Le scénario préconisé par la Banque mondiale ne convainc pas les économistes

Le mémorandumchoc de la Banque mondiale sur «Le Maroc à l’horizon 2040: capital immatériel et les voies de l’émergence économique» continue de faire parler de lui. Cette fois-ci, ce sont des économistes qui ont passé au peigne fin le diagnostic et les recommandations établis par l’institution.

C’était à l’occasion d’une rencontre organisée par le Centre d’Etudes et de recherches Aziz Belal, vendredi dernier à Rabat. Les panelistes s’accordent sur la tonalité agressive du constat de la Banque mondiale. Le mémorandum indique notamment que le PIB par habitant ne serait multiplié que de 1,8% et le niveau des Marocains et représenterait à peine 32% de celui des pays d’Europe du Sud. «Une manière de nous dire que le Maroc ne rejoindra pas le rang des pays émergents d’ici 2040», déplore Abdelkhalek Touhami, professeur d’économie à l’Institut national des statistiques et d’Economie appliquée de Rabat. Or, les ambitions du Maroc sont grandes.Le pays veut se hisser au statut de pays émergent. Mais inutile de se voiler la face. Le chemin sera long dans la mesure où le Maroc doit réaliser un taux de croissance du PIB de 8% durant les deux prochaines décennies. Un objectif difficile à atteindre, surtout lorsqu’on sait que la croissance est faible et volatile (1,6% en 2016).

Selon Abdelkhalek Touhami, le mémorandum de la Banque mondiale aurait été plus accablant si des «paragraphes n’ont pas été censurés pour que le gouvernement autorise sa sortie».  D’ailleurs, dit-il, «trois ministres dont Lahcen Daoui ont rejeté le document ». Pour cet économiste, le rapport, bien que critique à l’égard du Maroc, est un cadeau tombé du ciel pour nouveau gouvernement. «Le mémorandum comble un vide, celui d’une vision claire pour le développement économique du Maroc», estime Touhami qui regrette l’absence de politique face à l’essoufflement de l’économie nationale.

Toutefois, la recette de la voie d l’émergence proposée par la Banque mondiale ne fait pas l’unanimité.  Les avis sont unanimes : «la Banque mondiale sert du réchauffé». Ahmed Azirar, professeur à l’ISCAE et fondateur de l’Association marocaine des économistes d’entreprises, considère que ce mémorandum n’apporte rien de nouveau à ce qui a été soulevé dans le rapport du cinquantenaire de 2005. «Ce n’est qu’un condensé de ce qui se fait depuis plusieurs années», dit-il.  Pour convaincre, il cite la recommandation d’accélérer le remboursement par l’Etat des crédits la TVA. Or, cela est déjà le cas au Maroc, explique Azirar.

Le mémorandum de la Banque mondiale apporterait aussi des «confusions». Le document recommande à la fois d’ «investir dans le secteur industriel pour créer des emplois décents, mais prévient que le Maroc n’échappera pas à la désindustrialisation précoce. Ahmed Aziz met en garde contre cette affirmation qui pourrait «dissuader les investisseurs étrangers». Il regrette l’absence de projections scientifiques. «La banque mondiale s’est limité à présenter un rapport politique», s’accordent à souligner les économistes. Sur ce point, Ahmed Zirar reproche au mémorandum de présenter le blocage du modèle économique marocain comme un danger pour l’Europe. La Banque mondiale craint en fait une nouvelle ruée de migrants vers l’Europe.

Abdelouahed El Jay, ancien directeur à la Bank Al-MAghrib relève d’autres assertions qu’il qualifie de «très grave». La banque mondiale estime que le salaire minimum est trop élevé, ce qui empêche le Maroc d’être compétitif. «Ce qui est très grave sur le plan social», estime cet expert. D’autant plus que «la Banque mondiale utilise cet argument pour affirmer que la baisse du salaire minimum pourrait résoudre le problème de l’informel qui persiste encore parce que les patrons veulent réduire leurs charges salariales». L’ancien responsable à la Banque centrale affirme aussi que certaines recommandations de la Banque mondiale sont difficiles à appliquer. C’est le cas de la proposition de fonder le modèle économique sur l’économie de marchés. «Le problème qui se pose est le peu de capitaux privés au Maroc», dit-il. La Banque mondiale reconnait d’ailleurs cette réalité qui caractérise le Maroc, citant le tour de table de Renault Tanger qui ne comprend que 10% de capitaux marocains.

En gros, les panelistes ne semblaient pas convaincus du scénario de rupture préconisé par la Banque mondiale. Le mémorandum préconise une rupture totale avec le schéma de croissance  actuel et se baserait sur la combinaison de trois éléments: amélioration de la productivité de 2% par an contre 1,2% actuellement, du taux d’emploi et de l’investissement. L’institution estime en tout cas qu’un tel scénario de rupture est possible, d’autant que d’autres pays l’ont fait. Il permettrait d’accélérer la convergence d’une manière significative et dans l’espace d’une génération.

Hajar Benezha

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