Dans les dédales et les sinuosités de l’histoire de la ville de Casablanca, le patrimoine architectural reflète, à juste titre, l’un des côtés les plus lumineux de la jeune existence de la métropole, grâce à un merveilleux brassage des référents culturels des artisans de cette mosaïque de styles.
Les pionniers, comme leurs élèves, ont laissé à la postériorité un trésor urbain inestimable, qui résiste encore à l’usure et qui occupe fièrement une place centrale dans le décor général, bien que la ville soit devenue un véritable monstre, à cause d’une explosion démographique retentissante et, par conséquent, une demande de logements difficile à assouvir.
Dans les différents recoins de « Dar El-beida », on peut admirer, parfois, la magnificence de certains bâtiments, mais on peut aussi constater, souvent et non sans amertume, l’état de délabrement avancé d’autres, qui demeurent, toutefois, des chefs d’œuvre renvoyant au génie de leurs concepteurs et bâtisseurs.
En effet, nombre d’édifices imposants par leur solidité frappante tiennent toujours debout. C’est le cas même des locaux abritant les sièges de la Wilaya, de la région Casablanca-Settat, de la protection civile et de certains tribunaux de la ville.
Alors que d’autres ont fini par céder aux avatars du temps et le travail d’érosion tape à l’œil, notamment dans l’ancienne médina, pour la sauvegarde de laquelle les pouvoirs publics mènent une vaste opération de réhabilitation. De quoi réconforter et rassurer partiellement les « gardiens » de la mémoire collective.
La partie historique de Casablanca a inspiré un livre de Hassan Laârouss intitulé « L’ancienne médina de Casablanca : mémoire et patrimoine », publié par la Fondation de la Mosquée Hassan II, en partenariat avec l’Association Casablanca Carrières Centrales.
« L’ancienne Médina, entourée de ses remparts, a une mémoire fertile, dont elle est fière », souligne M. Laârouss dans cet ouvrage, dans lequel il explore l’histoire de la médina, ses hommes et ses monuments.
Le chercheur a surtout tenté de recenser les quartiers de l’ancienne Médina, ses portes, celles détruites ou existant toujours, ses lieux de culte, ses mausolées, ses jardins, ses places publiques, ses cimetières et ses cinémas. C’est un travail pédagogique qui vient se greffer aux initiatives et tentatives de rendre au plus précieux patrimoine de la ville son éclat d’antan.
Consciente des retombées sociétales et en termes d’image de cette affaire, la société civile, elle, ne cesse de sonner le tocsin, surtout après l’effondrement, total ou partiel, de certains édifices, considérés comme des joyaux de l’architecture et construits au début du dernier siècle dans différents secteurs de la ville.
Une certitude, c’est que la détérioration de ce legs n’est pas due seulement au retard pris dans l’enclenchement des opérations de réhabilitation, mais elle est à imputer également à la cupidité de certains promoteurs immobiliers, qui usent de tours de passe-passe pour mettre la main sur des bâtisses délaissées pour construire, en lieu et place, des immeubles modernes et engranger des profits sonnants et trébuchants.
Constat: Ni Casablanca Patrimoine, société de développement local, ni encore moins les mises en garde et les levées de boucliers de la société civile n’ont réussi à dissuader ces « requins ». Ne serait-ce que pour épargner les constructions considérées comme ayant une valeur historique.
Créée en avril 2015, à l’initiative des collectivités locales, Casablanca Patrimoine a, justement, la mission de réhabiliter, sauvegarder et valoriser le patrimoine culturel, matériel, immatériel et naturel du Grand Casablanca.
Pour Rachid Andaloussi, président de l’Association « Casa mémoire », le patrimoine urbain est au cœur du développement humain de la ville, au vu des interdépendances et des influences mutuelles avec les autres aspects de la vie quotidienne des gens.
En quelques décennies, Casablanca a connu une expansion urbaine et démographique spectaculaire, ce qui en a fait l’une des métropoles mondiales ayant connu une accélération fulgurante de l’urbanisation, a fait observer l’acteur associatif dans une déclaration à la MAP pour expliquer les changements en cours.
Cela dit, ce fin connaisseur, parce que lui-même architecte de profession, ne manque pas de rappeler que les techniques et matériaux utilisés pour les constructions à New York et Paris au 20ème siècle sont les mêmes qui étaient en vigueur à Casablanca, où on a fait recours au béton armé à partir du début du siècle dernier, vers 1916. Une manière de démontrer la valeur considérable du patrimoine de la première cité du Royaume.
Le cachet architectural de Casablanca est la quintessence du métissage de différentes civilisations et cultures, d’où « le devoir de le préserver, de se le réapproprier, de le revaloriser et de le mettre au centre de tout processus de développement », a dit l’activiste, qui s’est consacré depuis belle lurette à la défense de cette cause.
Il a souligné la nécessité d’œuvrer pour faire connaitre davantage ce patrimoine qui « constitue une fierté pour le Maroc ». Et, partant, en faire l’un des fers de lance du renouveau global de la ville et un atout pour la promotion touristique, tout particulièrement.
Plus que des murs et des façades, le patrimoine architectural est une preuve matérielle de la qualité intrinsèque des gens qui y ont vécu et qui ont tant affectionné l’Art déco. Aujourd’hui revenu en odeur de sainteté sous d’autres cieux.
Le sauvetage des somptueux bâtiments, qui ont fait jadis l’aura de Casablanca, serait le plus gratifiant des hommages à rendre aux âmes de ceux qui ont aimé la beauté, l’esthétique et la dolce vita.
Abdellatif El Jaafari (MAP)