Attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi
« C’est le changement auquel tout le peuple colombien aspire depuis plus de cent ans » a déclaré un vieux retraité de 72 ans à l’annonce des premiers résultats du deuxième tour des élections présidentielles qui se sont déroulées ce dimanche en Colombie et à l’issue duquel, après le dépouillement de 99,7% des bulletins, Gustavo Petro, 62 ans, a recueilli 11,2 millions de voix en sa faveur, soit 59,49 % des suffrages exprimés, et dépassé, ainsi, de 700.000 voix son concurrent direct le magnat de l’immobilier Rodolfo Hernandez qui a immédiatement reconnu sa défaite sur les réseaux sociaux.
En provoquant la liesse dans la grande salle de spectacles de Bogota où chants et musique étaient au rendez-vous, la victoire du candidat de gauche portant la voix « progressiste » et sociale contre la pauvreté et qui, tout au long de sa campagne électorale avait usé d’un discours « anti-establishment » de rupture, a consacré la profonde soif de changement des colombiens qui ont réussi à chasser les élites conservatrices et libérales qui, depuis deux siècles, se partagent le pouvoir dans la quatrième puissance d’Amérique Latine devenue, ces quarante dernières années, le premier producteur mondial de cocaïne.
Mais qui est donc Gustavo Petro qui, après avoir vainement participé, à deux reprises, à la course à la magistrature suprême de la Colombie est parvenu, cette fois-ci, à confirmer, avec sa victoire, l’émergence, ces dernières années, de dirigeants progressistes en Amérique Latine ?
Ancien sénateur et ancien maire de Bogota, celui qui va, désormais, présider aux destinées de la Colombie après avoir promis de lutter contre les inégalités en rendant les études universitaires gratuites et en réformant les régimes des retraites est, d’abord et avant tout, un ancien guérillero du M-19, un mouvement nationaliste aujourd’hui disparu, qui a encore beaucoup de mal à se défaire de ce « passé » que ses détracteurs n’ont eu de cesse de brandir tout au long de cette campagne présidentielle.
Mais si certaines propositions, dont notamment celles ayant trait à l’interdiction de nouveaux projets pétroliers ont inquiété les investisseurs, force est de reconnaître que Gustavo Petro a, néanmoins, donné l’assurance, à ces derniers, que les dispositions arrêtées par les contrats en cours seront respectés.
En considérant, par ailleurs, que l’hypothèse d’un résultat trop serré avait suscité de profondes inquiétudes dans le camp du candidat de gauche quant à la fiabilité du processus électoral, en général, et du logiciel de comptage, en particulier, et ce, d’autant plus que ce scrutin se déroulait dans le contexte de cette crise profonde qui a succédé à la pandémie, la récession, la répression des manifestations anti-gouvernementales et l’aggravation de la violence des groupes armées dans les campagnes, l’Union européenne a, dès la proclamation officielle des résultats de ce scrutin présidentiel, félicité, par la voix de son Haut représentant pour les Affaires étrangères, Josep Borell, le candidat victorieux pour son « élection comme prochain président de la Colombie ».
Si l’élection du nouveau président de Colombie est bel et bien actée, qu’elle a été saluée par de nombreuses chancelleries, que la gauche qui avait coutume d’occuper des strapontins va, désormais, détenir le pouvoir – ce qui constitue un véritable séisme dans un pays historiquement gouverné par la droite – rien n’indique, pour l’heure, que la violence mafieuse ne va pas s’inviter dans le débat alors que le pays reste le premier producteur mondial de cocaïne mais attendons pour voir…