Capitaliser sur le Soft power exceptionnel de la culture marocaine pour en faire un véritable levier de développement

Hommage de la Fondation Ali Yata et du CERAB à feu Aziz Belal

M’Barek Tafsi

La Fondation Ali Yata et le Centre d’Etudes et de Recherches Aziz Belal (CERAB) ont co-organisé, jeudi 27 juin à la Bibliothèque Nationale du Royaume à Rabat, une rencontre, en hommage à feu ke grand professeur Aziz Belal, pour répondre à la question de savoir si la culture est un levier de développement ou non, car le pays manque toujours, 70 ans après son indépendance, d’une véritable stratégie en la matière. Et pourtant de nombreux connaisseurs témoignent du caractère exceptionnel de ce trésor qu’est la culture marocaine, présente dans le vestimentaire, l’architecture, la nourriture, les parlers, les arts et le mode de vie marocain dans sa diversité. Selon les organisateurs, l’état de la culture au Maroc est « décevant » aux niveaux politique, stratégique, décentralisé, structurel, financier, et des libertés, nonobstant certains discours sans grande portée pratique.

Roukbane

Une invite à capitaliser sur le soft power de la culture marocaine au service du développement

C’est la première fois que les deux leaders et compagnons de lutte du PCM, du PLS et du PPS feux Ali Yata et Aziz Belal se retrouvent, après leur mort, lors d’une rencontre, visant à rendre hommage à l’œuvre culturelle et à l’héritage intellectuel d’Aziz Belal, a indiqué en ouverture le président de la Fondation Ali Yata, Rachid Roukbane.

Aziz Belal a légué pour l’éternité son ouvrage paru il y a plus de quarante ans, et qui est toujours d’actualité intitulé : «Développement et facteurs non-économiques». Selon A. Belal ce dernier ouvrage s’inscrit dans le continuum de ses travaux de recherches compilés dans son ouvrage : L’investissement au Maroc (1912-1964) et ses enseignements en matière de développement économique ».

Pour Rachid Roukbane, la présente rencontre se veut être une invite à capitaliser sur le patrimoine culturel marocain, en tant que riche soft power national incomptable pour booster l’œuvre de développement du pays et le bien-être du peuple. Elle se propose aussi de répondre à la question de savoir si la politique publique accorde à la culture le rôle et l’intérêt qu’elle mérite et s’il y a vraiment une volonté d’investir dans le capital culturel et le patrimoine immatériel en général.

Chiguer

La transversalité du secteur requiert pour sa gestion et sa protection la création d’une agence nationale

Prenant la parole, le président du CERAB, Mohamed Chiguer a indiqué que la présente rencontre a le mérite de réunir « pour la première fois, Ali Yata et Aziz Belal, après avoir été rappelés à lui par le Très Haut ».

    Le mouvement national, dont ils faisaient partie à côté des militants des partis politiques de la Koutla (Istiqlal, USFP et PPS) était fortement présent sur le plan culturel, a-t-il dit, citant à titre d’exemple l’Union des Ecrivains du Maroc, l’Association des Economistes Marocains, les organisations de jeunesse des trois partis et les organisations parallèles, qui jouaient un rôle important dans l’animation du champ culturel.

A cela s’ajoutent aussi les suppléments culturels des journaux édités par les trois partis.

A. Belal était le premier à avoir parlé dans les années 60 du capital intellectuel dans sa thèse.

Pour sa part, Ali Yata comptait des contributions intellectuelles de manière indirecte, à travers sa responsabilité, en tant que directeur des journaux Al Bayane.

Malheureusement, après leur disparition et la participation des partis de la Koutla démocratique dans l’expérience de l’alternance politique, on s’est aperçu que les associations à caractère intellectuel dans lesquelles on s’activait, avaient plutôt un caractère politique. De telles organisations ne s’occupaient en fait que de la culture savante, face à un discours populiste qui a transformé le printemps arabe et en automne.

Selon lui, la politique ne sert pas obligatoirement la culture. Alors que la domination politique est tributaire de la domination culturelle.

Mais qu’est ce qui entrave la culture pour donner lieu à une véritable renaissance nationale, ou du moins à devenir un levier de développement, s’est-il interrogé.

La transformation de la culture en un levier de développement ne se réduit pas à une décision politique, à des mesures administratives ou à la volonté du ministère de la culture.

La culture est une question sociétale et une cause de l’intellectuel. Le politique doit accompagner le culturel dans ce cas.

   Pour ce faire, il est nécessaire d’attirer l’attention sur les obstacles sociétaux, sociaux, institutionnels et culturels qui entravent le développement de la culture en tant que levier de développement.

La culture part de la société et en est issue. Elle est portée dans le cadre de son développement par un groupe social et d’intellectuels organiques, qui s’activent dans le cadre des idéaux intellectuels qui sont les leurs, selon l’expression de Gramsci.

Tout ceci fait défaut au Maroc, comme ce fut le cas lors du printemps arabe.

Il a également rappelé que contrairement à la révolution intellectuelle qui a permis à l’Occident de rompre avec tout ce qui est rétrograde, le monde arabe s’est efforcé tout au long de son passé récent à s’adapter à son environnement.

   C’est ainsi que la culture dominante actuellement va à l’encontre de la renaissance et n’aide pas à sa transformation en levier de développement. Elle s’appuie sur la pensée conservatrice, le manque de confiance, la prévarication, la rente, et la marginalisation de tout ce qui est culturel.

