CNP: Etape transitoire pour des défis concrets

L’article premier du texte fondateur du Conseil national de la presse étale l’étendue des missions que la nouvelle structure de gestion et de régulation de la profession hérite des pouvoirs publics. Une vraie patate chaude dans la bouche de la profession…

Le cadre légal qui crée le CNP est on ne peut plus clair. Il s’inscrit dans l’Etat de droit et rien que le droit.

Aussi, et de quel côté que l’on se tourne, tout nous ramène à cette valeur de la modernité : le droit du public à une information «pluraliste, libre, crédible, responsable et professionnelle», le droit du journaliste à l’information et au commentaire, avec le devoir de respecter la déontologie de la profession et les lois en vigueur.

Les enjeux sont donc clairs. Et toute vision, véritablement professionnelle et porteuse de progrès, passe, respectivement,par un diagnostic, sans complaisance, du secteur et de la profession de journalisme et l’adoption de pistes de progrès.

En gros, les grands objectifs visés sont l’introduction d’une réelle et profonde réforme, qui a pour finalité l’instauration d’une indépendance authentique vis à vis des pouvoirs politiques et des décideurs économiques. Et de permettre une autorégulation du métier.

Mais de l’avis de bons praticiens, une certaine régulation forcée, à coups de règles immuables et de sanction systématique des manquements, au vu du hiatus indélébile entre les normes universelles et la pratique journalistique sous nos cieux.

Car, au fil des temps, il y a eu accumulation de graves atteintes aux droits du public (lecteur, auditeur et téléspectateur) et d’insultes à son intelligence, ainsi qu’un développement du sentiment général de résignation en matière d’expression et de publication, réellement démocratiques, libres et indépendantes.

Un diagnostic sans appel : Public mécontent et crédibilité perdue

Depuis la vague de protestations ayant accompagné le «printemps arabe», une grande méfiance des journaux s’est progressivement installée et les journalistes ont commencé à mettre sur la balance leur propre crédibilité.

Avec l’évolution des NTIC et des réseaux sociaux, l’invasion du paysage médiatique par des sites dits d’information, sous la houlette de milieux obscurs, a compliqué la donne. Et, face au manque de réactivité des pouvoirs publics et de la profession, le public a vite migré, et chaque jour plus, vers l’information en ligne, souvent faite de « fake news » inventée, souvent, par des pseudo-journalistes  ou des rédacteurs mercantilistes, voire des rigolos recrutés à moindres coûts. Le contenu exigé est en opposition avec l’indispensable vérification et recoupement des informations, à partir de faits avérés, d’analyses objectives, impartiales et positives, qui ne se contentent pas uniquement de la dénonciation et de la revendication et encore moins des cris aux scandales.

Parallèlement, l’on a assisté, surtout depuis l’actuelle décennie, à l’accélération de la démission managériale des journaux au niveau du respect des critères d’octroi de l’aide de l’Etat et du respect, dont notamment le respect du SMIG de la profession (5800 DH), de son adhésion à la CNSS…, et de la déontologie de la profession. Les plagiats ne sont pas sanctionnés, une seule version d’un conflit est privilégiée pour ignorer totalement l’avis opposé…  La profession, elle-même, ne réagit pas à ces manquements déontologiques, pour avoir protégé, l’on ne sait pourquoi, les bras cassés du copié-collé et des informations à sens unique.

A cela, il faudra ajouter que, parmi la presse la plus professionnalisée, le reproche est fait au traitement superficiel de l’actualité et des dossiers chauds. Sans parler du fait de privilégier, systématiquement, les aspects et les angles négatifs, qui deviennent un choix éditorial non déclaré. Mais n’eut été rien que cela…

Redonner goût au large public…

Evidemment, pour renverser la tendance, il va falloir ne plus se limiter à la seule description des problèmes mais surtout rechercher et relater les initiatives destinées à leur résolution.

La focalisation sur la polémique est un autre mal qui peut exaspérer le public. L’usage des énergies négatives contribue à la propagation du sentiment de la «hogra» et de la résignation ou la révolte. D’ailleurs, comme les informations alarmantes ou celles mettant dans le même sac tout le monde et toutes les visions, à l’instar de ces leitmotivs qui laissent penser que «tout le monde est corrompu dans le pays» ou encore «Rien ne nous étonne, nous sommes  au Maroc…».

Mais au vu, aujourd’hui, de la situation et de la conjoncture électorale, il y a lieu de rappeler quelques règles qu’il faudra impérativement respecter.

D’abord les règles de droit, sans lesquelles toute tentative de changement ou de réforme échouerait d’avance.

Professionnaliser réellement la presse

Le constat est amer. La presse est très peu professionnalisée malgré le vent de liberté et de modernité qui lui a été insufflée durant les premières années du nouveau règne. Même si cela était sciemment voulu par l’Etat qui a tablé sur la complaisance de la nouvelle presse dite indépendante pour donner le coup de grâce à la presse partisane, qui avait bénéficié, selon lui, de«largesses» du gouvernement d’alternance et de la bienveillance ambiante.

L’opinion publique nationale estime que, très globalement, la presse dite indépendante mais également partisane restent foncièrement et fortement instrumentalisée par différents pouvoirs (politiques, économico-financiers et des interventions mercantilistes…).

Les règles de la profession sont volontairement ignorées par de nombreux éditeurs, qui conditionnent des pans entiers de journalistes et les poussent à la complaisance et au développement du clientélisme de tous bords.

Une «spécificité marocaine»?

La «spécificité» marocaine se résume en un traitement nonchalant de l’information, sans loi ni foi.

Car, il est inconcevable qu’un carré de journaux bien connu puisse bénéficier de la complicité de milieux censés traiter tous les journaux et tous les journalistes sur un pied d’égalité. Il suffit de regarder les procès-verbaux d’affaires soumises à la Justice et qui sont objet de publication, intégrale et rarement partielle, dans les mêmes journaux.  Ah instruction quand tu nous tiens…! Et ni le Parquet, ni le Ministère de tutelle ni la profession ne réagit…

Cela résume, en soi, l’ampleur de la plaie qui ravage la profession.

Dès lors, il y a conscience générale que la structure qui émanera du scrutin de demain ne sera qu’une transition dans l’œuvre d’assainissement de la profession. Un mal qu’on ne saurait éviter. Mais les futurs responsables devront donner le gage d’une bonne volonté de changement.

C’est dire qu’il est inconcevable aujourd’hui que l’on mette dans le CNP des éditeurs ou des journalistes qui tolèrent les manquements aux droits et aux devoirs et souillent l’image de la profession.

A bon entendeur…

Mohamed Khalil

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