L’Economie Marocaine en question: Les défis de l’émergence

Par : Abdeslam Seddiki

Après avoir passé en revue, dans un article précédent, les atouts de l’économie marocaine, on se penchera à présent sur l’examen de certains obstacles et de goulots d’étranglement. En effet, le Maroc ambitionne de devenir un pays émergent à partir de la décennie suivante. Objectif à notre portée si on parvient d’ici là à relever les défis qui nous guettent et à surmonter les blocages qui se dressent sur notre chemin. Nous avons à relever six défis majeurs :

1- Saisir toutes les opportunités offertes par la mondialisation. Nous avons déjà souligné le fait que le Maroc ne tire pas suffisamment profit des accords de libre-échange signés avec divers pays. Il est en ce sens plus un «losing player» qu’un «winning player».  Ainsi, il est grandement utile pour l’avenir de notre pays de marquer un temps d’arrêt et de procéder à une évaluation objective de ces accords afin de rectifier le tir éventuellement. Entendons-nous bien : il ne s’agit nullement d’un plaidoyer pour un certain protectionnisme débridé qui risquerait de nous isoler du reste du monde combien même une telle option serait possible ! Il s’agit, à l’inverse, de minimiser les risques encourus par l’intégration au marché mondial et de mettre de l’ordre dans l’enchevêtrement de la mondialisation, en diversifiant au maximum nos alliances stratégiques et en approfondissant plus nos relations avec le continent africain. En effet, des partenariats triangulaires offriront de grandes opportunités pour le Maroc dans les années à venir. Nos relations avec l’Afrique doivent s’inscrire dans le droit fil du Discours de SM le Roi, prononcé à Abidjan le 4 février 2014, et dans lequel Le Souverain a tracé une véritable feuille de route pour le partenariat Sud-Sud.

2- Améliorer notre compétitivité et notre offre exportable. Ce qui passe inévitablement par la poursuite, avec audace, des réformes de structure dont celle de notre système de formation et de la recherche scientifique n’est pas des moindres. Le but étant, à terme, d’améliorer la productivité du travail en dotant le pays d’un véritable écosystème de recherche et innovation. Pouvons-nous réellement aspirer à devenir un pays émergent en consacrant seulement 0,7% de nos dépenses publiques à la recherche scientifique ? D’autant plus que le niveau de formation des salariés et le taux d’encadrement des entreprises actuels ne nous permettent pas non plus de décoller. Ce sont des problématiques qu’il convient de prendre à bras le corps et nécessitent un traitement de choc. Le pays ne peut pas vivre indéfiniment avec un déficit commercial chronique qui nous occasionne une «fuite» quotidienne vers l’extérieur de 500 millions de DH ! Ce sont des milliers d’emplois perdus.

3- Réduire les inégalités sociales et spatiales pour assurer la cohésion nationale et résister aux chocs.  La réduction des inégalités est un impératif économique, social, politique et humain. Dans cette optique, le développement, on ne le dira jamais assez, n’a de sens que lorsqu’il se traduit par une amélioration des conditions de vie de la population et l’éradication de la pauvreté, y compris la «pauvreté intellectuelle».

L’on sait aujourd’hui, études empiriques à l’appui, que les pays qui résistent le mieux à la crise et qui enregistrent de meilleurs taux de croissance sont ceux qui connaissent une répartition moins inégalitaire des revenus et des richesses.

Il faut reconnaitre que le Maroc a fait quelques efforts dans ce sens avec le lancement de politiques sociales destinées aux pauvres : INDH, ADS, Fonds dédiés… Mais force est de constater que les résultats atteints sont loin des objectifs affichés et surtout loin des espérances de la population. N’est-il pas temps, là aussi, de procéder à une évaluation, sans concession, de ces politiques pour y introduire les ajustements nécessaires ?

