Sionisme, antisionisme et antisémitisme
Mokhtar Homman
Dans un article précédent nous avons montré la nature expansionniste d’Israël en suivant le projet sioniste. Il s’agit d’une extension des frontières nécessaire pour le regroupement de tous les Juifs du monde en Israël, sur justification biblique. Dans cet objectif Israël a le soutien des principales puissances occidentales. Nous allons donc examiner dans cette partie la relation entre le sionisme et la guerre et montrer qu’ils sont consubstantiels sur les plans idéologique et politique, comme le démontre la pratique historique.
Un fondement idéologique
Dès sa première formulation, le sionisme, chrétien et juif, a projeté l’installation de tous les Juifs en Palestine sans considérer l’existence des Palestiniens. Ce qui impliquait leur expulsion de leur terre ancestrale. Face à l’attachement légitime et irréductible des Palestiniens à leur terre, la violence serait inéluctablement nécessaire pour les chasser et faire place aux immigrants juifs.
« L’antisémitisme universel » de l’idéologie sioniste implique que les Juifs ne peuvent être en sécurité que dans leur État propre. Par conséquent dans cet État juif ne peuvent être tolérés les non juifs qui par essence seraient antisémites.
Donc une seule option se présente : l’expulsion ou le massacre des non juifs, non seulement d’Israël mais du Grand Israël nécessaire à l’accueil de tous les Juifs du monde. Rappelons que la majorité des Juifs vivent en dehors d’Israël et que le sionisme les appelle sans cesse à émigrer en Israël. Cette doctrine est renforcée par le nouveau statut d’Israël devenu l’État juif de tous les Juifs du monde et non plus celui de ses citoyens même inégaux en droit comme à sa fondation en 1948. On peut subodorer que la première Loi fondamentale israélienne, l’État de ses citoyens juifs et non juifs, n’était dictée que par la nécessité d’obtenir le soutien diplomatique le plus large et que sa transformation en État juif était déjà dans les plans du sionisme, comme les déclarations des principaux dirigeants sionistes le laissent entrevoir avant 1948.
Le cadre de cette pensée sioniste est celle du colonialisme européen pour qui les guerres de conquête sont légitimes. De plus, dans le cas du sionisme chrétien aux États-Unis au XIXe siècle, la « conquête de l’ouest » se faisait par la chasse aux Amérindiens, pillant leurs terres, les exterminant même plus que nécessaire, une multitude de génocides ou d’ethnocides au nom de la « nouvelle Terre promise ». Le général Sherman, un des héros de la guerre civile aux États-Unis, voulait « la solution finale pour le problème indien » en ordonnant que « tous les Indiens devront être tués ou maintenus comme une espèce de pauvres » (1). 45 000 Indiens du Missouri furent ainsi massacrés, y compris femmes et enfants. Comment ne pas s’étonner que cet « exceptionnalisme américain » « conduise les citoyens américains à approuver, voire à encourager toujours plus, toutes les violences que pratiquent les colons européens de la Palestine au titre de la conquête de l’ancienne Terre promise » (2). C’est ce qui va donner corps au programme sioniste chrétien repris par le sionisme juif.
Ce n’est pas seulement l’esprit « pionnier » (dont Hollywood nous a gavés), en fait un esprit colonial, des États-Unis qui va nourrir le sionisme juif, mais aussi l’impérialisme britannique. Car le sionisme juif va être porté dans les wagons britanniques dans son entrain pour asseoir sa domination au Proche-Orient et la perspective de possession et contrôle des hydrocarbures. C’est dans l’intérêt de l’Empire britannique que Balfour, qui était avant tout un colonialiste britannique, va promettre un foyer national juif en Palestine au mouvement sioniste. « Si la création d’un foyer juif en Palestine avait contredit ces mêmes intérêts, il aurait été le premier à en récuser l’idée » (3).
Ensuite le programme discriminatoire du sionisme à l’égard des non-juifs porte structurellement l’usage de la violence contre tous ceux qui s’opposeront légitimement à cette discrimination.
L’idéologie sioniste est donc par essence violente et belliciste.
Une nécessité politique
Le corollaire de « l’antisémitisme universel » est qu’il faut rassembler tous les Juifs du monde en un seul État composé uniquement de Juifs. Ce qui implique une colonisation de peuplement, ce qui implique piller des terres, ce qui implique chasser les habitants autochtones, les Palestiniens. Ce qui implique une politique de guerre.
