Fête du Travail: Entre attentes des syndicats et promesses du gouvernement

Au-delà de son caractère traditionnel, la portée symbolique de la fête mondiale du Travail pour l’ensemble de la classe ouvrière est néanmoins indéniable. Outre son caractère contestataire, il s’agit d’une journée de mobilisation syndicale pour porter haut et fort les revendications des travailleurs. Il faut dire qu’au Maroc, la célébration de la journée internationale du travail se tient, cette année, dans un contexte politique particulier, marquée par l’avènement d’un gouvernement fraichement installé.

Les centrales syndicales les plus représentatives, hormis l’Union Générale des Travailleurs du Maroc (UGTM), ont décidé de prendre part aux festivités. Ces dernières ont souvent reproché à l’ancien gouvernement d’avoir mis au placard le dialogue social et d’avoir tourné le dos à leurs doléances. Peu importe ! Le gouvernement actuel, conduit par Sâad Eddine El Othmani, a affiché sa bonne volonté pour rectifier le tir et instaurer un climat de confiance avec ses partenaires sociaux et ce, en tenant des réunions de travail, les 24 et 25 avril, avec l’Union Marocaine du Travail (UMT), la Confédération Démocratique du Travail (CDT), l’Union National du Travail au Maroc (UNMT) et l’UGTM.  Selon un communiqué du département du Chef du gouvernement, «ces rencontres ont été l’occasion de se concerter sur les perspectives et la méthodologie à suivre dans le dialogue social». Idem pour son ministre de l’Education nationale, la formation professionnelle, l’enseignement supérieur et la recherche scientifique qui, pour sa part, a organisé une rencontre de communication avec les syndicats, mercredi 26 avril. A en croire un communiqué rendu public par le ministère de Mohamed Hassad, «les deux parties se sont mis d’accord sur l’institutionnalisation du dialogue social et le traitement avec responsabilité des questions soulevées ». La même source a mis l’accent sur le fait que «l’institutionnalisation du dialogue social contribuera à la mise en place de règles de dialogue et de communication basées sur la confiance mutuelle et le respect». Autrement dit, les syndicats sont un partenaire majeur dans la mise en œuvre de la stratégie du ministère de tutelle.

Soulignons par ailleurs que le gouvernement de Sâad Eddine El Othmani s’est engagé à améliorer le modèle économique et la promotion du développement durable et ce, en procédant à la promotion des conditions et des rapports collectifs de travail, à la consécration des relations professionnelles stables et à l’élaboration d’un contrat social définissant les obligations de tous les acteurs concernés. A cela s’ajoute l’élaboration d’une nouvelle stratégie visant la promotion de la Santé, la Sécurité professionnelle et le renforcement du corps de l’inspection du travail. Et ce n’est pas tout. L’Exécutif vise, en outre, l’adoption d’une loi de couverture médicale pour les travailleurs indépendants et les non-salariés, l’amélioration et la facilitation des procédures et des conditions pour bénéficier de l’indemnité pour perte d’emploi ainsi qu’une réforme globale et durable des régimes de retraite.

Des revendications en pagaille !

En dépit de ces engagements, les syndicats voient d’un mauvais œil les promesses du gouvernement. Selon Miloudi Moukharik, la réunion ayant eu lieu avec le Chef du gouvernement n’est qu’une formalité. Il s’agit d’une réunion protocolaire, pas plus. Pour lui, la déclaration du gouvernement a été en dessous des attentes de la classe ouvrière car elle ne contient ni mesures concrètes ni solutions opérationnelles. «Nous estimons que l’annonce du gouvernement de vouloir réformer le Code du travail devrait d’abord se faire en partenariat avec les formations syndicales. Si non, on va sombrer dans la logique d’un libéralisme ayant pour finalité de satisfaire les desiderata du patronat», a-t-il martelé. Abondant dans le même ordre d’idées, Miloudi Moukharik s’est dit étonné que le gouvernement soit resté muet sur le Rapport de la commission parlementaire d’enquête sur la Caisse Marocaine des Retraites (CMR).

