«Cette année, on a vu quelque chose de différent par rapport à ce qu’on a l’habitude de voir !»

Entretien avec Mohamed Knidiri président du Festival National des Arts Populaires

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Mohamed Knidiri, président de l’Association Grand Atlas organisatrice du festival national des arts populaires (FNAP), la plus ancienne manifestation artistique au Maroc, qui a eu lieu du 4 au 8 Juillet à la ville ocre, dresse dans cet entretien livré à Al Bayane, le bilan de plus d’un demi-siècle de festival, de rythmes et d’arts populaires. En effet, durant cinq jours de festivités, les festivaliers, les visiteurs et les touristes ont eu droit à des spectacles et performances magnifiquement présentés par 700 artistes et des troupes folkloriques marocaines et même étrangères. À vrai dire, la 53ème édition du FNAP a tenu toutes ses promesses en ayant la Chine comme invitée d’honneur. La Cité rouge n’a pas manqué le rendez-vous avec son festival festif et singulier. Les propos.

Al Bayane : Plus d’un demi-siècle de festival, de rythmes et d’arts populaires. Quel bilan faites-vous de ce long chemin artistique parcouru, de préservation et de promotion des arts populaires marocains ?

Mohamed Kinidri : Comme vous savez que le festival fondé en 1959 par Feu SM Mohammed V. En fait, c’est lui qui a donné les instructions au ministère du Tourisme pour le créer. Pourquoi faire ? C’était pour faire connaître le patrimoine national aux Marocains d’abord et aux étrangers qui visitent notre pays. Ça y était souvent couvert par des médias nationaux et internationaux. C’était un grand événement. Le festival était organisé par le ministère lui-même par le biais de l’Office National Marocain du Tourisme (ONMT), mais il s’est soufflé avec le temps parce qu’il n’y a pas eu d’évolutions intéressantes, il n’y a pas eu de créativité… Il s’est arrêté en 1994. Et quand je suis revenu de Rabat entre 1995 et 1997, on m’a demandé de m’occuper de l’association Grand Atlas. On a fait les élections à l’assemblée, puis j’ai été élu président par les amis de l’association. D’abord, j’ai voulu refaire vivre ce festival dont j’en gardais de très belles images. En fait, c’était à l’occasion de la visite de Hassan Sebbar qui était ministre du Tourisme dans le gouvernement d’alternance politique, et il avait aussi Mohamed Achaari à la Culture. Sebbar est venu en 1998 pour présider le championnat du monde de cross-country à Marrakech. Je lui ai dit qu’il faut faire quelque chose pour le pays. Je lui ai adressé un message: « est-ce que tu te rappelles des belles images qu’on a gardées de ce beau festival des arts populaires ?»

Je suis parti le voir à Rabat avec son staff, et on a signé une convention d’un million de dirhams. Par la suite, je suis parti tout de suite voir Mohamed Achaari qui a contribué avec une somme de 500.000 dirhams. Et c’est ainsi qu’on a redémarré le festival.

Fallait-il changer votre démarche de travail, voire même votre ligne éditoriale afin de booster le festival et de le faire vivre ?

On a repris à-peu-près ce qui avait été organisé avant. C’était soufflé… et on a repris avec une nouvelle manière de voir les choses. D’abord, comment choisir les troupes parce qu’on était dans les régions, on a partagé le Maroc en 6 régions culturelles (le Haut-Atlas, le Moyen- Atlas, le Nord, Reggada et puis le Sud : Souss et le Sahara). Pour ce faire, on a envoyé une commission d’artistes et des gens de la musique et du chant qui partent dans les différentes régions pour sélectionner les troupes. Et pour pouvoir le faire, on a fait une convention avec les hôtels de différentes régions en leur proposant d’animer une journée, mais en contrepartie, ils nous logent la commission et nourrissent les troupes. C’est comme ça qu’on a pu refaire le tour de toutes les régions et sélectionner les troupes. Chose qui a donné une force à ce festival parce que les meilleures troupes participent, et après elles sont accompagnées par d’autres troupes qui sont moins bonnes. Le festival évolue ainsi, car on l’a repris avec très peu de moyens, mais on l’a repris en force. Quelques années après, on s’est ouvert à l’international pour donner plus de valeur, du rayonnement au festival, mais aussi de renforcer l’échange culturel.

