Par: Abdeslam Seddiki
S’achemine-t-on vers l’adoption d’une politique de ciblage des populations bénéficiant des aides sociales ? Lequel ciblage mettrait fin à une dilapidation des moyens publics et des détournements déguisés de toutes sortes ? Un pas vient d’être franchi dans ce sens suite à l’adoption par le Conseil de Gouvernement jeudi dernier d’un projet de loi relatif au «dispositif de ciblage des bénéficiaires des programmes d’appui social et portant création de l’Agence nationale des registres».
Il est prévu, à cet effet, la création de deux registres : un registre national de la population (RNP) et un registre social unifié (RSU). Le premier registre est ouvert à tous les personnes physiques marocaines ou étrangères résidant sur le territoire marocain. Il comprend un certain nombre d’informations concernant l’état civil, les empreintes digitales, l’image de l’iris, et «l’identifiant civil et social» selon la règle : une personne, un identifiant. En revanche, le RSU est réservé aux ménages désirant bénéficier des programmes d’appui social géré par les administrations publiques, les collectivités territoriales et les organismes publics. Il va sans dire que l’inscription au RSU passe nécessairement par l’inscription préalable de chaque membre du ménage au RNP. Pour chaque ménage inscrit au RSU, on attribue un score sur la base duquel les aides seraient arrêtées. Ce score fera l’objet d’une révision régulière soit à la suite de la collecte des données nouvelles sur les ménages concernés, soit à la demande de ces derniers.
Pour gérer ce système, il est prévu la création d’une Agence Nationale des Registres sous forme d’établissement public doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Administrée par un CA et gérée par un DG, elle se voit dotée de larges prérogatives qui consistent notamment à gérer les deux registres, à attribuer à chaque personne l’identifiant civil et social (ICS), à donner ses avis sur les questions relatives aux programmes d’appui social, à faire des études d’évaluation desdits programmes,…
Pour ceux qui expriment des craintes sur le respect des données personnelles et de la vie privée des citoyens, le projet de loi est rassurant. L’article 3 stipule que «le traitement des données s’effectue dans le respect de la loi relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel». Qui plus est, toute personne inscrite au RNP ou au RSU a le droit de demander de consulter la liste des administrations publiques, des collectivités territoriales et des organismes publics et privés qui ont consulté ou reçu au cours des six mois précédant sa demande (article 22). Exception faite, et c’est compréhensible, «des autorités chargées de la défense nationale et de la sécurité intérieure ou extérieure de l’Etat ou de la prévention des infractions et leur répression».
Telle est, exposée à grands traits, l’économie de ce projet de loi. Le texte doit passer d’abord la phase parlementaire avant son entrée en vigueur. Mais tout laisse croire, nonobstant les enjeux du texte et les problématiques qu’il soulève, que les parlementaires vont travailler à un rythme accéléré pour son adoption dans des délais raisonnables. Il y a urgence. D’ailleurs, le gouvernement a le plein droit de demander l’examen d’un texte donné en priorité.
L’importance de ce texte est on ne peut plus évidente. Il va nécessairement susciter le débat et pourquoi pas des controverses. C’est tant mieux pour l’exercice démocratique. Le débat sur le texte, mais surtout sur le contexte. Il est légitime de se poser des questions sur les conditions et les garanties de sa mise en œuvre dans la mesure où l’établissement des deux registres n’est pas une mince affaire. De la qualité des données recueillies dépendra la nature des politiques publique à mettre en place.
Par ailleurs, les coûts d’identification, comme l’ont montré les cas des pays qui nous ont précédés en la matière peuvent s’avérer trop élevés, du moins durant la première phase de lancement. Aussi, nous pensons que la réussite de ce système est tributaire à la fois de l’adhésion de la population et de l’engagement de l’administration pour éviter toute erreur d’appréciation ou de faux pas de départ.
Mais ne préjugeons de rien. Pour l’heure, le texte tant attendu est là. Il appartient désormais aux Représentants de la Nation de faire convenablement leur travail en le disséquant. A l’administration, aux élus et aux média de faire, par la suite, un travail de sensibilisation et d’explication. Mais il ne faut surtout pas commettre l’erreur de s’occuper du ciblage tout en délaissant les classes moyennes. Une croissance suffisamment inclusive est plus que jamais un impératif. Vivement le nouveau modèle de développement!