Benabdallah : «le combat pour l’égalité homme-femme doit gagner en intensité»
«L’égalité entre les exigences de la modernisation et le contenu de la pensée religieuse» est le thème de la rencontre, organisée, vendredi soir à Rabat, à l’initiative du Parti du progrès et du socialisme et son organisation parallèle « le Forum Parité-Egalité » en commémoration de la Journée internationale des femmes sur le thème «l’égalité entre les exigences de la modernisation et le contenu de la pensée religieuse».
L’égalité recherchée est l’égalité homme-femme dans le cadre d’une société plus équitable envers les femmes où règne la justice sociale, a soulignée d’entrée la modératrice de la rencontre, Charafat Afailal, membre du Bureau politique du PPS et défenseure des droits de l’homme.
S’exprimant devant une assistance nombreuse, elle a indiqué que c’est en contribuant au débat autour des questions épineuses qui fâchent même, comme la position réservée aux femmes dans la pensée musulmane, qu’il sera possible de faire avancer les choses pour améliorer la condition féminine au Maroc. Car en dépit de tout ce qui est prévu dans les textes juridiques, les choses ne bougent plus. Les dispositions du code de la famille, entré en vigueur il y a une quinzaine d’années, doivent désormais être révisées pour les mettre au diapason de la Constitution de 2011 et des chartes et conventions internationales, ratifiées par le Maroc.
Prenant la parole, le Secrétaire général du PPS, Mohamed Nabil Benabdallah a souligné l’importance du sujet de l’égalité homme-femme dans la pensée socialiste, progressiste et de gauche du parti.
Depuis sa fondation, il y a plus de 70 ans, le parti poursuit le combat pour la réalisation de son projet sociétal visant à l’avènement d’une société de justice sociale et d’égalité homme-femme, une société respectueuse des droits de la femme marocaine à une vie meilleure dans la dignité et une société où elle jouit des mêmes droits que l’homme.
Car en dépit de tous les progrès réalisés en la matière, depuis l’adoption du code de la famille, il y a 15 ans et jusqu’à l’adoption de la Constitution de 2011, il semble que l’on fait du surplace à présent en matière du renforcement de la position et des droits de la femme marocaine.
La même constatation s’applique d’ailleurs à la démocratie dans le pays, a-t-il dit, avant de souligner la nécessité d’intensifier le combat pour permettre à la femme marocaine de jouir de tous ses droits et de faire de l’égalité homme-femme le mot d’ordre central de cette lutte.
Au PPS, a-t-il rappelé, les militants n’hésitent pas à soulever des questions très épineuses qui fâchent, estimant qu’il est du devoir du parti d’agir ainsi, en dépit de l’absence presque totale d’un débat politique au sens noble du terme, à l’instar de celui qui avait permis au pays de procéder aux réformes politiques réalisées. C’est cet esprit que le parti cherche à ressusciter en appelant à donner au processus un souffle démocratique nouveau pour redresser la situation, a-t-il dit, soulignant que le débat souhaité doit être serein et pesé.
Et ce n’est que justice rendue à la femme marocaine, qui jouit d’une place particulière dans la Constitution de 2011, a-t-il rappelé, appelant les défenseurs (es) des droits de l’homme et de la femme à occuper de plus grands espaces, étant donné que la réflexion socialiste a beaucoup perdu de son punch et de son intensité au Maroc.
C’est ainsi que plusieurs questions sont passées sous silence ou marginalisées à l’instar du thème de cette rencontre qui devait porter sur « l’égalité dans l’héritage », au lieu de l’égalité au sens large, comme l’avait proposé dans un premier temps le Bureau politique du PPS.
Après avoir fait remarquer que la question de l’héritage des femmes n’est qu’une partie du traitement inégalitaire réservée à la femme, il a été convenu d’orienter le débat vers l’égalité dans son sens global avec la participation des deux éminents conférenciers présents, à qui il rendu un vibrant hommage.
M’Barek Tafsi
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Abou Hafs : redéfinir la place de la religion dans la société
Il est possible de rendre justice à la femme et lui permettre de jouir de tous ses droits en allant vers l’égalité homme-femme, à condition toutefois de procéder de manière objective à une redéfinition de la place et du rôle de la religion dans la société, selon l’islamologue Mohamed Abdelawahab Rafiki, alias Abou Hafs.
Abou Hafs a fait remarquer que le rôle de l’Islam est à juste titre évoqué, à chaque fois, que l’on discute de la situation de la femme.
Et pour cause, le Fikh classique se dresse en tant qu’obstacle qui entrave tout progrès dans la consécration et la mise en application du principe de l’égalité homme-femme, selon lui.
En parlant de l’égalité homme-femme dans un pays comme le Maroc, l’on ne peut pas s’empêcher de parler de la religion musulmane, étant donné qu’objectivement parlant le système juridique en place s’inspire foncièrement de la Chariâ.
Quant à ladite règle du Taâcib en héritage, elle provient d’une pratique tribale ancestrale qui visait à protéger le patrimoine de la tribu contre tout éclatement en permettant à quiconque de sexe masculin ayant une parenté quelconque avec le défunt de venir hériter. Une telle pratique n’est plus compatible avec les nécessités modernes de la famille nucléaire, a-t-il martelé.