La confirmation la plus éclatante est fournie par David Ben Gourion, le fondateur de l’État d’Israël, lui-même dans une conversation avec Nahum Goldman (4) :
« Pourquoi les Arabes feraient-ils la paix? Si j’étais, moi, un leader arabe, jamais je ne signerais avec Israël. C’est normal : nous avons pris leur pays. Certes, Dieu nous l’a promis, mais en quoi cela peut-il les intéresser ? Notre Dieu n’est pas le leur. Nous sommes originaires d’Israël, c’est vrai, mais il y a de cela deux mille ans : en quoi cela les concerne-t-il ? Il y a eu l’antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur faute ? Ils ne voient qu’une chose : nous sommes venus et nous avons volé leur pays. Pourquoi l’accepteraient-ils ? Ils oublieront peut-être dans une ou deux générations, mais, pour l’instant, il n’y a aucune chance. Alors, c’est simple : nous devons rester forts, avoir une armée puissante. Toute la politique est là. Autrement, les Arabes nous détruiront ».
Cela a le mérite d’être clair, sans ambiguïté, tout le reste n’est que littérature. Le sionisme porte en lui le dilemme tuer ou mourir.
Comme le prévoyait Hannah Arendt en 1948 (5) Israël serait englué dans la « situation peu enviable d’avoir à créer des situations d’urgence, c’est-à-dire contraint à une politique d’agression et d’expansion […] prolongeant artificiellement [la] guerre »pour garantir les flux financiers dont dépendrait son existence.
Israël a besoin de la guerre pour exister, il la provoque par essence et par besoin. Toute sa politique est là.
C’est ainsi que l’armée israélienne est financée par les États-Unis en plus de l’accès illimité aux armes les plus puissantes. C’est pourquoi, Israël s’est doté de la bombe atomique avec l’aide de la France (6), dans la phase la plus philo sioniste de la IVe République.
Rappelons aussi la pensée de Ben Gourion dans son journal le 24 Mai 1948, avec la guerre comme seul outil politique :
Nous allons créer un État chrétien au Liban, dont la frontière sud sera le Litani. Nous allons briser la Transjordanie [Jordanie actuelle], bombarder Amman et détruire son armée, et alors la Syrie tombera, après quoi, si l’Égypte veut continuer à se battre – nous bombarderons Port-Saïd, Alexandrie et Le Caire. Ce sera notre vengeance pour ce qu’ils [les Égyptiens, les Araméens, les Assyriens] ont fait à nos aïeux à l’époque biblique.
En 1948 Ben Gourion déclarait : « Ils (les Arabes) ne comprennent que la force. Ce n’est qu’avec une démonstration de puissance qu’Israël peut se faire respecter et survivre dans la région » (7).
Cela résonne de nos jours. Reconnaissons au sionisme le mérite de la fidélité à son identité faite de violence, de vengeance aveugle – un élément culturel et biblique du sionisme – et la persévérance de son action. Nulle part il n’est question de compromis, de vivre ensemble, d’égalité de droits.
Mais n’oublions pas que l’objectif du sionisme est de regrouper tous les Juifs du monde en Israël. La stratégie est donc double : réduire à néant les populations non juives et, compte tenu du fait que la majorité des Juifs ne vivent pas en Israël, accroître nécessairement la surface d’Israël (ce qui explique pourquoi Israël n’a pas défini ses frontières). Ce besoin « technique » utilise aussi les références bibliques de la présence antique de Juifs du Nil à Babylone. D’où le symbole du drapeau israélien : deux traits bleus signifiant le Nil et l’Euphrate comme frontières ultimes.
Pour toutes ces raisons de fond, la politique sioniste est basée sur l’usage de l’armée, sur la menace permanente d’un usage disproportionné de la force, sur le terrorisme, sur le génocide à basse ou haute intensité, sur l’expansionnisme. C’est une irrépressible pulsion mortifère. La guerre, la guerre de conquête, d’élimination et de génocide est intrinsèque au sionisme. La guerre pour toujours.
Une traçabilité historique
La nature intrinsèquement belliciste de l’idéologie et la politique sionistes est confirmée par la trace historique de l’implantation sioniste en Palestine.
Avant la création de l’État d’Israël, les organisations paramilitaires sionistes vont multiplier les actes terroristes pour expulser les Palestiniens, voler leurs terres et habitations.
Ce sera la guerre de 1948 avec cinq pays arabes, guerre provoquée par le refus israélien de s’en tenir à la résolution 181 de l’ONU, connaissant en avance que l’issue de la guerre lui serait favorable.
Ce sera l’expédition de Suez en 1956 contre l’Égypte pour servir le Royaume-Uni et la France. Ce seront les provocations entraînant la guerre de 1967, présentée comme une agression arabe.