Revenant justement sur ce point, cette année vous avez tourné les regards vers la Chine qui est invitée d’honneur de cette 53ème édition. Pouvez-vous nous en dire plus sur les motivations de ce choix ?

La Chine est un grand pays. Les relations avec ce pays sont très bonnes et Sa Majesté quand il a visité officiellement la Chine en 2016, il a fait une action extraordinaire en ouvrant la porte aux chinois. On a voulu que la Chine soit l’invitée d’honneur de cette édition. Voilà l’évolution : une ouverture ; les gens quand ils viennent à Marrakech, ils voient le festival des arts populaires marocains, mais aussi la Chine, l’Afrique et d’autres pays comme la France, l’Espagne, l’Allemand… On essaie de considérer un peu nos relations diplomatiques également. A vrai dire, il faut qu’on suive un peu l’orientation générale de notre pays sur le plan diplomatique.

Qu’en est-il de la préservation de notre patrimoine artistique sachant que de nombreuses troupes et expressions artistiques sont en voie de disparition. Quels rôles peuvent jouer le festival dans ce cadre sachant que vous avez réuni à-peu-près 700 artistes venus des quatre coins du pays ? C’est énorme.

C’est notre identité, en fait. Il y a de tout. On a demandé à toutes les troupes de préparer des troupes jeunes. On va essayer quand on aura suffisamment de troupes jeunes de faire quelque chose en marge du festival pour les jeunes talents. Chose qui permettra de préparer la relève. Ça on l’a déjà fait au niveau de Gnaoua avec le ministère de la Culture pour assurer la succession. Donc on a demandé à toutes les troupes connues de préparer cette succession de jeunes et on va le faire un petit festival de jeunes talents en marge des grands festivals et on donnera des prix à ce moment-là pour encourager les jeunes à pratiquer cet art.

Revenant sur le thème de cette édition qui est fort intéressant «Rythmes et Symboles Eternels ». Il faut dire qu’il y a certes les rythmes vibrants, mais il y a également les symboles dans les gestuelles, les mouvements, les bijoux, les paroles et les chants et les poésies. Pourquoi avoir choisi un tel thème pour cette édition ?

Chaque mouvement d’un artiste a une signification : de joie, de peur, d’extase… Donc, ce sont là les symboles. En effet, les mouvements des artistes sont très équilibrés, très rythmés et même très harmonieux avec les paroles. C’est pour cette raison que les symboles au niveau des arts populaires, c’est quelque chose de très important.

Effectivement, cette année, on a voulu montrer cela. Lors du spectacle inaugural au théâtre royal, les artistes essayent de danser comme ils le font chez eux en prenant les mêmes habits qu’ils utilisent chez eux quand ils font des fêtes. Cette année, on a vu quelque chose de différent par rapport à ce qu’on a l’habitude de voir. On a voulu qu’ils gardent les habits et traditions typiques et de bouger librement et de montrer ce qu’ils veulent dire par le geste. C’est extraordinaire !

C’était aussi assez spontané et poétique, ce qu’on a vu lors de la parade d’ouverture. C’est un temps fort du festival.  La musique était partout, les couleurs et les rythmes aussi. Y a-t-il une recette derrière ?  

Effectivement, c’était extraordinaire ! Ça donnait une image fantastique qui montre la richesse et la force de notre patrimoine. 700 artistes qui se défoulent dans la rue et qui donnent un spectacle naturel, mais extraordinaire parce que c’est spontané. Ce sont eux qui choisissent les rythmes et les mouvements. Dans la rue, c’était féérique. Il y a un ami américain qui a fait le tour du monde, et qui m’a dit : « aucun pays n’est capable de faire ce que vous êtes en train de faire, même pas les Etats-Unis». Car, disait-il,  réunir 700 artistes qui défoulent librement dans la rue avec une telle harmonie et une telle beauté : « ça n’existe nulle part ailleurs. »  

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