Dr Rachid Choukri, président de la SMMGF
Propos recueillis par Ouardirhi Abdelaziz
La santé de notre population est un sujet intarissable, une mer sans fond,
des histoires qui passionnent, des faits réels et d’autres qui ne laissent personne indiffèrent: les personnes âgées, les jeunes, les femmes et les hommes. Tous veulent savoir, comprendre les moindres détails de notre système de santé, ce qui va changer avec la couverture sanitaire universelle (CSU), pour mieux appréhender ses différentes facettes susceptibles de contribuer à un meilleur état de santé. Dans ce registre, et au moment de la mise en place de la couverture sanitaire universelle (CSU), il est légitime de se poser plusieurs questions, dont celle de savoir quelle médecine sommes-nous en mesure d’offrir aux citoyens? Pour passer en revue tous les aspects de ce sujet dont l’importance n’échappe à personne, nous avons rencontré le Docteur Rachid Choukri, président de la société Marocaine de médecine générale et de famille (SMMGF).
Al Bayane : Vous êtes un fervent défenseur de la médecine de famille, vos différentes interventions sur les plateaux de TV, les ondes des radios, les conférences que vous animez, sont autant d’éléments , qui nous incitent à vous interroger sur la médecine de famille . Que signifie cette médecine, que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Docteur Rachid Choukri : Tout d’abord, laissez-moi vous remercier pour l’intérêt que vous accordez à ce sujet, et de me permettre d’apporter grâce à votre journal, les éclaircissements concernant le médecin de famille, et le champ d’application de ses différentes activités.
Après guerre, nombre de pays, notamment anglo saxons, ont eu à reconsidérer leurs systèmes de santé qui n’obéissaient plus qu’à la loi du marché. La croissance démographique aidant, les besoins finirent par dépasser rapidement les moyens. Les pouvoirs publics se sont alors vite retrouvés confrontés au souci du contrôle de la dépense médicale.
Commença alors une longue quête à la recherche de nouvelles solutions pour fournir et délivrer des soins de santé en fonction des changements démographiques, des avancées médicales, de l’économie de la santé, des besoins et des attentes des patients.
Des organismes comme l’organisation mondiale de la santé (OMS) ou l’organisation des médecins de famille «Wonca » ont plus tard démontré, que les systèmes de santé basés sur des soins de santé primaires efficaces, avec des médecins généralistes / médecins de famille qui pratiquent au sein de la communauté, fournissent des soins plus rentables et plus efficaces au niveau clinique, que les systèmes moins orientés vers des soins de santé primaires.
On finira donc par « ressusciter » ce fameux concept de médecin de famille que l’on n’aurait jamais dû abandonner, le repositionner à l’entrée du parcours de soins, pour lui confier la charge de le réguler.
Quelle place occupe le médecin de famille dans un parcours de soins?
Actuellement, la plupart des pays de la planète ont abandonné le vieux concept de médecine générale pour celui de médecine de famille, qui est considéré comme spécialité clinique à part entière, orientée vers les soins primaires.
Ainsi, dans ces pays développés ou en voie de développement (Canada, Pays -bas, Belgique, France, Iran, Turquie, Koweït, Palestine, Jordanie, Cuba, Népal, etc.), le médecin de famille / médecin traitant occupe une place centrale, incontournable, dans un parcours de soins dont il est à la fois le « gate keeper », le « guide » et l’ordonnateur.
A titre d’exemple, la France, un an après avoir amorcé son virage ambulatoire en 2004, va voir le déficit de sa sécurité sociale basculer de 11 milliards d’euros à 3 milliards d’euros.
Quelles sont les prestations de soins assurées par le médecin de famille?
Passage obligé pour le patient, le médecin de famille / médecin traitant assure au cours d’une seule consultation, l’analyse de la situation, le diagnostic, le traitement et la prise en charge, à moindre frais, des problèmes de santé, souvent multiples et de toute nature (plus de 85 % selon l’OMS) de sa patientèle. Il gère le dossier médical du patient, véritable mémoire de l’histoire de sa santé, le réfère aux spécialistes, reçoit leur avis et suit l’évolution de son état.
Le recours au médecin de famille est facilité par sa proximité dans l’environnement de la vie des patients, sa grande disponibilité et son accessibilité économique.