Même son de cloche du côté du SG-adjoint de la CDT, qui, pour sa part, a affirmé à Al Bayane que le 1er Mai sera une occasion pour dénoncer l’absence du dialogue social, la baisse du pouvoir d’achat, le gel des salaires et la dégradation des acquis sociaux. « Le gouvernement doit œuvrer pour augmenter les salaires, mettre en place un salaire minimum unifié et réduire la pression fiscale sur les salaires », a-t-il déclaré avec insistance à Al Bayane.

En plus, a-t-il ajouté, «le gouvernement doit activer les recommandations de la commission d’enquête parlementaire sur la CMR, mettre en corrélation le principe de la responsabilité et la reddition des comptes et mettre fin au contrat de sous-traitance et le travail par CCD qui ne consacrent, en fin de compte, que la précarité…».

Les propos de Abdelilah Hallouti, SG de l’UNTM, ne différent guère de son précédent, estimant qu’il est temps de s’attaquer au chantier de la révision du Code du travail. « Une révision qui devrait considérer les droits du salarié, souvent à la merci de l’employeur, surtout lorsqu’il s’agit de la procédure de réconciliation », a-t-il fait savoir.

Abdelilah Hallouti, met également l’accent sur la nécessité d’élaborer une loi régulatrice afin de mettre un terme à l’anarchie régissant le champ syndical. Mais le plus important, «c’est qu’il existe une forte volonté auprès  du gouvernement Sâad Eddine El Othmani d’asseoir le dialogue social sur de bonnes rails», a-t-il insisté.

En attendant que le gouvernement confirme  ses bonnes intentions, le dialogue social est toujours en stand-by.

Khalid Darfaf

Déclarations

Miloudi Moukharik, SG de l’UMT :

«Un dialogue social institutionnalisé, loin des réunions protocolaires»

L’UMT, comme d’ailleurs témoigne son parcours, est et restera toujours présente pour assurer sa mission pour laquelle elle a été créée, celle de défendre la classe des travailleurs. Le 1er Mai est une occasion pour réitérer les revendications et mettre les décideurs devant leurs responsabilités.  Aussi, je souligne que la déclaration du gouvernement devant le Parlement a été en dessous des attentes de la classe ouvrière car elle ne contient point de mesures concrètes et de solutions opérationnelles.  Nous estimons, en outre, que l’annonce du gouvernement de vouloir réformer le Code du travail, devrait d’abord se faire en partenariat avec les formations syndicales. Sinon, on va sombrer dans la logique d’un libéralisme ayant pour finalité de satisfaire les desiderata du patronat. Qui plus est, je ne peux dissimuler mon étonnement quant au mutisme du Chef du gouvernement sur le rapport de commission parlementaire d’enquête sur la Caisse Marocaine des Retraites (CMR). Un rapport qui contient plusieurs recommandations qui devraient normalement être prises en considération par le gouvernement.  En plus, je dois souligner que le syndicat s’attache à reprendre le dialogue social. Un dialogue social institutionnalisé loin des réunions protocolaires. Aussi, il faut dire que le gouvernement doit donner suite à plusieurs revendications, notamment l’annulation de l’article 288 du Code pénal et l’application total de l’Accord de 26 avril 2011 ainsi que la mise en place d’une réforme globale des caisses de retraites, sans porter atteinte au pouvoir d’achat des travailleurs.

Abdelkader Zair, Vice-SG de la CDT :

«Relancer le dialogue social sur de nouvelles bases»

Nous commémorons le 1er Mai sous le signe : «L’unité des travailleurs est le chemin pour réaliser les revendications et préserver les acquis». C’est une occasion pour les militants et adhérents du syndicat d’exprimer leur mécontentent quant à l’absence du dialogue social et ce, pour la 6e année consécutive. Il s’agit aussi d’un moment pour dénoncer la politique économique de l’Etat, la dégradation du pouvoir d’achat des salariés et la détérioration des acquis. Je fais allusion à la loi relative à la réforme des retraites, adoptée de manière abusive et ce, au-détriment des salariés. Une loi qui impute la responsabilité pour corruption, durant plusieurs décennies, aux salariés, considérés comme le maillon faible de la chaine. De surcroit, on conteste fortement toutes les pratiques visant à porter atteinte à l’action syndicale, le prélèvement sur les salaires des grévistes. Des pratiques qui constituent une grave violation de l’esprit de l’Etat de droit.

