«Il fallait qu’on lise sur les visages tout le passé des personnages»

Entretien avec le réalisateur marocain Kamal Lazraq

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

Un film noir. Kamal Lazraq nous plonge dans le côté sombre de la ville dite blanche. Dans «les meutes», Grand Prix du 24eme FNF et le Prix «Black Iris» du meilleur long-métrage arabe, le réalisateur esquisse le portrait, les portraits des marginaux, des visages fracassés de la marge. Tourné entièrement la nuit, Kamal Lazraq, qui opte dans cette œuvre cinématographique pour des acteurs non professionnels, nous jette dans la noirceur des univers où fleurissent les activités clandestines des protagonistes vivant dans l’ombre des milieux défavorisés, à la marge de la société. Le film passe en une nuit, longue, harassante et dangereuse. Toutes les sensations y sont : la peur, le suspens, l’hésitation, la colère, le malaise et la violence. On a rencontré le réalisateur dans le cadre de la 21ᵉ édition du Festival International du Film de Marrakech. Entretien.

Al Bayane : votre long métrage à succès « Les Meutes » a été soutenu par le programme « Ateliers de l’Atlas » du Festival International du Film de Marrakech. Que pensez-vous de cette plateforme qui est désormais une structure structurante de l’industrie du cinéma  non seulement  au Maroc,  mais aussi en Afrique et dans le monde arabe ?

Kamal Lazraq : C’est vrai que c’était pour nous une expérience très importante parce que la première fois qu’on a partagé le projet avec l’industrie c’était dans « Ateliers de l’Atlas ». Pour ce faire, on a passé beaucoup de temps avec mon producteur à écrire un scénario, des notes d’intention,  des dossiers visuels pour convaincre les différents partenaires. Ainsi, le fait  d’avoir l’opportunité de participer aux « Ateliers de l’Atlas »; ça nous a donné un premier retour de l’industrie des professionnels c’est-à-dire qu’on a eu à la fois le point de vue du marché, des distributeurs, des vendeurs, des directeurs de festival, des plateformes qui nous disaient où ils voyaient le potentiel commercial du film et en même temps on avait des  retours plus artistiques avec des consultants en scénario, des consultants de mise en scène qui se sont plus basés sur des retours artistiques. Ces deux éléments sont très importants à une phase au tout début du développement du projet. Je pense que ça nous a fait gagner beaucoup de temps, ça nous a rassurés sur certains points, ça nous a fait réfléchir sur d’autres. C’était très enrichissant, surtout d’avoir en quatre cinq jours les avis d’une dizaine de professionnels très expérimentés forcément pour un  jeune réalisateur qui  s’apprête à réaliser son  premier long métrage ; ça donne forcément un grand coup d’accélérateur au projet. Mais, il faut venir avec un  projet solide dont on est convaincu et écouter les avis mais et ne pas forcément  tomber dans le consensus mou en écoutant les avis de tout le monde, mais plutôt essayer d’avoir l’intelligence de prendre ce qui est peut être utile au film.

Nous voudrons  revenir sur  votre film noir «Les meutes» qui est une suite du court-métrage «L’Homme au chien». Cette œuvre a été réalisée   en une nuit, une nuit qui était très longue, très harassante.  De prime abord pourquoi avoir choisi le film noir sachant que c’est un genre qui n’est pas facile.

Ça venait vraiment de ce précédent court-métrage «L’Homme au chien» que j’avais  réalisé et qui se passait en une nuit à Casablanca. Ce court métrage m’avait été inspiré par une histoire vraie ! Du coup je ne suis pas venu par hasard ; c’était une histoire vraie qui était arrivée à un des acteurs du film «L’Homme au chien». En fait, je suis arrivé comme ça dans ce dispositif de la nuit et après avoir réalisé ce court métrage, j’avais l’impression que je n’avais pas tout exploré et que c’était un dispositif qui était  très intéressant, qui était propice au développement des thématiques qui m’intéressaient. Par ailleurs, j’ai  eu envie d’en faire un long métrage qui ne reprend pas l’histoire du court-métrage, mais qui se situe dans le même univers et avec cette même temporalité de la nuit, comme j’avais envie de faire un film qui commence de façon assez réaliste et assez naturaliste et qui, au fur et à mesure,  de l’avancée de l’intrigue va vers le conte, vers le mysticisme, vers l’existentialisme, vers l’absurde. La nuit ça se prêtait bien à ça parce que ça donnait un côté onirique au film. En outre, ce délai du lever du jour ramenait aussi une intensité dans  l’intrigue et ça forçait les personnages à agir de façon un peu frénétique et ça renforçait pour moi la dramaturgie. Cette idée de  la nuit du film noir est vraiment venue à partir d’un de ce précédent court-métrage.