Dans notre pays, la quasi-disparition du passage par le médecin de premier niveau et le recours de plus en plus fréquent à la médecine spécialisée ont entraîné une déshumanisation de la profession et l’explosion des coûts de santé.
Ce développement d’une médecine de pointe avec sa batterie d’investigations onéreuses et parfois superflues, doit imposer une réappréciation de la situation, une réingénierie d’un système de santé, où l’Hôpital public ne joue plus et ne peut plus jouer son rôle d’antan.
Selon vous, qu’attendent au juste les patients du médecin traitant?
Une enquête réalisée en Angleterre a révélé que les patients veulent des soins adaptés à leur cas et dispensés par un médecin qui les connaisse bien et se penche sur leurs problèmes.
Les patients ont en fait besoin : d’un médecin qui les écoute, car c’est souvent à sa capacité d’écoute que le médecin peut mesurer et évaluer son aptitude à soulager ; un médecin qui soit en mesure de sérier et d’hiérarchiser leurs problèmes ; la possibilité de voir chaque fois le même médecin.
Des sondages effectués en France, ont révélé que 85 % des Français se déclarent satisfaits ou très satisfaits de leur médecin traitant généraliste (la France a opté pour le concept d’un médecin traitant généraliste, spécialisé en médecine générale), et que plus de 80 % d’entre eux ont le même médecin traitant généraliste depuis plus de 13 ans. Cette continuité des soins sert de socle indispensable aux patients comme aux médecins, notamment dans la gestion des maladies chroniques qui constituent près de 60 % des problèmes de santé de la population.
Le médecin généraliste, quand il est choisi comme médecin traitant, consacre un temps reconnu et rétribué par les caisses d’assurance maladie, indispensables à la coordination des soins autour de son patient, notamment par ses relations avec les autres acteurs du parcours de soins : médecins spécialistes correspondants, médecins hospitaliers, pharmaciens, biologistes, infirmiers, kinésithérapeutes, travailleurs sociaux, assurance maladie, médecins du travail, médecins conseil, etc.
Quels avantages pour le médecin généraliste?
Le médecin généraliste, parce qu’il connaît ses patients, est capable de percevoir de minimes changements dans l’état physique ou psychologique de ceux-ci. Le diagnostic précoce des maladies en est facilité, il repère par exemple plus précocement les patients souffrant de diabète, d’HTA, de troubles psychologiques ou psychiatriques.
Sa capacité à suivre ses patients dans le temps et dans leur environnement réduit aussi le nombre des hospitalisations non nécessaires.
A ce propos, l’organisation mondiale de la santé (OMS) estime que seules 1 % des consultations nécessitent une hospitalisation et 5 % un recours aux autres spécialistes.
Les activités du médecin généraliste permettent donc un meilleur usage des ressources médicales et économiques pour répondre de façon médicalement adaptée aux besoins de ses patients et de la santé de la population.
Le médecin généraliste marocain propose au quotidien toute une gamme de services, allant du conseil et de la prévention aux soins palliatifs, en passant par la vaccination et les soins curatifs. Médecin de premier recours, comme premier accès au système de soins, mais également médecin de deuxième ou troisième recours, lorsque le patient lui revient avec un suivi et enfin médecin de dernière ligne avec les soins palliatif, le médecin généraliste est sur tous les fronts.
Quelle que soit l’appellation retenue, ce sont d’abord les différentes fonctions assumées par le médecin généraliste qui le rendent indispensable pour le maintien de toute politique de santé fondée sur l’accessibilité et l’efficience.
Qu’en est-il de la médecine de famille et de la couverture sanitaire universelle?
La médecine de famille est un véritable levier de progression vers la couverture sanitaire universelle.
Le temps est venu de l’intégrer à la politique nationale de santé de notre pays, dans le cadre de la refonte de notre système nationale de santé initiée par SM le Roi Mohammed VI que Dieu le glorifie.
Il s’agit de repositionner l’actuel médecin généraliste en médecin de famille ( médecin traitant ), porte d’entrée d’un parcours de soins, dont il aura la lourde tâche de réguler le fonctionnement et de tempérer les dépenses, afin de maintenir viable et pérenne une couverture sanitaire qui ambitionne de couvrir tous les citoyens marocains depuis des lustres.