«L’entreprise doit savoir quel est son coût fiscal réel»

Définir une vision fiscale claire et concertée et mettre en place une fiscalité neutre, compétitive et équitable combinée à une assiette fiscale élargie relève de l’urgence pour la CGEM. Mohamed Hdid, président de la commission fiscalité et réglementation de changes au sein de la confédération générale des entreprises du Maroc,  mise gros sur les prochaines assises nationales de la fiscalité programmées au mois de mai prochain.  Au Maroc, nous disposons de tous les taux possibles, mais qui ne sont pas harmonisés, dit-il, soulignant que la fiscalité n’est qu’un moyen et pas une finalité en soi. Il est important pour lui, que l’entreprise connaisse son coût fiscal réel pour pouvoir se prononcer sur son business plan et fixer son prix de vente. Hdid, qui regrette le relèvement de la cotisation minimale, conclut qu’on a besoin d’un système fiscal viable qui génère des recettes pour l’Etat et qui soit valable pour l’entreprise

Al Bayane: La CGEM a une vision en matière fiscal.  Dans quelle mesure votre vision converge-t-elle ou diverge-t-elle avec la vision de l’Etat sur la loi des finances 2019?

Mohamed Hdid: Je qualifierai la loi de finances 2019 comme une loi de finances de transition. Nous avons essayé de calmer l’armada des mesures, qu’elles soient positives ou négatives. Pour la CGEM, la vision est d’organiser  les prochaines assises sur la fiscalité. Le patronat demande une fiscalité compétitive, équitable où tous ceux qui gagnent de l’argent paient leurs impôts. On demande une assiette fiscale élargie et un système fiscal qui attire les investisseurs étrangers ou marocains. Par rapport à tous ces objectifs, les différentes parties prenantes doivent se mettre à table pour débattre et discuter  d’un modèle  fiscal.

Je crois qu’on n’a plus le droit de proposer, chacun dans son camp, des mesures qui ne correspondent à aucune vision. Donc, notre vision concorde avec une fiscalité compétitive, allégée et comparable aux standards internationaux. La tendance actuelle partout dans le monde est la baisse de l’impôt sur les sociétés.  Le gouvernement a certes des contraintes budgétaires que tous les Marocains connaissent.  Nous avons aussi des taux de l’IS pour les TPE et PME jugés très convenables de 10% ou 17%, mais tout cela n’est pas harmonisé.

Quelles sont vos attentes par rapport aux prochaines assises nationales de la fiscalité prévues les 3 et 4 mai 2019?

Sur les cinq dernières années, on a eu droit à tous les taux possibles (proportionnel, progressif…), d’où la difficulté des chefs d’entreprises de définir le taux de l’IS réel. Ce dernier doit faire appel à son expert comptable ou son directeur financier pour pouvoir se situer. Sincèrement, on ne peut plus travailler dans ces conditions de changements permanents des taux de l’impôt, loin de toute vision fiscale. A mon sens, nous devons travailler ensemble (administration et secteur privé) dans le cadre d’une réglementation appropriée et convenue par tous.

La fiscalité n’est qu’un moyen et non une finalité en soi comme le Code du travail….L’entreprise doit savoir quel est son coût fiscal réel.  L’essentiel c’est qu’on n’ait pas de préjugés. En d’autres termes, nous demandons juste d’avoir une vision et une visibilité. En tant que confédération, nous essayons autant que possible, de proposer des mesures pour améliorer le climat fiscal  pour l’entreprise et faciliter la tâche à l’entrepreneur pour définir son business plan sur la base d’un taux fiscal X qui lui permette de fixer le prix de vente sur la base de ce coût. Cela permet aussi à l’investisseur, national ou international,  de prendre ces décisions en fonction de plusieurs paramètres dont l’impôt.

Peut-on dire qu’il n’y a pas de priorités tout de suite et qu’il faudra attendre les prochaines assises fiscales prévues les 3 et 4 mai prochain?

La priorité que nous avons aujourd’hui est d’avoir un système fiscal neutre, équitable, simple, stable et efficace.  On reste, toutefois, convaincu et conscient  que tout système fiscal qui ne permet pas de mobiliser les fonds nécessaires pour financer l’Etat est un système non viable.  Donc, on va le changer et si on le change, on rentre dans les mêmes  pièges. Il faut qu’on mette en place un régime fiscal qui génère les recettes exigées pour l’Etat.

Tout le monde doit se mettre à table, le gouvernement, le patronat, les syndicats et la société civile, les universitaires pour fixer une vision et donc, un système fiscal viable et valable pour tous afin d’éviter de continuer de fonctionner selon des mesurettes.

Autrement dit, on leur demande de nous donner la vision qu’ils veulent et on leur propose les mesures  fiscales qu’il faut. Tout est question de vision et de fixation des règles de jeux.

Vous avez dit que vous regrettiez certaines mesures qui n’ont pas été adoptées ou au contraire, ont été adoptées dans le cadre de la loi de finances 2019. Pourquoi et lesquelles?

La principale mesure que je regrette, c’est la cotisation minimale. Pourquoi on l’a touchée alors qu’on aurait pu la laisser pour plus tard ? J’estime que 0,75% au lieu de 0,50% sur les produits est énorme pour certaines entreprises, notamment celles qui ont de gros chiffres d’affaires avec des marges très réduites et qui vont certainement en souffrir.  C’est le cas pour les entreprises qui opèrent dans le commerce des céréales, les concessionnaires de voitures qui travaillent avec des volumes importants, mais de faibles marges. J’aurais aimé attendre la réflexion globale pour parler de cette question de cotisation minimale.  D’ailleurs, malgré les déficits chroniques, ceux qui trichent, le font sur le chiffre d’affaires  et n’auront pas à payer les 0,75%.

Autre chose, la loi de finances 2019 ne donne aucun signal pour l’innovation. On aurait aimé avoir des mesures pour encourager l’innovation et l’investissement. La réponse, qui a été donnée, est d’examiner ce point lors des prochaines assises fiscales. Personnellement, je crois qu’il aurait fallu faire quelque chose sur cette question de l’innovation.

Où se classe le Maroc  par rapport aux  pays du même niveau de développement en termes  de régime fiscal et à quel point notre pays subit-il la pression fiscale de l’Europe?

Nous avons un système fiscal moderne avec des piliers, l’IS, l’IR, la TVA… qui est au même niveau comparable aux pays développés, il faut le reconnaitre. Mais le problème de la comparabilité fiscale internationale se situe principalement au niveau du taux de l’IS. Ce taux tourne actuellement autour de 20 à 25% en Belgique ou en France qui ont fixé des objectifs pour arriver à ces taux. Nous n’avons d’autre choix que d’aller dans ce sens là.

Par rapport à l’UE, ils ont une autre vision qui stipule d’avoir un système fiscal neutre. C’est-à-dire un système qui taxe de la même manière ceux qui vendent au Maroc et ceux qui vendent à l’export. Ils considèrent qu’un système fiscal incitatif à  l’export c’est une forme de subvention déguisée. Donc, c’est  préjudiciable pour leurs économies. C’est facile pour l’UE de nous demander cela, vu son niveau de développement.  Le Maroc a donc besoin de temps pour s’adapter à ce contexte et aura besoin de temps pour réussir l’atterrissage sur dix ans… D’où la nécessité d’uniformiser les taux d’imposition.

Propos recueillies par Fairouz El Mouden

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