Ce matin-là, 25 mai, Eshkol qui sillonnait le sud rendit visite à l’État-major de Sharon. Ce dernier l’assura que la crise allait permettre à Israël d’anéantir l’armée égyptienne : « C’est une occasion historique », lui dit-il. Ygal Aon, le ministre du Travail qui rentrait d’Union soviétique et qui voyageait avec Eshkol, proposa « d’inventer un prétexte » pour accuser les Égyptiens d’avoir déclenché la guerre… Le chef du Mossad, Amit, proposa d’envoyer un bateau dans le golfe afin que les Égyptiens le bombardent… Le directeur de cabinet du ministère des Affaires étrangères, Arié Levavi, proposait de télégraphier à l’ambassadeur Harman qu’Israël s’apprêtait à déclencher une offensive générale. Eshkol répondit par une autre proposition : « Mieux vaut dire qu’il y a un risque d’attaque contre Israël ». Rabin développa son idée : « Nous dirons qu’il y a un risque d’attaque égypto-syrien contre Israël. J’aimerais que l’histoire retienne qu’avant d’agir, nous avons fait tout ce qu’il était possible de faire en exploitant tous les ressorts politiques » (8).
Le refus de l’application des résolutions 242 et suivantes de l’ONU exigeant le retrait des territoires égyptiens, syriens et palestiniens occupés entraîna la guerre de 1973.
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Mais il y a aussi toutes les guerres menées au Liban, à Gaza et de manière subliminale dans tous les territoires occupés, les bombardements continus en Syrie, le bombardement de l’Irak. Ajoutons à cela les assassinats de dirigeants politiques et de scientifiques arabes, iraniens et autres.
Entre 1948 et mars 2024, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté 229 résolutions sur la colonisation israélienne, le statut de Jérusalem et sur le retour des réfugiés palestiniens qui sont demeurées sans effet. La dernière en date, présentée pourtant par les États-Unis est celle du 10 Juin 2024 sur un cessez-le-feu à Gaza, a aussi été rejetée par Israël.
Israël s’oppose donc radicalement et systématiquement à la principale instance mondiale consacrée à la paix. Paraphrasant Jaurès on peut dire que le sionisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ! (9)
Si le sionisme a besoin de la guerre pour exister, la paix est l’arme stratégique et décisive pour réduire le sionisme à néant. La question posée est alors comment décliner cette stratégie de paix en moyens concrets, ce que nous analyserons dans l’article final de cette étude.
La violence du sionisme s’exerce contre les Palestiniens, contre les peuples arabes et musulmans. Les Palestiniens se défendent, ce qui est présenté comme une agression terroriste par le sionisme. Il y aurait-il une raison antijuive propre aux peuples arabes pour exercer en retour une violence comme le répète sans cesse la propagande sioniste ?
Nous allons montrer qu’au contraire les pays arabes et musulmans ont été une terre de vie pour les autochtones juifs, y compris en Palestine avant l’arrivée du sionisme, et une terre de refuge pour les Européens juifs.
Mokhtar Homman, le 21 février 2025
Demain : XIII – Le monde arabo-musulman et les Juifs
Notes
- Thomas J. DiLorenzo: « False Virtue: The Life and Death of American Exceptionalism » | Mises Institute, 7 Novembre 2023.
- Georges Corm : Pour une lecture profane des conflits, p.150.
- Shlomo Sand : Comment la terre d’Israël fut inventée, p. 251.
- Nahum Goldmann : Le paradoxe juif. Nahum Goldmann était l’ancien président du Congrès Juif Mondial.
- Philosophie Magazine du 23 Octobre 2023.
- « Comment la France a aidé Israël à avoir la bombe », le Figaro, 7 Mai 2008.
- Nahum Goldmann : op. cit., p. 118.
- Tom Segev : 1967, Six jours qui ont changé le monde.
- Jean Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage ! », discours du 25 juillet 1914 contre le déclenchement de la première guerre mondiale. Il sera assassiné le 31 Juillet 1914, trois jours avant l’entrée en guerre de la France.
Bibliographie
Corm, Georges : Pour une lecture profane des conflits. Éditions La Découverte, Paris, 2015.
Goldmann, Nahum : Le paradoxe juif : Conversations en français avec Léon Abramowicz (Les Grands Leaders). Éditions Stock, Paris, 1976.
Sand, Shlomo : Comment la terre d’Israël fut inventée. De la Terre promise à la mère patrie. Éditions Fayard, Paris, 2012.
Segev, Tom : 1967, Six jours qui ont changé le monde. Éditions Denoël, Paris, 2007.