4- Réussir le chantier de la régionalisation. La régionalisation est un grand dessein pour le Maroc. Son opérationnalisation selon la nouvelle Constitution et les modalités de la loi organique vont introduire des changements considérables sur les plans institutionnel, politique, social et culturel. Il s’agit, notamment, de l’effectivité des prérogatives dévolues aux Conseils régionaux et de la mise en œuvre des deux fonds publics : le fonds de solidarité (entre les régions) et le fonds de mise à niveau des régions. Mais qu’en est-il dans la réalité ? Il est navrant de constater que ce projet d’essence mobilisatrice et à contenu révolutionnaire est en train de végéter : faiblesse des moyens mobilisés au profit des 12 régions ( à peine 2% de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés),  retard accablant dans l’adoption des textes d’application, lenteur dans la préparation des PDR (Plans de développement régionaux)…Ce sont autant de signaux  inquiétants sur le sort de ce projet, et qui nous avertissent que  l’espoir ouvert par ce chantier risquerait de s’estomper ! Il nous incombe donc de raviver cette flamme, car l’avenir du Maroc est bel et bien dans les dynamiques territoriales et régionales. Toutes les données plaident dans ce sens : l’étendue du territoire, la variété de notre relief, la diversité de notre culture…

5- Intégrer pleinement la femme dans la vie économique et sociale. L’inclusion des femmes est une condition essentielle pour assurer l’émergence. Avec un taux d’activité des femmes à peine supérieur à 25 %, soit la moitié de la moyenne mondiale, nous avons du plomb dans l’aile. Ce taux est d’autant plus incompréhensible que notre pays adhère aux valeurs de modernité et que notre Constitution stipule la réalisation de la parité. Cette faible participation de la femme à la vie active est pénalisante non seulement pour la femme mais pour l’économie et la société dans leur ensemble.

D’après certaines estimations, cela occasionnerait un manque à gagner de 25% de la richesse nationale (Quel gâchis !) ; sans compter les frustrations ressenties par les femmes exclues de la vie active et les privations subies par cette exclusion et qui sont difficilement chiffrables. C’est dire combien il est impératif de relever ce défi dans les prochaines années et de l’inscrire sur la liste des priorités nationales.

6- «Last but not least», nous sommes appelés à changer notre approche du facteur « temps » pour le considérer comme un facteur de production et de compétitivité. Notre attitude à l’égard du temps, que nous pouvons qualifier sans hésitation de rétrograde, est lourdement coûteuse : retard dans l’exécution des projets et non-respect des délais sont monnaie courante. L’indifférence par rapport à la variable temps est en passe de devenir une véritable gangrène qui risquerait d’anéantir les efforts accomplis ici et là. Nous sommes appelés à une véritable révolution culturelle et une modification de notre comportement pour revoir un certain nombre de stéréotypes et de conformismes ambiants. Le monde change et évolue à vive allure, la terre tourne à une vitesse qui s’impose à tout le monde et personne ne peut mettre en veille l’horloge de l’Histoire. Rattrapons donc notre retard pour renouer avec le progrès ! Tel est le gage de la modernité.

En somme, le Maroc a des atouts réels et un potentiel indubitable. Mais la partie n’est pas jouée d’avance. Cela dépendra de plusieurs paramètres à la fois internes et externes. Tâchons donc d’identifier les problèmes qui nous freinent et de poser les questions qui s’imposent, en faisant nôtre la formule du philosophe Karl Marx : «L’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle est capable de résoudre».

Ce sont justement ces problèmes que se pose la population assoiffée (au sens vrai du terme !) qui aspire à une vie meilleure ! A quoi sert d’ailleurs le développement s’il n’arrive pas à couvrir les «frais de l’Homme» ? A quoi sert l’émergence si le citoyen ne se voit pas impliqué dans ce projet?

Il faut une mobilisation populaire pour que tous les acteurs s’impliquent entièrement. Le peuple marocain est capable de tout. Une chose est sûre : il est indomptable.

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