Objectivement parlant, l’on est donc devant un véritable obstacle, qu’il est nécessaire d’examiner pour pouvoir aller de l’avant dans la réalisation de l’égalité homme-femme, en procédant notamment à la révision de plusieurs dispositions inspirées de la Chariâ du code de la famille, a-t-il proposé.
Il est vrai que l’Islam a honoré la femme, comme l’avancent ceux qui soutiennent que l’Islam est l’une des premières religions à avoir réalisé une véritable révolution en la matière, a-t-dit. Tout en développant de telles plaidoiries, ces Fkihs défendent malheureusement en même temps « la justesse » de l’argumentaire, selon lequel la femme est un être incapable, sorti de mauvaise côte, de moindre quotient intellectuel, etc …, a-t-il dit.
Il est vrai que l’Islam a honoré la femme, compte tenu du contexte historique et du lieu dans lequel tout cela a eu lieu, a-t-il dit, précisant que les nouveaux nés de sexe féminin ont été tués ou même enterrés vivants avant l’avènement de l’Islam dans la presqu’ile arabique.
L’avènement de l’Islam est intervenu en une époque et en un lieu totalement différents qu’en l’état actuel des choses.
Avant l’Islam, la femme était considérée comme un bien faisant partie de l’héritage légué par un homme après sa mort. Elle est donc héritée comme un objet à la disposition des héritiers.
Avec l’Islam mecquois, elle est devenue héritière, ce qui constitue en soi une révolution dont il faut mesurer l’importance, a-t-il dit, précisant que les travaux réalisés dans ce sens pendant les trois premières décennies de l’Islam ont effectivement rendu hommage à la femme.
Malheureusement, cet élan s’est estompé avec la prise du pouvoir par les Oumeyades et les dynasties ultérieures qui ont transformé les textes religieux en véritables obstacles pour empêcher d’aller de l’avant et de progresser sur la voie de la reconnaissance des droits de la femme en tant qu’être humain devant jouir des mêmes droits que l’homme.
En faisant preuve d’opportunisme, nombreux sont les Foukaha qui se sont mis au service des régimes politiques tyranniques qui terrorisaient les populations et réduisaient les femmes en l’état d’esclavage, a-t-il expliqué.
Car il faut distinguer entre la religion en tant que message de Dieu à ses Croyants et les textes visant à la réglementation des relations interhumaines, a-t-il dit. Si le message est à perpétuer, tel qu’il est car il représente l’essence de la religion, le conventionnel doit faire l’objet d’une révision, en tenant compte de l’intérêt des uns et des autres dont celui de la femme à jouir de tous ses droits et des bienfaits de l’égalité homme-femme, d’après Abou Hafs.
M’barek Tafsi
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Me Naoui Mustapha: la nécessaire séparation entre le Droit et la religion
La mise en oeuvre des dispositions de la Constitution de 2011 (art 19) et des instruments internationaux des droits de l’homme ratifiés par le Maroc visant à rendre justice à la femme marocaine en lui permettant de jouir des mêmes droits que l’homme requiert une séparation totale des règles du droit et de la religion, a affirmé Me Mustapha Naoui du Barreau de Casablanca et directeur des études, de la recherche et de la documentation au Conseil national des droits de l’homme.
Me Naoui a appelé à une séparation définitive entre les lois conventionnelles et la foi dans le respect total des croyants et des prescriptions de la loi.
Selon lui, la séparation du droit et de la religion va mettre fin aux interprétations consacrant la primauté de la religion sur le droit conventionnel qui portent atteinte de manière flagrante aux droits de la femme marocaine, comme le prouve la jurisprudence marocaine en matière notamment de divorce, d’affiliation et d’héritage.
Evoquant les instruments internationaux des droits de l’homme, il a indiqué que l’article premier de la déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, qui stipule que « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité », inspire toutes les dispositions des accords, conventions et protocoles internationaux visant la protection des droits de l’homme et de la femme.
Il a également fait observer qu’en dépit de l’existence de tous ces instruments internationaux, les droits de la femme à travers le monde et en particulier dans les pays arabes sont toujours bafoués, en raison notamment, selon les Nations Unies, de l’absence de tout débat sérieux autour de la question. Quand on cesse d’évoquer et de débattre la question de l’égalité, les choses s’arrêtent, a-t-il indiqué.
Quant à l’égalité homme-femme, dont la définition va au delà du domaine mathématique et politique, elle a fait l’objet depuis une longue date de nombreuses recherches, menées par des philosophes, des sociologues et des militants des droits de l’homme depuis Aristote, en passant par le siècle des lumières, jusqu’à ce jour.
Mais c’est surtout en politique, que l’inégalité homme-femme est dénoncée par les défenseurs des droits des femmes en tant que discrimination pour sexe. D’aucuns se servent de telles considérations sexuelles, pour justifier la subordination, la minorisation et la marginalisation dont la femme est victime, a-t-il dit, estimant qu’il est temps de rendre justice à la femme marocaine en mettant fin à de tels penchants.
Il a par ailleurs passé en revue les travaux des penseurs ayant traité de la question de l’égalité des sexes tels François Poulain (1673), les philosophes du siècle des Lumières, le chercheur libanais Chebli Chamail et d’autres.
M’Barek Tafsi