Catalogne
La grâce des neuf indépendantistes catalans en prison pour leur rôle dans la tentative de sécession de 2017 est un pari du gouvernement espagnol pour tenter d’apaiser les tensions en Catalogne mais est loin d’être une solution à la crise, selon des analystes.
Le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez a annoncé cette grâce lundi à Barcelone et son gouvernement a approuvé formellement cette mesure mardi lors d’un Conseil des ministres. A l’issue de celui-ci, M. Sanchez a estimé que cette mesure allait ouvrir « une nouvelle étape de dialogue » qui permettra « d’en finir une fois pour toutes avec la division et l’affrontement ».
Cette grâce va « aider à calmer les tensions entre le gouvernement régional (indépendantiste) et le gouvernement central, permettre une négociation plus fluide mais ce n’est pas avec ça que nous allons parvenir à un accord » sur une solution à la crise « qui reste bien loin », affirme cependant Lluis Orriols, professeur de sciences politiques à l’université Carlos III de Madrid.
C’est un « élément plus symbolique » qu’autre chose, abonde Cristina Monge, politologue à l’université de Saragosse, « une manière (pour le gouvernement) de montrer sa bonne volonté avant de s’asseoir à la table des négociations ».
Malgré son interdiction par la justice, le gouvernement régional séparatiste de Carles Puigdemont avait organisé le 1er octobre 2017 un référendum d’autodétermination, émaillé de violences policières et suivi quelques semaines plus tard par une vaine déclaration d’indépendance.
Une tentative de sécession dont les leaders – ex-membres du gouvernement régional ou dirigeants d’associations indépendantistes – ont fui à l’étranger, comme M. Puigdemont, ou ont été condamnés pour neuf d’entre eux en octobre 2019 à des peines de neuf à 13 ans de prison pour sédition.
Près de quatre ans plus tard, cette crise continue de conditionner la vie politique espagnole et de diviser profondément la société catalane.
En échange du soutien du parti séparatiste ERC (Gauche Républicaine de Catalogne) à sa reconduction au pouvoir en janvier 2020, M. Sanchez a accepté la mise en place de négociations formelles entre gouvernement régional et central afin de tenter de trouver une issue à la crise catalane.
Une seule réunion s’est produite en février 2020 avant que les discussions ne soient suspendues en raison de la pandémie.
Cette négociation doit reprendre prochainement, après la rencontre prévue ce mois-ci à Madrid entre M. Sanchez et le nouveau président régional catalan, Pere Aragonès, beaucoup plus ouvert au dialogue que son prédécesseur, l’indépendantiste radical Quim Torra, dauphin de Puigdemont.
La grande question est désormais de savoir si la grâce de ceux que les séparatistes qualifient de « prisonniers politiques » va permettre de faire avancer ces négociations.
Malgré le profil plus modéré de M. Aragonès, du parti ERC, le mouvement indépendantiste campe sur ses deux principales revendications: amnistie, c’est-à-dire effacement du délit, de toutes les personnes condamnées ou poursuivies pour les évènements de 2017 et organisation d’un référendum d’autodétermination avec l’aval de Madrid.
Deux exigences rejetées en bloc par le gouvernement espagnol qui est ouvert en revanche à un vote des Catalans sur un accord entre les deux parties mais uniquement destiné à donner plus d’autonomie à la région qui dispose déjà de larges compétences et a notamment sa propre police.
En dépit de ces profondes divergences, cette grâce devrait aider à tourner la page après une décennie de montée de l’indépendantisme, estime Oriol Bartomeus, professeur de sciences politiques à l’université autonome de Barcelone.
« A partir du moment où on sort de l’équation les prisonniers », dont l’incarcération était un argument de mobilisation pour les séparatistes, « on oblige le mouvement indépendantiste à se repositionner », et à proposer quelque chose d’autre, estime-t-il.
Selon lui, même si face caméra les dirigeants indépendantistes tiendront le même discours, « en coulisses, nous allons voir s’ouvrir un nouveau chapitre ».
De fait, Aragonès et Puigdemont ont encore martelé vendredi en Belgique, où est installé l’ex-président régional, les revendications du camp indépendantiste et affirmé que la grâce n’était pas la solution au « conflit politique ». Aragonès a par ailleurs boudé le discours lundi à Barcelone de Pedro Sanchez.
Mais le nouveau président régional catalan – comme le numéro un de son parti Oriol Junqueras, condamné à 13 ans de prison – ont fait un pas vers Sanchez récemment en abandonnant l’idée d’une indépendance unilatérale.
Ce que prône en revanche toujours Puigdemont, qui n’est pas concerné par la grâce et que le gouvernement central veut toujours voir jugé en Espagne.