Amine, ou l’assurance que l’autisme n’est pas une fatalité

À l’âge de deux ans, Amine aimait à raser les mûrs de chez lui. Il se morfondait des heures durant, recroquevillé, réfugié dans les coins de la maison dans la banlieue de Tétouan, vaguant dans un monde que seul lui il voyait. Aujourd’hui, à 14 ans, le charmant jeune homme qu’il est devenu a pu s’extirper de sa solitude imposée et affronter le monde, timidement, mais d’un pas ferme. Il a finalement brisé les fers du spectre qui le hantait: l’autisme.

Mohammed, son père, se rappelle du désarroi de la famille face à une situation qu’elle n’arrivait pas à comprendre. Son enfant était physiquement bien portant, les analyses qu’ils ont dû faire attestaient de sa bonne santé, mais «c’était clair qu’en son fort intérieur, il y avait anguille sous roche», se remémore Mohammed. «Amine ne communiquait pas, n’arrivait pas à marcher comme les enfants de son âge, et avait toujours le regard ailleurs».

Après une traversée du désert qui a duré plusieurs mois, les parents d’Amine ont finalement contacté l’Association Yahya pour les enfants autistes, qui l’accompagnera, depuis, dans sa laborieuse sortie de ce que les spécialistes appellent Troubles du Spectre Autistique (TSA).

Revenant sur les mémoires de son jeune âge, Amine se rappelle les difficultés d’intégration qu’il rencontrait en raison de sa «différence», raconte-t-il. «À l’école, mes camarades s’amusaient à me taquiner, me tourner en ridicule, profitant de ma sincérité, et de mon handicap».

Aujourd’hui, Amine Mrimar est un adolescent épanoui et autonome (il parcourt seul le chemin de près d’une heure de chez lui à l’école), qui s’intègre, tant bien que mal, dans la société. Il est champion marocain des Jeux olympiques spéciaux, tenus en 2018 à Ifrane, où il a réussi un 100 mètres en 14 secondes et 63 centièmes, et décroché une médaille d’argent en saut en longueur. Mais sa passion de prédilection reste la poésie, dont il a découvert le don et l’engouement à l’âge de 11 ans.

Son passage à l’émission Little Big Shots, version arabe, arraché d’ailleurs au forceps après une farouche compétition au niveau du monde arabe, a été émaillé de trois poèmes, Samti (mon silence), Gharib (étranger) et Aoudati (mon retour) dans lesquels Amine décrit sa souffrance, son éloignement de tout ce qui l’entoure et finalement son retour à une vie quasi-normale. D’habitude légèrement bégayant, Amine a donné lecture à ses poèmes avec une fluidité, une élégance et une prestance remarquées.

Le jeune homme est également membre du Conseil communal de l’enfant relevant de la Commune de Tétouan, et membre du parlement de l’enfant. Mais, par dessus tout, Amine affirme vouloir «me consacrer et me concentrer sur mes études».

Un père exceptionnel

Docteur Adil Senhaji, psychologue et directeur du Centre Yahya pour les enfants autistes, souligne que «la famille est le partenaire numéro 1 pour un traitement optimal de l’autisme», ajoutant que si les centres et les associations offrent des soins et des traitements psychomoteurs, ce sont les familles qui ont la lourde tâche de l’accompagnement quotidien de leurs enfants autistes.

Malheureusement, pour le cas d’Amine, sa maman a rendu l’âme, quand il avait six ans, alors qu’elle donnait naissance à son frère cadet. Le fardeau est entièrement tombé sur le papa, qui s’est trouvé condamné à jouer une double fonction.

«Je vis pour mes trois enfants», nous confie ce père qui a fait preuve, tout au long des huit dernières années, d’une abnégation admirable. Malgré son analphabétisme, ce petit commerçant a compris que “ce n’est que par un amour inconditionnel que je peux aider mon enfant à sortir de son état”.

Mohammed a refusé de se remarier après le décès subit de son épouse, préférant se donner à corps perdu pour ses enfants. «C’est moi qui vit avec eux et non pas l’inverse», dit-il, ému, affirmant que «c’est le bonheur et le bien-être de mes enfants qui donnera un sens à ma vie».

L’autisme, une maladie incurable aux causes inconnues

«Il n’y a pas de causes directes au spectre autistique», tranche le Dr. Senhaji, qui prévient par la même occasion qu’il s’agit d’une maladie que l’on ne peut guérir complètement. Même au niveau du diagnostic, «il faut se fier à l’examen clinique, en l’absence d’un diagnostic concluant en laboratoire», notamment en suivant le procédé dit DSM-5, qui définit trois principaux champs de déficience: les déficits persistants dans la communication sociale, le manque d’interaction sociale, et les modes restreints, répétitifs de comportements.

Dr. Senhaji définit l’autisme comme «un désordre du système central nerveux qui affecte les fonctions du cerveau, créant une multitude de réactions visuelles et/ou sociales», soulignant, de ce fait, la nécessité du diagnostic précoce pour favoriser l’efficacité du traitement.

C’est aux parents qu’incombe la responsabilité du diagnostic précoce, affirme l’expert, qui détermine trois points principaux auxquels les parents doivent faire attention: la fixation du regard de l’enfant lors de l’allaitement, le début de l’apprentissage du langage à l’âge de 18 mois, et de la marche à l’âge de 15 mois. «L’absence ou le retard de ces développements est un message inquiétant sur la possible existence du spectre autistique», prévient-il.

De ce fait, le psychologue souligne l’importance de la sensibilisation des parents, et appelle les couples à se procurer des guides de la croissance des enfants pour suivre de près le développement psychomoteur de leurs bébés. À cet égard, «l’association Yahya organise deux séances de formation par mois» au profit des familles concernées, fait-il savoir.

L’un des maillons essentiels du processus de traitement, note Dr. Senhaji, sont les accompagnatrices, dites auxiliaires de vies scolaires (AVS), dont la formation requiert des experts confirmés ayant une connaissance approfondie des mécanismes de l’autisme, et dont le champ reste pour le moment très peu ou pas régulé.

L’on note aussi un manque de statistiques officielles, déplore Dr. Senhaji, qui indique qu’une étude récente du Collectif autisme Maroc, qui regroupe 52 associations, «a fait état d’entre 400.000 et 600.000 personnes autistes au Maroc, sans compter les cas dans les régions reculées». L’expert se réjouit, en revanche, de l’élaboration par le ministère de l’Education nationale, de l’éducation intégrative, un programme qui devrait entrer en vigueur l’année prochaine, et qui vise à intégrer les enfants à besoins spécifiques dans les écoles, tout en adoptant le cursus et/ou l’environnement.

De son côté, le ministère de la Famille et de Développement Social, a mis en place un plan national visant la prise en charge des enfants autistes qui prévoit la formation, sur une période de trois ans, de près de 200 formateurs spécialisés en autisme, qui formeront, à leur tour, près de 3.000 encadrants et accompagnateurs dans ce domaine.

En tout état de cause, le remède en mesure d’atténuer les souffrances des personnes autistes reste leur accompagnement et leur acceptation telles qu’elles sont. «Un enfant autiste est un être différent qu’on est appelé à accompagner, à intégrer et à aimer sans conditions», conclut Dr. Senhaji.

Aziz Rami (MAP)

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