Exposition «Entre visible et invisible» de Rachid Bakhouz
Par: M’barek Housni*
Oui, et pour en donner une pleine mesure, l’artiste s’emploie à la baigner dans des auréoles accentuées d’un chromatisme d’une variation captivante. Pas n’importe lequel, mais celui qui rend cette mesure effective, autrement dit une présence qui est dominance d’une couleur donnée avec laquelle la toile acquit une entité signifiante.
Aussi avec un choix délibéré de la diversité de l’emploi, ce qu’on appelle le style, cette façon toute personnelle de créer qui est ici le fait de peindre. Usant d’un abstrait heureux, celui qui éclaire et non pas celui qui fait foncer le regard dans le gouffre, les toiles réunis sous le thème de « entre visible et invisible » plonge le regard dans la réalité de ce qui nous dote donc, et avec certitude, de présence : l’alphabet arabe et le monde sous forme de son touché en couleur le plus à même de révéler la vie. Le plus objectivement possible. Car les acryliques sur toile de Rachid Bakhouz inspirent la paix et la sérénité de la plume en roseau, celle qu’on utilisait pour ramener le texte sur la planche de bois naguère, la plume fourrageant dans l’encrier du vécu comme de l’héritage savant et autre, pour la joie de l’expression paisible et saine. On sent que l’artiste est adepte de la recherche artistique posée et non pas de la confrontation directe et violente.
Et on le comprend. L’invisible est ailleurs et dedans à la fois. Pour l’approcher, il faut emprunter le regard du soufi, prendre le chemin qui mène à l’illumination. Cette exposition et ce travail reflètent ce chemin oh combien captivant de trouvailles hautes en couleurs, oserais-je dire sans trembler. Approchons afin d’y voir la réalisation chantonnante en ces abysses donnés à voir par notre artiste.
Chaque toile accueille une première couleur qui survole toutes les autres. Elle s’accapare pour la plupart des cas la moitié ou presque les trois-quarts visibles, même les fois où elle est investie par les autres couleurs qui semblent lui donner le change en un dialogue de tons forts expressifs. Des formes étalées sans en avoir l’air ressortent pour amplifier tout cela et générer un mode de réception de l’invisible épié. Celui-ci et comme on peut s’en rendre compte d’emblée est permis par l’intervention de la lettre. Si présente et si criante, donnant ce parallèle bienvenu à la dimension colorée d’avant. La lettre rehausse l’impression du secret percé de la signification de l’ambiguïté qui recouvre le désir de parole : écrit ou peinture réduits tous deux à leurs composants du début de toute chose.
On s’en étonne. Mais il y a une évidence qui saute aux yeux en relation avec la spiritualité. Celle qui habite Rachid Bakhouz est franche, déclarée, révélée par l’élément naturel et la lettre. Chaque couleur, on aimerait y voir, un pan de ce qui nous entoure en cet univers. Eau, soleil, ciel, terre… que des étendues cadrées par des références auxquelles les couleurs font penser fortement sans qu’elles soient explicites. Surtout celle de la prépondérance puis les autres qui lui sont additionnées. L’ensemble se place du côté de l’incandescent et du flamboyant, mais mêlé à la transparence en des intersections paraissant comme des passages d’un ton à un autre. L’artiste y est impliqué, sa palette yest vive (même dans le froid). Le plus attirant par le sens qu’il recèle est ce « jaune sableux » si bien rendu, si accaparant et si juste.
Alors lorsque la lettre vient y faire sa visite comme un fertilisant, en masculin, portée par le désir de permettre la naissance au monde, qui est immédiateté tout autant que représentation longuement mûrie, c’est l’expression qui est visée. C’est un travail posé, réfléchi, hanté par la durée. De là l’harmonie des composants bien marqués par l’équilibre propre à deux regards juxtaposés.
Le monde est expression, sinon il n’est pas. La démarche de l’artiste réside dans le fait de les mettre côte à côte, miroirs et compléments identifiables l’un pour l’autre. À l’instar des couleurs ayant formes, les lettres en tant que graphies sont déposés à travers une multitude d’emplacements, mêlées ou dissociées, en tous sens et dans toutes les dimensions possibles. Peinture oblige, la lettre sort des carcans linéaires, obturés, condamnés de l’écriture pour être transportées ailleurs dans l’espace de la présence (comme citée ci-haut) inexistante pour elle-même dans son image propre.
C’est un déploiement noueux de la graphie et de la peinture afin de dire la signification d’un autre désir latent : le monde invisible tel quel, passé par l’expérience plastique. On peut y admirer l’une des manifestations avancées par Rachid Bakhouz avec l’installation adjacente aux toiles accrochées. Des seaux et des bassines pleines de lettres de l’alphabet arabe et latin, qui se déversent, qui s’interpénètrent, qui sont étendues sur un fil comme du linge à sécher. Un court film fait aussi pendant à tout cela. Portant le titre de «réfection», on y voit une lavandière (l’actrice Nadia Zaoui) devant l’une des bassines, au bord d’un oued, en train de les laver et de les tordre tels des vêtements qui, justement vont les remplacer. C’est un passage qui révèle notre propos. Les lettres sont chez l’artiste des objets à porter, liées à l’individu : un habillement visible qui cache, sans le faire disparaître, l’invisible, une vérité humaine. C’est bien vu.
À voir à la villa des arts de Casablanca jusqu’au 21 Octobre 2018.
*Écrivain et chroniqueur d’art