« La victime de harcèlement moral doit prouver l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage »

Zineb Naciri-Bennani, Avocate au Barreau de Paris et au Barreau de Casablanca

Propos recueillis par Kaoutar Khennach

Tout salarié peut être victime de harcèlement moral et ce, quels que soient son poste, son ancienneté, l’activité et la taille de l’entreprise ou encore, le type de contrat de travail . Toutefois, aucune liste de faits ne caractérise le harcèlement moral au Maroc. Quelle est donc la définition du harcèlement moral ? Comment agir en cas de harcèlement moral ? Et quelles sont les sanctions? Pour répondre à ces questions majeures, nous avons interviewé Zineb Naciri-Bennani, Avocate au Barreau de Paris et au Barreau de Casablanca. Les propos.

Al Bayane : Quelle est la définition légale d’un harcèlement moral au travail?

Zineb Naciri-Bennani : Il n’existe pas de définition légale du harcèlement moral au travail en droit marocain. Cette notion est absente du Code du travail et du Code pénal qui ne connaissent que le harcèlement sexuel sanctionné aux articles 40 du Code du travail et 503-1 du Code pénal.

Néanmoins le harcèlement moral est un fait, qui entraîne une dégradation des conditions de travail des salariés, pouvant porter atteinte à leur santé physique ou mentale. Il s’agit de comportements abusifs qui, par la durée, et le caractère répétitif causent des troubles psychiques ou physiques mettant en danger la santé de la victime.

Quels sont les différents types de harcèlement moral au travail ?

Le harcèlement moral peut résulter à titre d’exemple d’insultes régulières et répétées, de communications par mails ou messages téléphoniques intempestifs, de réflexions déplacées vis-à-vis du salarié en raison de son genre, de critiques systématiques, de menaces de licenciement, de retrait de mission ou de donner des consignes ou des instructions et ensuite en reprocher l’application. Il peut émaner du représentant légal de la société ou de personnes travaillant au sein de celle-ci.

Que dit la loi marocaine ?

L’article 24 du Code du travail prévoit que « de manière générale, l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires afin de préserver la sécurité́, la santé et la dignité́ des salariés dans l’accomplissement des tâches qu’ils exécutent sous sa direction et de veiller au maintien des règles de bonne conduite, de bonnes mœurs et de bonne moralité́ dans son entreprise.

Cette obligation ne peut être remplie lorsque les salariés subissent un harcèlement moral de la part de l’employeur ou de salariés de la société, qui porte atteinte à leur santé ou leur dignité.

L’article 40 du Code du travail pourrait servir de fondement à la qualification du harcèlement moral comme faute grave de l’employeur, lorsque ce harcèlement est interprété comme un fait de « violence ou d’agression dirigée contre le salarié ».

Il convient de rappeler que la violence psychologique est aujourd’hui consacrée par la loi n° 103-13 de lutte contre les violences faites aux femmes. Il est dommage que cette définition ne figure que dans une loi spéciale.

La preuve de l’existence d’un fait de harcèlement moral entraînerait la qualification de la rupture de la relation de travail en licenciement abusif et l’octroi de dommages-intérêts au profit du salarié victime de harcèlement moral. 

Comment se déroule une enquête pour harcèlement moral ?

La victime de harcèlement moral doit réunir les éléments, la preuve permettant d’établir l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre la faute et le dommage.

La faute consiste en la justification des comportements décrits ci-dessus résultant de témoignages, e-mails, constats d’huissiers, etc., alors que le dommage résulte habituellement d’un certificat médical émanant d’un médecin et justifiant le préjudice moral.

Lors de la séance d’enquête le tribunal entend les témoins pouvant étayer la position de l’une ou l’autre des parties, le témoignage n’étant pas à lui seul suffisant pour prouver les faits de harcèlement.

Au Maroc, le harcèlement au travail est-il toujours un tabou ?

Du fait de sa nature, il peut être difficile pour la victime d’un harcèlement moral de le réaliser. C’est parfois au cours de consultations au profit de salariés qui pensent à démissionner que nous relevons des faits de harcèlement moral, alors que le salarié n’en avait pas conscience.

Une fois que le salarié a réalisé qu’il est victime de harcèlement moral, il doit pouvoir en apporter la preuve, ce qui constitue une difficulté particulière. Alors que certaines législations, telle que la loi française, a modifié le régime de la charge de la preuve, puisque le salarié peut se limiter à présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement, et non plus établir des faits qui permettent d’en présumer l’existence, la loi marocain exige la preuve du harcèlement.

À cela s’ajoutent des facteurs culturels : volonté d’un haut cadre de maintenir son image en refusant de se dire victime d’un harcèlement moral, refus d’un salarié d’évoquer une question de harcèlement sexuel, peur de perdre son emploi sans pouvoir retrouver de nouvelles fonctions, etc.

Quelle démarche à suivre en cas de harcèlement ?

Le meilleur conseil que nous pouvons donner à toute personne rencontrant des difficultés au travail est de se diriger vers un avocat pour connaître ses droits et ses obligations à l’égard de son employeur et les mesures à prendre pour se protéger. Chaque situation a ses particularités quant à la nécessité de maintenir ou non la relation de travail.

Il convient de faire établir un certificat médical lorsque le harcèlement a causé un préjudice au salarié et affecté son état psychologique et suivre l’évolution de l’état de santé avec le médecin, puisque le salarié peut avoir une reconduction de son certificat.

Malgré l’existence de faits de harcèlement moral, il est nécessaire de ne pas écarter une tentative de règlement amiable du conflit, tout en veillant à conserver tous les éléments de preuve permettant d’étayer un futur litige.

En cas d’échec, il sera possible de saisir le tribunal compétent pour qualifier les faits et permettre au salarié d’obtenir une indemnisation réparatrice de son préjudice.

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