La pièce de théâtre marocaine «Solo» de la troupe Akoun pour la culture et les arts de Rabat brille de mille feux sur les planches marocaines et arabes. La pièce a décroché le prix «Cheikh Soltane Ben Mohamed A Kacemi» de la meilleure œuvre théâtrale arabe pour l’année 2017 lors du 10e Festival du théâtre arabe qui s’est tenu à Tunis. Et ce n’est pas tout, la pièce «Solo» a été primée et saluée dans différents festivals dont les Journées théâtrales de Carthage où certains membres de la troupe ont remporté des prix. En décembre dernier, «Solo» a pu remporter le Grand prix de la 19e édition du Festival national du théâtre. Rencontre avec le metteur en scène, Mohamed El Hor.
Al Bayane : La pièce de théâtre «Solo» a remporté le prix «Cheikh Soltane Ben Mohamed A Kacemi» de la meilleure œuvre théâtrale arabe pour l’année 2017. Quels ont été vos sentiments lors de la réception de ce prix?
Mohamed El Hor : Nous avons une approche assez spéciale au sein de notre troupe concernant les Prix. Notre projet artistique vise à bâtir à la fois un «théâtre populaire» sans tomber bien entendu dans le populisme et en même temps « un théâtre de recherche et d’expérimentation » sans verser dans l’élitisme. Le projet de la troupe repose sur l’idée de créer un théâtre qui a un interlocuteur précis. Le théâtre d’aujourd’hui doit être à l’écoute du public marocain.
Bref, l’idée des prix est la dernière de nos préoccupations. Le meilleur prix qu’on puisse gagner, c’est la continuité, c’est de savoir si nous allons être consacrés chaque année avec le même produit artistique. Les prix viendront en parallèle comme reconnaissance et confirmation de nos parcours. Quand nous sommes partis au Festival du théâtre arabe, notre objectif n’était pas de rentrer en lice pour obtenir un prix. Notre objectif principal était de donner une bonne image du théâtre marocain. La réception du prix était un moment marqué par la joie non pas uniquement de la troupe, mais de toute la délégation marocaine présente à cet événement et un honneur pour le théâtre marocain. Il faut rappeler que c’est la deuxième fois que le Maroc remporte ce prix, à travers la troupe «Anfass», notamment avec la pièce «Kharif». Cette année, c’est «Solo» qui a pu s’imposer.
«Solo» est une pièce écrite par Mohamed El Hor et Hajar El Hamidi. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce processus d’écriture? Quel commentaire pouvez-vous faire sur la polémique avec Tahar Ben Jelloun autour de la traduction de son texte «La Nuit sacrée»?
Nous avons eu un contact direct par mail avec Tahar Ben Jelloun à la dernière minute après le festival de Carthage. Notre contact était très positif. Ce dernier nous a donné son accord de principe pour poursuivre cette aventure. Nous sommes toujours en contact avec lui. Pour ce qui est du processus de l’écriture, la pièce a d’abord été montée sous forme de projet de mémoire de l’étudiante Khaoula El Hamidi en 4e année à l’Institut Supérieur d’Art Dramatique et d’Animation Culturelle. Elle a travaillé sur la théâtralisation du roman de « La Nuit sacrée ». J’ai préparé le texte afin de le mettre en scène avec elle sous forme de monodrame. Par la suite, l’idée de développer ce travail avec plusieurs comédiens et artistes a émergé.
Ce roman est volumineux. Il fait partie des romans qui ont eu un grand succès dans la littérature magrébine. On y trouve plusieurs thématiques et personnages. Pour le dramaturge, cette grande richesse constitue à un moment donné une entrave pour écrire pour un espace pauvre : la scène. Ce qui nous a ouvert les portes de la réécriture théâtrale, c’est la recherche d’une doctorante canadienne qui cherchait l’impact de Jorge Luis Borges dans plusieurs travaux de romanciers dont «La Nuit sacrée» de Tahar Ben Jelloun. L’influence de Borges dans le roman nous a permis d’explorer d’autres champs de travail.
