Le manque à combler

Habiter la lumière

Par : M’barekHousni

Il en est de la ville comme de la vie, là où l’homme sent le besoin de cerner son être de ce qui l’assiste dans son accomplissement,sinon parfait, du moins aussi entier que possible. L’utilitaire que permet l’habitat dans la ville, est la première chose demandée, exigée puisque de nature à permettre la vie elle-même. Protection, épargnement, sécurité et une certaine liberté.

Mais une fois celui-ci acquis, se dresse alors un manque, quelque chose qui doit être satisfaite. Comme un besoin tapi quelque part, vers lequel on se sent lié sans le bien déterminer. Car la vie ne s’étale pas n’importe où, elle a un lieu, un lieu dans le lieu, qui lui est propre, un lieu où cet accomplissement doit être visualisé, autrement dit, qui se construit. Quand construire rime avec créer. Une autre satisfaction est en jeu ici : combler le manque par ce qui est symbolique passant par l’imaginaire, ou bien combinés tous les deux. Tout cela qui vient à travers la question du pourquoi je vis ici et là ? Alors vient l’art qui doit embellir par le fait de donner sens en n’acceptant pas de vivre seulement dans un espace donné utile, mais en l’intégrant à soi, au vécu, à la vie en somme. Ça a toujours été ainsi si on en croit les historiens de l’art. En commençant par la conjuration de la peur du dehors sauvage, en passant par l’obéissance à un au-delà qui commande à la destinée humaine, la célébration d’hommes et d’évènements, et enfin par l’embellissement de l’espace habité pour le plaisir de l’œil. Cette dernière étape coïncidant avec la modernité. À chaque époque un choix d’habitat, un choix de ville.

Demeure toujours en changeant d’aspect et d’idée derrière cet aspect, le manque qui doit être comblé à chaque fois et dont les architectes et les artistesessaient de donner une réponse adéquate.

Habiter la lumière

Là, me vient à l’esprit une citation célèbre de l’architecte et artiste Le Corbusier qui a dit : « L’architecture est le jeu magistral, correct et magnifique des masses réunies dans la lumière. Nos yeux sont faits pour voir des formes en lumière : la lumière et l’ombre révèlent ces formes ».

Voir. Vivre et voir, voilà le mot. Dans la lumière. Le manque prend ici l’aspect d’une obscurité.  Ne pas embellir équivaut à vivre dans le noir ou presque. L’important à signaler ici est que cette lumière est donnée, celle du soleil, celle du jour. Elle est dans la ville. Il suffit de s’en rendre compte. De la rendre symbolique, de lui fournir un cachet esthétique. En créant. En installant. En détournant. Ainsi la vie ne serait pas bête, mais vécue dans la beauté. Un certain culte de la beauté, installé et non plus recherché.De temps en temps ou continuellement. Louis Khan avait dit : « La fenêtre est une chose merveilleuse par laquelle vous obtenez la touche de lumière qui vous appartient à vous, non au soleil.” (LouisKhan, Silence et lumière, 1996 Editions duLinteau).

C’est cette appropriation qui est en vigueur, une découverte moderne et une trouvaille de taille, faisant ainsi l’objet de la question esthétique qui devient alors une expérience sensorielle. Immersion, plongée, placement, vol même, en tout cas marcher par exemple ne serait plus un acte neutre. Des sculptures rencontrées, des installations débordant le cadre des murs, des constructions en plein air, dans la nature, éclairées comme d’elles-mêmes, des façades et des places dépassant la fonction utilitaire, toutes sont des invitations à l’émotion, à la réflexion. Étonnamment et admiration ou le contraire.

Et voilà qu’un objectif vital est atteint, ou presque. Car il y faut la condition de l’adhérence instinctive ou constituée.  Cet objectif c’est la réalisation de la participation qui sauve. Du coup, la robotisation est cassée, la routine est brisée, la monotonie vaincue. La vie vivante reprend ses droits, le corps quitte de temps à autre sa matérialisation effrénée pour sentir, pour que son âme trouve un écho salvateur dans l’âme d’une ville et qui n’est possible que grâce à l’art.

« Qu’importe ce que peut être la réalité placée hors de moi, si elle m’a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis ? » disait Baudelaire, le poète de la ville, le premier à l’inscrire dans sa quête moderne, à l’ériger comme « paysage » à admirer et surtout susceptible d’inspirer de belles choses. Pratiques et créatives. Dans la vie de tous les jours comme dans les tendances à produire du beau artistique. Là, la question esthétique à ciel ouvert s’élève à un niveau participatif après avoir été une expérience sensorielle, relevant de l’émoi. L’imposition de l’œuvre d’art oblige à la mise à la contribution (confrontation). « L’art est un effort pour créer, à côté du monde réel, un monde plus humain » disait l’écrivain André Maurois.

—-

Intervention à Dar Souiri (Essaouira), table ronde autour de la ville et la question esthétique, mai, 2021.

Related posts

Top