a une voix, un sens et une extériorité. Or, les “visages envisagés” de Nadia Mihfad nous renvoient à cette étrangeté voire  étrange  malaise d’un visage souffrant, perplexe, fragile, ‘’métamorphosé’’ et résistant. «Consciemment ou inconsciemment, je me suis rendu compte, qu’au fil de ma recherche, j’ai fini par mettre en place un «filtre virtuel» de couleur BLEU, comme un acte de grâce pour ses ETRES, pour les accompagner dans leur voyage de résilience. Ceci afin, peut-être, d’atténuer l’horreur qu’ils semblent subir. Ces derniers en paraissent alors plus paisibles et plus pacifiques malgré l’angoisse et les cris qu’ils semblent vouloir exprimer la plupart du temps. Bien que d’autres fois, ils peuvent paraître aussi étonnés, timides, tristes, ou à la limite hébétés. Ce filtre qui au gré des œuvres est devenu parfois rouge, peut être sous l’influence de tous les événements récents horribles et terribles que connaît notre Monde.», a-t-elle révélé. De la douceur dans la noirceur et la douleur… Bleu, blanc, rouge, noir,  la peinture de Nadia Mihfad est en mouvement. Sans titre avec une technique mixte sur toile, les visages sont en quête non seulement d’un visible, d’une individualité, d’un propre de l’homme, d’une éventuelle noblesse du visage, mais plutôt d’un sens profond, d’une immanence latente.  «Dans certaines toiles le sang coule dessous, dans d’autre la chair est à vif. Mais, derrière la douceur apparente ou derrière la violence évidente, le même respect, la même tendresse, la même pudeur se glissent, peut-être aussi la même interrogation. Celle de l’impuissance devant la douleur et le mystère du corps que ces œuvres intensément ou doucement nous posent.», écrivait Véronique Chanteau, photographe plasticienne, sur le travail de l’artiste.

Une «présence vivante»…

Au-delà de l’apparence, le face-à-face fait avec les visages dévisagés de l’artiste on ressent cette «présence vivante», pour reprendre l’expression de  Levinas, de l’humain, du visage qui  se dépouille. En d’autres termes, on ne sort pas indemne de l’univers pictural labyrinthique à la fois des visages de l’artiste peintre.

«Avec tact mais non sans une rage renouvelée, elle arpente l’évidence et le mystère, la visibilité et le dédale de ce que peut être le visage. Médecin pendant longtemps comme urgentiste dans le public à Rabat, intimement imprégnée des traces quotidiennes de son vécu professionnel, elle refuse de s’identifier au moindre cliché, la moindre imagerie.», a affirmé Abdelkrim Chiguer dans son texte du catalogue de l’exposition.

Loin de cette approche plastique simpliste transformant le visage à une simple figure visible ou un objet, l’artiste interroge, par le truchement de la peinture, les problématiques de l’éthique, de l’esthétique, de la métaphysique et de l’essence humaine. Un visage ‘’dévisagé’’ est une sorte de mise à nu, de dénonciation des métamorphoses hantant les imaginaires des hommes des temps actuels. C’est une réflexion profonde sur la destinée d’une humanité partagée dans un monde fou et désorienté.  

«Je dédie ces œuvres aux victimes et sinistrés du récent séisme de l’Haouz ainsi qu’aux victimes et martyres de la Palestine…», a précisé Nadia Mihfad, médecin spécialiste en santé publique et management de la santé à Rabat.

Les œuvres de l’artiste seront visibles sur les murs de la galerie Mohamed El Fassi à Rabat jusqu’au 25 novembre.

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