La thématique principale était la femme et sa libération. Nous avons essayé à un certain moment de la dépasser, d’aller au-delà de l’approche genre, de la relation de la femme avec la société marocaine ou arabe, mais plutôt de mettre en évidence l’homme et de la femme qui vivent désormais dans une crise. Une crise bien entendu de l’Homme, du citoyen qui vit sa liberté. Toutefois, nous avons essayé dans la réécriture de montrer au public la richesse de la «Darija» marocaine, mais une «Darija» poétique, une «Darija» de l’art, porteuse de signes et de significations. Nous avons essayé de chercher une «Darija» «savante» avec un souffle poétique.
Comment la scénographie a-t-elle était conçue, sachant que les scènes ont été présentées sous formes de tableaux ou séquences cinématographiques servis par deux panneaux représentant les différents lieux de la ville? Comment a-t-elle été réfléchie?
Comme le disait Yannis Kokkos, le scénographe grec qui travaille avec Antoine Vitez, l’idée de la scénographie n’est pas la recherche d’un espace où se dérouleront des événements précis, mais la recherche de la matrice qui pourrait être une chose qui n’a aucune relation avec l’espace et les choses concrètes.
Elle pourrait être uniquement une ombre. De la même manière dans la recherche que nous avons faite sur le texte, nous avons trouvé que le personnage se présente comme quelqu’un venu raconter son histoire et corriger l’histoire qui lui a été racontée par plusieurs narrateurs et conteurs. Il donne son avis. C’est comme s’il portait un fardeau comme Sisyphe, le fardeau des choses qui n’ont pas été dites.
Une autre idée sortie du livre était comment présenter Zahra Ahmed qui évoque la prison. Quand elle a été mise en prison, elle n’a pas trouvé de différence entre la prison et le monde extérieur, notamment la rue, la maison où elle a grandi avec son père. En d’autres termes, la prison c’est quelque chose que nous portons en nous. Le mur est un obstacle, un fardeau que nous portons toujours en nous. D’où l’idée d’une scénographie axée sur deux murs, deux panneaux qui donnent une dimension majestueuse pour montrer le corps du comédien écrasé entre eux. En même temps, les deux panneaux nous ont donné un souffle de montage quasiment cinématographique.
La pièce relate l’histoire de Zahra Ahmed, une femme exceptionnelle qui a été obligée de vivre comme un homme. La pièce est un périple empreint de spiritualité et de piété dans laquelle le corps, l’identité et la quête de soi sont omniprésents. Zahra nous fait penser à la fameuse citation de Simone de Beauvoir : «On ne nait pas femme, on le devient». Qu’en dites-vous?
Au-delà de l’idée de la femme ou de l’homme, il s’agit de la question de l’être humain qui vit avec l’autre. Dans l’homme, il y a toujours ce côté féminin et dans la femme, ce côté masculin. Dans le texte, cette idée de la femme qui vit dans le corps d’un homme n’est qu’un prétexte. C’est le prétexte d’ailleurs dans Œdipe de Sophocle quand la pièce commence par la peste qui ravage le peuple. Il ne s’agit pas de la peste, de la maladie, mais comme le disait Hamlet, « il y a quelque chose de pourri dans le royaume». Cette idée de vivre, mais dans la peau de quelqu’un d’autre et qu’on nous impose est une réalité de chaque jour. C’est pour cela qu’on trouve une frustration entre ce qu’on désire, ce dont on rêve et ce qu’on vit quotidiennement.
Quelles sont vos prochaines tournées?
Je pense qu’avec les prix remportés par la pièce au Festival national de Tétouan, les journées de Carthage et au Festival du théâtre arabe en 2017, ce travail sera visionné une deuxième fois par le public. Nous aimerions revenir à la source de notre projet et faire une rencontre avec le public marocain. Nous allons choisir avec soin les lieux où nous jouerons. A l’horizon, plusieurs tournées sont prévues au Maroc, en Europe…
Propos recueillis par: Mohamed Nait Youssef