L’annulation des condamnations de Lula rebat totalement les cartes de la présidentielle de 2022 au Brésil, avec la possibilité d’un duel au sommet entre l’icône de la gauche et le président d’extrême droite Jair Bolsonaro, dans un pays extrêmement polarisé.
Les analystes politiques ne s’y trompent pas: la campagne électorale de 2022 a commencé lundi, avec la décision du juge de la Cour suprême Edson Fachin qui a fait l’effet d’une bombe.
Luiz Inacio Lula da Silva, 75 ans, n’a pas été blanchi des accusations de corruption qui pèsent contre lui, mais cette annulation pour vice de forme lui permet de recouvrer ses droits politiques, même s’il n’est pas à l’abri d’un énième rebondissement judiciaire.
Le président Bolsonaro a admis lui-même avoir été « surpris » par la décision judiciaire, tout en tentant d’afficher une certaine sérénité. « Le Brésil ne voudra pas d’un candidat comme lui en 2022 », a-t-il lancé.
Pourtant, en coulisses, en se gardant bien de le dire tout haut, de nombreux alliés du chef de l’Etat se frottent les mains.
« Ce n’est un secret pour personne qu’au palais présidentiel on espérait que Lula redevienne éligible. Cela augmente les chances de victoire (de Bolsonaro) au second tour s’il affronte un candidat de gauche, plutôt qu’un centriste », estime Eurasia Group.
Jair Bolsonaro, 65 ans, a été élu en grande partie grâce au fort rejet vis-à-vis de Lula et de son Parti des Travailleurs, qui a gouverné le Brésil pendant 13 ans (2003-2016) et dont l’image a été entachée par des scandales de corruption.
Avec le retour de Lula sur le devant de la scène, le dirigeant d’extrême droite pourrait récupérer une partie de l’électorat qui semblait se détourner de lui à cause de ses nombreux dérapages et de sa gestion chaotique de la pandémie du coronavirus, qui a fait plus de 266.000 morts au Brésil.
Pour Murillo de Aragao, analyste politique du cabinet de consultants Arko Advice, le fait que Lula soit à nouveau éligible va « radicaliser encore plus les discours ».
« Bolsonaro peut durcir encore plus le ton et Lula dire qu’il est persécuté, ça ne va que renforcer la polarisation », ajoute-t-il.
Comme le souligne Eurasia Group, la participation de Lula au scrutin « diminuerait fortement les chances d’un candidat centriste ».
Même si cette
polarisation pourrait favoriser Bolsonaro, il aurait tout de même un adversaire
de taille, l’ex-président de gauche étant encore un tribun charismatique
capable de galvaniser les foules.
Un sondage publié dimanche par l’institut Ipec a révélé que Lula serait le seul
capable de battre le président sortant en 2022, 50% des personnes interrogées
se disant prêtes à voter pour lui, contre 38% pour Bolsonaro.
Dans son
éditorial publié mardi, le quotidien Estado de S. Paulo estime que Jair
Bolsonaro a réussi la « macabre prouesse » de remettre Lula en selle en
« fuyant ses responsabilités et en se moquant de la santé des
Brésiliens ».
Mais la partie est loin d’être gagnée pour l’ancien tourneur-fraiseur, qui doit
avant tout « unir la gauche » pour espérer faire front contre
Bolsonaro, explique Murillo de Aragao. « Pour le moment, cette union n’est
pas claire », estime cet analyste politique.
Peu après l’annonce de la décision judiciaire qui a favorisé Lula, Ciro Gomes, bouillant candidat du Parti Démocratique Travailliste (centre gauche) arrivé troisième du premier tour de la présidentielle de 2018 avec 12% des suffrages, a écarté toute possibilité d’une alliance en 2022. « Ne comptez pas sur moi pour prendre part à ce cirque », a-t-il lancé.
Mais Guilherme Boulos, leader du Parti Socialisme et Liberté (PSOL), qui a créé la surprise avec son très bon score à la municipale de Sao Paulo (même s’il a échoué au second tour), a affirmé lundi qu’un front uni était primordial pour avoir des chances de l’emporter en 2022.
« Si on a quatre ou cinq candidats différents, on risque de ne pas arriver au second tour. Je vais oeuvrer pour cette union », a-t-il assuré.