Nous estimons que les revendications de la classe des travailleurs sont justes et légitimes. Le gouvernement doit œuvrer pour augmenter les salaires, mettre en place un salaire minimum unifié et réduire la pression fiscale sur les salaires. En plus, le gouvernement doit activer les recommandations de la Commission d’enquête parlementaire sur la CMR, mettre en corrélation le principe de la responsabilité et la reddition des comptes et mettre fin au contrat de sous-traitance et le travail par CCD qui ne consacrent, en fin de compte, que la précarité…

On devrait mettre l’accent sur le fait que nous tenions à relancer le dialogue social sur de nouvelles bases, tout en souhaitant que le gouvernement actuel n’emprunte pas le chemin de son précédent.

El Kafi Cherrat, SG de l’UGTM : «Concrétiser l’Accord du 26 avril 2011»

Nous estimons, au sein de l’UGTM, qu’il n’y a pas lieu de participer aux festivités du 1er Mai. Apparemment, il existe une volonté de saper l’action syndicale. Les revendications des salariés ont été reléguées au second plan et même plusieurs points de l’accord du 26 avril 2011 sont encore en stand-by. Même les réunions qu’on avait organisées avec le Chef du gouvernement n’avaient pas un agenda bien précis. Il faut dire que le gouvernement n’a tenu aucun des ses engagements. Pis encore, la plupart des décisions du gouvernement ont été prises sans impliquer les syndicats. Le gouvernement Benkirane n’a nullement respecté les modalités du dialogue social tout en procédant à des décisions qui vont à l’encontre des intérêts des citoyens et de la classe des travailleurs. Nous souhaitons que le gouvernement actuel se conforme à la raison. Cela étant dit, l’Exécutif doit instaurer une justice fiscale et mettre en place une véritable démocratie participative et revoir sa copie en matière de développement économique.

Je dois évoquer que la déclaration gouvernementale s’inscrit aux antipodes des attentes des salariés et ne prend pas en considération leurs revendications. Cette déclaration ne contient pas non plus des mesures spécifiques et applicables. Je fais ici allusion, à titre d’exemple, aux 800 mille logements qu’il s’est engagé à construire.

Abdelilah Hallouti, SG de l’UNTM : «Rationaliser l’action syndicale»

La commémoration du 1er Mai se tient dans un contexte particulier. Il y avait un blocage au niveau du champ syndical et le dialogue social était gelé à cause de plusieurs facteurs. Au sein de notre syndicat, nous prenons positivement note de la volonté du gouvernement Sâad Eddine El Othmani de vouloir reprendre le dialogue social et son institutionnalisation. En plus, il y a plusieurs dossiers encore en suspens et sur lesquels nous devons ensemble s’atteler, à commencer par la promulgation de la loi organique sur le droit de grève. Il est temps pour cette loi de voir le jour pour encadrer les mouvements contestataires tout en préservant le droit des grévistes. En plus, nous estimons que le champ syndical a besoin, à l’instar du champ partisan, d’une loi régulatrice afin de mettre un terme à l’anarchie. Autre mesure non moins importante, celle de la volonté de l’Exécutif de procéder à la révision du Code du travail. Une révision, qui devrait prendre en compte les droits du salarié, souvent à la merci de l’employeur, surtout lorsqu’il s’agit de la procédure de la réconciliation.

S’agissant du dialogue social, le gouvernement et les partenaires sociaux disposent d’un référentiel très important, celui du message de SM le Roi Mohammed VI adressé aux participants à la 2e édition du Forum parlementaire sur la justice sociale. Qui plus est, d’autres questions se posent avec acuité et requièrent une attention particulière, notamment aux questions liées à la liberté syndicale et le droit d’appartenance. Concernant la réforme de la caisse des retraites, le syndicat considère que la réforme paramétrique devrait être accompagnée de mesures en faveur des fonctionnaires et des salariés et ce, en procédant à satisfaire un certain nombre de revendications, notamment l’augmentation des salaires et des allocations familiales etc. pour créer un certain équilibre.  Il faut souligner que nous sommes parvenus à un accord avec le Chef du gouvernement précédent, mais cela n’a pas abouti et ce, à mon avis, pour des considérations purement politiques.

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