«Il y a un risque de voir tout basculer vers une reprise incontrôlée de l’épidémie»
Docteur Omar Menzhi , est une sommité dans le monde de la médecine au Maroc, ancien directeur de la direction de l’épidémiologie au ministère de la santé, ancien directeur régional de la santé Casablanca – Settat , médecin expert en santé publique. Dans cet entretien accordé à Al Bayane, nous faisons avec lui le tour sur situation de la propagation de la covid-19.
Al Bayane: L’augmentation du nombre de cas positifs Covid-19 inquiète de plus en plus, laissant craindre une deuxième vague de l’épidémie. Quel regard portez-vous sur cette situation?
Docteur Omar Menzhi: Je ne vous cache pas que je suis inquiet face à l’augmentation du nombre de cas positifs. Il y a un risque de voir tout basculer, ce qui se traduira sans doute par une reprise incontrôlée de l’épidémie, car tout cela ne tient qu’à un équilibre très fragile. Nous devons être très prudents, d’où l’importance d’insister sur les mesures barrières et ce, au moment où nous constatons dans certaines régions des signes de reprise de l’épidémie de la covid-19, comme c’est le cas à Casablanca, Tanger, Meknès, Fès. Avec les vacances, l’Aid, les immenses foules au niveau des souks de bétail , le non respect du port des masques , de la distanciation sociale , on ouvre les portes d’une contamination plus importante particulièrement chez les jeunes . Ce qui indirectement engendre des foyers qui sont beaucoup plus intrafamiliaux. Sans oublier les différents clusters, l’accélération de la circulation du virus. Nous obtenons tous ces chiffres en augmentation quotidienne du nombre de cas positifs à la Covid-19, qui témoignent en réalité d’une flambée. Cette progression concerne toutes les tranches d’âge, elle s’accélère plus fortement chez les jeunes adultes.
Comment expliquer cette augmentation des cas parmi les jeunes?
On peut expliquer l’augmentation de nombres de cas par la part très importante des jeunes adultes qui sont aujourd’hui contaminés. Le ministère de la santé attire l’attention sur cette donnée inquiétante, car contrairement a ce que l’on pensait, il n’y a pas que les personnes âgées qui sont concernées par la maladie .Sur l’ensemble du territoire, l’accélération de la propagation du Sars-CoV-2 est d’autant plus inquiétante qu’elle concerne aujourd’hui les jeunes adultes. Or, on sait que chez eux la fréquence des formes bénignes ou asymptomatiques est élevée, ce qui augmente le risque de transmission à l’entourage. Car n’étant pas malade, on ne soupçonne pas que l’on est contagieux, ce qui risque de diminuer la pratique des gestes barrières et de la distanciation sociale et donc de contaminer les personnes à risque, plus âgées ou souffrant de pathologies chroniques. D’ailleurs c’est le constat que l’on peut aisément faire, il suffit de faire un tour à pieds au centre-ville de Casablanca, à Bab Marrakech, à Derb Ghalef, souk Koréaa, Derb Omar ou Derb Soltan pour se rendre compte de la gravité de la situation . Il y a un relâchement dans les gestes barrières.
Et là encore, les jeunes adultes sont particulièrement concernés. En résumé, cette flambée résulte de l’insouciance, de l’irresponsabilité, du non respect par un grand nombre de nos concitoyens des mesures préventives, des gestes barrières pour lutter contre le virus. Les autorités ont elles aussi une part de responsabilité dans la mesure où elles n’ont pas conservé, elles n’ont pas maintenu, la même rigueur qui a toujours prévalu depuis le début du mois de mars jusqu’au mois de mai. Et à ce sujet , je puis vous dire que tout a basculé avec le mois de Ramadan et la complaisance des autorités pour diverses raisons liées en grande partie à l’économie du pays qui est devenue fragile et qui se base sur l’informel qui fait vivre des millions de citoyens…
Toujours est il que si on avait continué à maîtriser cette épidémie comme on l’a si bien fait depuis le début, nous n’en serions pas là aujourd’hui.
Qu’en est-il des derniers chiffres qui sont à la hausse depuis quelques jours?
Vous savez, les chiffres qui sont quotidiennement présentés ne sont au fait que la partie visible de l’iceberg, car n’oublions pas que près de 80 % des cas sont asymptomatiques. Mais la raison de ces hausses successives tient aussi compte de l’élargissement des tests de dépistages.
Il faut savoir que le Maroc a renforcé le nombre de dépistages, notamment dans les entreprises. Depuis le début de l’épidémie en mars dernier, les autorités sanitaires ont effectué 999 999 dépistages. Rien que pour la journée du 3 août 2020, 21000 dépistages ont été réalisés. Il y a lieu de rappeler que le virus circule de plus en plus, il est partout, il ne prend pas de vacances, il attend juste l’occasion pour nuire aux individus qui ne prennent pas toutes les précautions.
Nous pouvons changer la situation pour peu que chacun y mette du sien, que chacun se sente responsable. Nous pouvons aisément maîtrise le virus grâce au respect des gestes barrières, et des bonnes pratiques. Et pour contenir cette soudaine flambées, nous devons tester, isoler et traiter les patients, rechercher et mettre en quarantaine leurs contacts, mais il nous faut aussi informer et sensibiliser toute notre population sur les réels enjeux sanitaires et économiques de cette épidémie que nous pourront vaincre ensemble.