Les deuxièmes obstacles sont d’ordre social dont en premier la faiblesse du pouvoir d’achat des Marocains, de l’infrastructure culturelle, du lectorat et de l’édition (350.000 publications en 2023).

Manque aussi le sens culturel et artistique.

Tout en soulignant sur un autre plan que ce n’est pas la politique qui porte la culture, il a fait savoir que c’est la culture qui porte la politique. C’est ainsi que la domination culturelle est un facteur facilitateur de la domination politique.

Mais ce qui est dangereux à ce niveau, c’est que la politique est susceptible d’avoir des conséquences fâcheuses sur la culture à travers notamment la propagation des idées de la haine, du rejet d’autrui, du racisme etc….

A noter dans ce cadre que ce n’est pas au ministère de faire de la culture un levier de développement, compte tenu notamment de son budget ridicule et du manque d’une véritable politique et stratégie en la matière, sachant que la culture revêt plutôt un caractère transversal. La culture concerne en effet diverses institutions et tout un ensemble de départements ministériels.

Et comme le ministère est une institution politique au service d’un groupe, il importe d’immuniser la culture et de l’éloigner de la politique en l’extirpant du ministère de la culture pour en confier la responsabilité et la gestion à une fondation indépendante sous forme par exemple d’agence.

Et après avoir rappelé l’importance de l’immatériel, il a indiqué qu’il importe de rompre avec le mode de production dominant pour tenir compte du rôle de la société du savoir dans l’œuvre de développement.

 Il a rappelé aussi qu’il est nécessaire de tenir compte de la culture du partage dans le cadre du respect du droit d’accès à l’information et non de l’exclusion, sachant que l’information, une fois lâchée dans la société, n’est plus la propriété exclusive d’un tel ou tel.

 Partant de cette nouvelle situation, Chiguer en a conclu que l’on est en présence d’un mode de production en contradiction totale avec le mode de production capitaliste.

Et c’est à ce niveau que se pose la problématique de la culture comme levier de développement.

Evoquant les obstacles en rapport avec l’intellectuel, il a indiqué que l’on peut les classer en intellectuel conservateur (réactionnaire) et en intellectuel organique.

Et sans hésitation aucune, il a affirmé qu’il n’y a pas d’intellectuels organiques au Maroc, car il n’y a pas de classes émergentes qui cherchent à accéder au pouvoir. Et il n’y a pas de pensée orientée dans la même direction. Et il est donc faux de qualifier tel ou tel d’intellectuel organique, au sens gramscien du terme.

Il y a aussi l’intellectuel social et l’intellectuel sociétal, celui qui fixe à la société des objectifs, critique et accompagne toute action dans ce sens sans nihilisme.

Le souci de l’intellectuel est de parvenir à une société avancée, fondée sur les libertés et débarrassée de la pauvreté.

 Et sans mâcher ses mots, Chiguer a avancé que le Maroc ne dispose pas d’un véritable salon du livre. Au lieu d’organiser le salon du livre, sous sa forme actuelle et dont l’impact ne dépasse pas son entourage, le ministère doit s’investir plutôt dans la distribution du livre à travers tout le territoire national pour toucher et intéresser l’ensemble de la population. Et ce sans blocus de la pensée libératrice et de la création sérieuse.

Mohamed Chouika

Une certaine culture savante dans l’urbain, mais le monde rural est complètement déconnecté

De son côté, l’écrivain et chercheur Mohamed Chouika a brossé un tableau plutôt sombre de la situation culturelle dans le pays, soulignant d’entrée que le monde rural est totalement occulté et que la situation n’est pas prête d’être résolue dans l’immédiat.

Dont on parle à présent ne concerne que la culture savante « véhiculée » dans les grands centres urbains et enseignée dans les facultés et les grandes écoles, a-t-il indiqué, rappelant que l’heure est actuellement à la mise en valeur du patrimoine immatériel pour en faire un levier du développement du pays.

Pour y parvenir, il importe notamment d’impliquer tous les intervenants et les activistes concernés par la question culturelle dont en premier l’Etat mais également les entités territoriales et les institutions élues, a-t-il dit, soulignant qu’à défaut d’une stratégie nationale claire en matière de développement et de sauvegarde de la culture marocaine, l’on a tendance à tous les niveaux à faire preuve de négligence.

C’est ainsi que l’on assiste actuellement à la fermeture des maisons de jeunes, dont la gestion était confiée dans le temps aux collectivités territoriales.

Après avoir rappelé le rôle de la culture dans la stabilité du pays et l’harmonie de la société et de la famille, il a indiqué qu’un sursaut en la matière est indispensable pour que la culture soit pleinement utilisée comme levier du développement du pays et protégée contre le piratage et la déformation.

La crise touche à ce niveau toute la société et la famille en premier lieu ainsi que le mode de vie au Maroc. Le lectorat a complètement disparu.

Au niveau de la place publique, le culturel n’est plus perceptible.

A cela s’ajoute le fait que le pays ne dispose pas d’une perception claire du développement de la culture, d’une infrastructure à même de répondre à tous les besoins en la matière et en particulier au niveau de la production et de la distribution.

Cette rencontre, qui a été marquée par de échanges fructueux de la part de l’assistance nombreuse, s’est déroulée sous la modération du journaliste  Mohamed Moustaid. Au terme d’un tel débat, les participants ont unanimement salué cette rencontre dédiée à la culture.

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