Des «visions»… sans visibilité stratégique

Gouvernance locale à Casablanca

Casablanca, où se côtoient les richesses les plus indécentes et la misère la plus infâme et la plus dégradante, les divertissements et les loisirs les plus attrayants et l’exclusion et la précarité les plus intenses et les plus extrêmes, se développe en préservant ses paradoxes et ses contradictions.

La Métropole, où le quartier des affaires prend forme avec la livraison de la Tour Casablanca Finance City (CFC), et l’arrivée bientôt d’autres entités financières, fait parler d’elle également par les scandales qui ternissent son image, tels que l’affaire du centre social de Tit Mellil ou encore le drame de la maison de bienfaisance de Sid Bernoussi, laissant entendre que la ville des affaires se déshumanise. On a l’impression que la ville brille, avance et se distingue par ces deux extrémités, celle de la modernité et des affaires et l’autre balisant la voie à l’enfer.

Le nombre des chômeurs, des marchands ambulants, des mendiants, des pauvres, des exclus, des SDF, des voleurs, des violeurs et des délinquants augmente au même titre que celui des opportunités de bonnes affaires, des investisseurs, des capitaux, des touristes, des nouveaux diplômés d’écoles prestigieuses, d’opportunités d’emploi, de promoteurs, d’entrepreneurs. Chaque extrémité se développe indépendamment de l’autre et s’éloigne continuellement d’elle. Pour réduire les écarts et les inégalités et assurer à la Métropole un développement harmonieux afin de rendre la ville plus attrayante et plus compétitive et où il fait bon vivre, des «visions» stratégiques ont été mises en place par les décideurs de la capitale économique du pays.

C’est à ce propos que la vision «Casa2010», qui se voulait dynamique et positive avec l’ambition d’assurer à Casablanca une réelle transformation digne des grandes métropoles, surtout en matière de mobilité, a été lancée en grande pompe en 2006. Quatre plus tard, le chantier n’était pas achevé, demandant plusieurs réglages qui ont nécessité d’autres investissements et beaucoup de temps. Autant dire que la «vision 2010» n’aurait pas été bien conçue au départ. Des années plus tard, la vision «2015-2020» aura presque le même sort. En effet, plusieurs projets de développement socioéconomiques programmés dans le cadre de cette vision ne sont pas encore lancés, alors que qu’ils devaient être livrés l’année prochaine. Un branle-bas ponctue ces derniers temps la wilaya de Casablanca et les institutions régionales afin de trouver des formules pour sauver le navire. Dans ce sens, des réunions ont eu lieu entre les décideurs régionaux et de hauts responsables au ministère de l’Intérieur en vue de débloquer la situation. A ce niveau, tout porte à croire que le chantier ne serait pas concrétisé à temps.

La proximité mise à mal…

La même constatation serait de mise pour les autres «visions», celle de «2025» et celle de «2030». Toutes ces «visions», surmédiatisées à leur lancement, n’auraient que des effets d’annonce. Un manque de visibilité, en somme. A l’échelle de la gestion de la chose locale, le tableau n’est pas reluisant. En effet, la mairie de Casablanca est en passe de devenir une coquille vide après avoir cédé tous les secteurs d’activité liés, de surcroit, à la proximité, à des sociétés de développement local (SDL), qui échappent au contrôle et au suivi des élus, juste après leur mise en place.

Deux SDL, (chargées respectivement de l’environnement et des marchés et des abattoirs de la ville), créées l’année dernière, ont renforcé celles déjà mises en place, à savoir «Casablanca Aménagement», «Casablanca Events et animation», «Casablanca prestations», «Casa transports». C’est dire que tous les secteurs sont pratiquement confiés à des SDL. Les autres, notamment la distribution de l’eau et de l’électricité ainsi que les transports et l’assainissement sont gérés dans le cadre de la gestion déléguée.

Dans les deux cas, le suivi et le contrôle de l’autorité délégante font toujours objet de débat et soulèvent moult interrogations. D’ailleurs, c’est le laxisme de la mairie dans ce domaine qui a plongé la ville depuis plusieurs semaines dans le chaos des ordures qui asphyxient la métropole. Et c’est la même politique qui est à l’origine des déboires du secteur des transports en commun par bus dans les différentes zones de la capitale économique du pays. Au niveau des arrondissements composant le conseil de la ville, les défaillances en matière de politique de proximité sont frappantes. Les «maisons de jeunes» se font de plus en plus rares, alors que le nombre de jeunes va crescendo, les infrastructures socioculturelles n’accompagnent pas l’explosion démographique de la métropole, balisant la voie à l’oisiveté et au désœuvrement,  et le social a été instrumentalisé à des fins électorales dans les quartiers populaires et populeux. Sur ce dernier registre, la précarité serait même «entretenue» par certaines parties pour servir le fichier électoral.

La formule machiavélique, selon laquelle la fin justifie les moyens, serait de mise dans ce cadre. Cet état de fait, ayant conduit la ville blanche à ce niveau de dégradation, de paradoxes et de contradictions, a interpellé le Souverain, en réservant à la gouvernance dans la Métropole une bonne partie de son discours au perchoir du Parlement  à l’occasion de l’ouverture de la première session de la troisième année législative de la 9ème législature. «Casablanca est la ville des disparités sociales les plus criantes, où se côtoient les catégories riches et les classes pauvres. C’est la ville des gratte-ciel et des bidonvilles. C’est le centre de la finance et des affaires, mais aussi de la misère, du chômage et d’autres maux, sans parler des déchets et des ordures qui en ternissent la blancheur et entachent la réputation.

Quant aux causes, elles sont aussi nombreuses qu’interdépendantes. Ainsi, outre la faible efficacité des interventions de certains services provinciaux et régionaux des différents départements ministériels, on relève, entre autres raisons majeures, le mode de gestion adopté par certains Conseils élus qui se sont succédé à la gestion de la ville, ainsi que les antagonismes stériles entre leurs composantes respectives. On constate, de surcroît, la multiplicité des fonctions assumées par les membres de ces Conseils et le cumul des responsabilités, même si, par ailleurs, il existe des élus compétents, animés de bonne volonté et soucieux de l’intérêt de leur ville. En un mot, le problème dont souffre la capitale économique tient essentiellement à un déficit de gouvernance», avait souligné SM le Roi Mohammed VI dans son discours, le vendredi 11 octobre 2013 à Rabat, à l’occasion de l’ouverture de la première session de la troisième année législative de la 9ème législature. Le mal a été pointé du doigt. Le problème dont souffre la Métropole tient essentiellement à un déficit de gouvernance.

Belkassem Amenzou

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