Mohamed Choukri, la plume et l’errance

Mohamed Nait Youssef

Témoin de son époque. Mohamed Choukri est une des figures les plus importantes de la littérature marocaine contemporaine. Issu d’une famille pauvre et marginalisée dans le Rif, Choukri a fui la famine qui a frappé sa région, à l’âge de 7 ans.  Autodidacte. Il a appris à lire et à écrire, à l’âge de 20 ans dans une école primaire à Larache. Quelques années plus tard, il devient instituteur après avoir passé un examen. Dans les années 60, il y retournait à Tanger pour enseigner les marginaux et vivre sa vie de bohémien. Ainsi, Choukri a appris la langue pour raconter sa vie et écrire son histoire avec un style simple, franc et fort.

L’écriture, la salvatrice…

Une rencontre hasardeuse dans un café avait joué le jeu. Mohamed Choukri doit beaucoup à Mohamed Sebbagh qu’il avait initié à l’écriture et qui lui a donné le goût pour la lecture en lui proposant des titres de livres à lire en langues arabe et espagnole. C’est ainsi que sa carrière débuta dans le monde de la littérature et de l’écriture. De son vivant, il a côtoyé des grands noms de la scène littéraire internationale : Paul Bowles, Jean Genet et bien autres. Son œuvre romanesque «Le Pain nu» où il abordait certains tabous dans la société de l’époque, tels que  la sexualité, la drogue, la prostitution.

Ce texte autobiographique, rejeté par les maisons d’éditions marocaines et ayant suscité une grande polémique, a eu pourtant un succès mondial. En effet, ce roman censuré à l’époque a été édité pour la première fois  aux éditions Peter Owen, en 1973, dans une traduction réalisée en anglais par Paul Bowles, puis dans une traduction française assurée par Tahar Ben Jelloun publiée aux éditions Maspero, en 1980. L’écriture lui a sauvé la peau et la vie. Ses travaux entre autres «Jean Genet et Tennessee Williams à Tanger» (Éditions Quai Voltaire, 1992), «Le Fou des roses» (Éditions La Découverte, 1992), «Le Temps des erreurs» (Éditions du Seuil, 1994), «Jean Genet à Tanger» (1993), «Jean Genet, suite et fin» (1996), «Paul Bowles. Le Reclus de Tanger» (Éditions Quai Voltaire, 1997), traduits dans une trentaine de langues, ont immortalisé son passage dans le monde vivant en laissant un héritage littéraire marquant et hors pair.

Tanger, la muse…

La ville du Détroit, Tanger, a marqué la vie et la carrière littéraire de Mohamed Choukri. Car, il avait un rapport très particulier avec cette cité qui habitait sa mémoire et ses écrits.

 «J’étais obligé de vivre dans cette ville en temps de l’exode rural, début des années quarante.  Je me retrouve dans cette cité au niveau de l’écriture», avait-il affirmé dans une entrevue. A vrai dire, cet espace, ses gens, sa mémoire ont inspiré les écrits et les personnages problématiques, simples, complexes et compliqués de Choukri. Il faut le rappeler, l’écrivain a vécu la misère, la famine et son enfance était surtout malheureuse. «Mon vécu a commencé à partir de l’indépendance quand j’avais eu  la chance d’aller à Larache pour étudier pendant quatre ans avant d’y retourner à Tanger pour enseigner les opprimés comme moi», a-t-il révélé. Et d’ajouter : «c’est pour cela que je n’avais pas de nostalgie pour Tanger, l’international, que dans certains instants volés».

Ces moments fugitifs et temps volés ont marqué l’imaginaire et l’âme de l’œuvre romanesque de l’écrivain. Il  a vécu sa jeunesse et son adolescence au cœur de l’ancienne médina de Tanger. «J’ai vécu mon enfance, mon adolescence et ma jeunesse dans l’ancienne médina. C’est-à-dire dans le souk dakhel, souk de bara, la kasbah et dans les ruelles avant de déménager à la nouvelle ville», avait-il rappelé. Né en 1935 à Ayt Chiker, un petit village situé dans la région du Rif, Mohamed Choukri a vécu une vie tourmentée, pleine d’aventures et surtout d’écriture. Il tiré sa révérence le 15 novembre 2003, à l’âge de 68 ans.

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