Dans ce long-métrage vous avez opté pour un casting sauvage. Mais en filmant  ces visages fracassés surtout des marginaux avec une lumière contrastée vous avez apporté une touche mystique émanant de la noirceur de l’image. Parlez-nous de ces choix surtout techniques et esthétiques notamment avec le directeur de la photo, Amine Berrada?

C’est vrai que tous les personnages du film sont un peu des laissés pour compte qui tombent dans des engrenages qui les dépassent, c’est-à-dire qu’ils ne partent pas d’une mauvaise intention ou d’une  intention criminelle, mais ils essaient de s’en sortir et puis l’accumulation des événements, les entraînent dans un cercle infernal.C’est vrai que pour moi c’était important de choisir des gueules de cinéma ! Effectivement, je savais qu’il fallait qu’on lise sur les visages tout le passé des  personnages, et qu’en ayant un visage  marqué, expressif on n’aurait pas besoin d’expliquer par des dialogues la psychologie ou le passé.

En effet,  avec  Amine Berrada c’était tout l’enjeu, c’était comment filmer la nuit parce qu’on n’avait pas envie de garder un côté très authentique, très brut, ne pas trop éclairer, d’être dans  ce côté très sombre avec ces visages qui émergent de la nuit et de renforcer  l’expressivité des visages. C’est vrai que c’est là où il a été très intelligent ; c’est qu’il n’a pas cherché à trop éclairer parce que nous sommes  vraiment partis parfois du noir complet en rajoutant seulement certains points lumineux  qui venaient dessiner les arêtes du visage. C’était une collaboration très enrichissante avec Amine Berrada qui avait parfaitement compris le projet.

Il y a également ce côté aussi réaliste dans le film et ça se voit d’ailleurs qu’il y a une documentation,  une écriture et des repérages qui ont été faits avant la réalisation de ce film. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce processus d’écriture du scénario et de la réalisation ?

Tous les personnages du film sont inspirés de personnages existants que j’avais rencontrés soit pendant les repérages et castings de mes précédents films soit que je connais ça dans la vie. Les lieux sont des lieux que je connaissais, donc je partais vraiment  de l’existant et ensuite j’ai essayé de construire par-dessus  ce matériel existant de construire une fiction. C’est vrai, il n’y a pas eu beaucoup eu besoin de faire énormément de  repérage  parce que je connaissais les lieux et même le casting j’ai dû trouver les deux acteurs principaux,  mais pour beaucoup j’avais écrit en  pensant à eux. À vrai dire, écrire à partir d’une matière existante c’était vraiment ça le processus. Ensuite quand on travaille avec des non-professionnels, avec une approche documentaire, donc tous les jours  il y a forcément des imprévus, il y a quelque chose qui n’arrive pas à tourner. Donc fallait constamment  s’adapter parce que le côté artisanal vient plutôt de là ; c’est chaque jour on réécrive un petit peu, on repensait le  découpage avec le chef-opérateur.

En fait, ce n’était vraiment pas le tournage avec story-board où il fallait enregistrer ce qui avait été planifié avant, mais au contraire on avait on avait un scénario très écrit, très précis, on avait un programme très précis mais on autorisait  à en dévier tout en gardant le l’esprit et le cœur du film.

Le magnifique mélodrame «La Mer au loin» réalisé par Saïd Hamich a été projeté dans le cadre de la compétition officielle de la 21 édition du Festival International du Film de Marrakech. Avez-vous des affinités artistiques avec ce cinéaste  qui était également votre producteur ?

C’est  vrai que c’est mon producteur  depuis l’école de cinéma parce qu’ il a produit mon film de fin d’études et ensuite il m’a accompagné sur un court-métrage, puis le long, puis maintenant le  prochain long… donc il y a forcément une affinité  artistique  assez forte même si voilà son film comme vous avez dit est très différent avec  une façon de filmer  très différente, mais, forcément, oui, on est dans un rapport au cinéma qui est assez proche et c’est pour ça qu’on  travaille, on qu’on continue à travailler ensemble.

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