La Thaïlande, pays de l’Asie du Sud-Est comptant près de 70 millions d’habitants, est quotidiennement secouée, depuis le mois dernier, par des manifestations organisées par de jeunes étudiants qui, en n’étant guidés par aucun leader, s’inspirent des méthodes adoptées par les militants pro-démocratie hongkongais et s’appuient sur les réseaux sociaux pour relayer leurs appels à manifester.
Et si lundi dernier, ils étaient quelques 4.000 à réclamer, depuis le campus de l’Université de Bangkok, une profonde réforme de la monarchie, brisant ainsi l’un des tabous les plus profonds de la société hongkongaise, la tension est montée d’un cran après l’arrestation, par les autorités de trois militants qui, après avoir été libérés sous caution restent, tout de même, poursuivis pour une dizaine de motifs parmi lesquels la sédition et la violation de l’état d’urgence sanitaire. Aussi, ce dimanche après-midi, ce sont plus de 10.000 manifestants, parmi lesquels Parit Chiwarak alias «Penguin», dirigeant du Syndicat des étudiants de Thaïlande et l’un des trois militants récemment libérés, qui ont occupé l’un des carrefours les plus importants de la capitale, en scandant, à l’unisson, «à bas la dictature!» et en agitant, au bout des bras, des colombes en papier symbolisant la paix. Le pays bn’avait pas connu une telle mobilisation depuis le coup d’Etat de 2014 qui avait porté au pouvoir l’actuel Premier ministre.
Prenant la parole du haut de la tribune installée à cet effet, l’activiste Tattep Ruangprapaikitseree, qui se fait aussi appeler Ford, a déclaré que le rêve des manifestants est de vivre sous une monarchie constitutionnelle et une nouvelle constitution.
Pour rappel, après son accession au trône, en 2016, Maha Vajiralongkorn devenu, depuis lors «Rama X», avait apporté quelques réformes au système en place en prenant le contrôle direct des actifs royaux et en plaçant, sous son commandement, certaines unités de l’armée.
Mais même s’ils entendent réformer la monarchie par la suppression du fameux article 112 aux termes duquel toute personne reconnue coupable de « crime de lèse-majesté» pour avoir «diffamé, insulté ou menacé le roi ou un membre de sa famille» encourt jusqu’à quinze années d’emprisonnement, la principale cible des manifestants reste, incontestablement, le Premier ministre Prayut Chan-O-Cha, cet ancien chef de l’armée, arrivé au pouvoir en 2014 à la faveur d’un coup d’Etat et qui s’y est maintenu en dépit des élections contestées de l’année dernière.
Or, outre la démission de ce dernier, les thaïlandais réclament l’arrêt des menaces contre le peuple, la dissolution du Parlement et la promulgation d’un nouveau texte constitutionnel en remplacement de la Constitution de 2017 qui confère d’importants pouvoirs aux 250 sénateurs choisis par l’armée.
Aussi, après avoir considéré que ces manifestations étaient «inacceptables» et «très risquées», le premier ministre a fini par changer son fusil d’épaule, ce jeudi lors d’un discours télévisé, en appelant à l’unité et en allant même jusqu’à déclarer que «le futur appartient aux jeunes». Prayut Chan-O-Cha essaie, par-là, d’arrondir les angles en ce moment où le pays connaît l’une de ses pires crises économiques depuis 1997 car, en envoyant au chômage des millions de thaïlandais, la pandémie du coronavirus a mis à nu les inégalités d’une économie dont bénéficie, avant tout, l’élite pro-militaire.
La jeunesse thaïlandaise parviendra-t-elle, enfin, à mettre un terme à la « dictature » des galonnés qui gouvernent le pays ou, au moins, à contraindre ces derniers à se dessaisir d’une partie de leurs pouvoirs ? Attendons pour voir.
Nabil El Boussaadi