«L’intellectuel et le politique : quelle relation ?»

Débat intellectuel et culturel de haut niveau organisé par le CERAB au siège du PPS

Mohamed Nait Youssef

Le Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB) a organisé, mercredi 19 mars, au siège national du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS), une rencontre-débat sur le thème «L’intellectuel et le politique : quelle relation ? ». Dans une salle archicomble, les intervenants ont tour à tour mis en lumière cette question à la fois complexe, urgente et toujours d’actualité. En effet, cet événement intellectuel et culturel de haut niveau a réuni un parterre d’intellectuels de renom, parmi lesquels Hassan Aourid, politologue, romancier et essayiste, Noureddine El Hachami Oudghiri, expert en matière de sauvegarde sociale et environnementale, Mohammed Chiguer, président du Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB), Mohamed Nabil Benabdallah, Secrétaire général du Parti du Progrès et du Socialisme (PPS) ainsi que des personnalités des mondes de la culture, de la politique et de la société civile. Par ailleurs, cette rencontre a été l’occasion de mettre l’accent sur les défis auxquels sont confrontés l’intellectuel et le politique dans le contexte des transformations mondiales actuelles. En outre, les échanges ont notamment porté sur le recul de l’action politique et la montée en puissance du populisme, ainsi que sur le rôle de l’intellectuel, de l’esprit critique, du savoir et de la connaissance dans la revitalisation de la politique et le renforcement de la conscience collective.

Nabil Benabdallah : «Réconcilier l’intellectuel et le politique face aux nouvelles réalités »

Réagissant à ce débat, le secrétaire général du PPS, Mohamed Nabil Benabdallah, a affirmé que cette rencontre revêt une grande actualité et importance, particulièrement dans le contexte actuel. Au Maroc, a-t-il rappelé, même en temps de crise, un combat intellectuel précédait souvent une lutte politique, et les deux domaines se chevauchaient. Aujourd’hui, cependant, un «fossé» s’est creusé entre l’intellectuel, le politique et la société.

Benabdallah a évoqué ce «fossé» devenu évident entre les acteurs politiques et intellectuels d’une part, et la société et ses pratiques politiques d’autre part. Il a souligné que cette fracture contribue à aggraver le désintérêt politique et entraîne un manque de communication efficace entre les sphères politique et intellectuelle. Malgré cette situation, il a insisté sur le fait que cette rencontre ne visait pas uniquement à revenir sur le passé, mais aussi à anticiper l’avenir et à réfléchir à la manière de renforcer la relation entre intellectuels et politiques dans le contexte actuel.

«Cette rencontre est une tentative d’explorer ce que nous pouvons faire aujourd’hui et comment réconcilier l’intellectuel et le politique face aux nouvelles réalités.», a-t-il expliqué. Et d’ajouter : «Nous organisons des rencontres dans plusieurs espaces afin d’impliquer les intellectuels et les penseurs dans une série de sujets d’actualité, tels que l’intelligence artificielle, ainsi que d’autres questions. Par ailleurs, nous disposons d’un groupe de réflexion sur la manière d’aborder le monde, et nous recherchons également des personnes souhaitant contribuer avec nous à la réflexion, à la recherche et à la compréhension de la réalité. »

En outre, Nabil Benabdallah a reconnu l’existence de nombreuses lacunes et insuffisances affectant le travail politique, expliquant que les partis nationaux, malgré leur profondeur intellectuelle et historique, peuvent être défaillants sur certains aspects. Toutefois, il a souligné que le parti cherche à améliorer sa performance en ouvrant des espaces de réflexion et de débat entre les différents acteurs politiques et intellectuels, insistant sur l’importance de ces initiatives visant à moderniser l’action politique marocaine.

«La politique peut connaître des reculs, et il peut y avoir des lacunes dans notre pratique, mais ce renouveau ne pourra se faire qu’avec la convergence des efforts, en particulier entre le politique et l’intellectuel.», a-t-il déclaré.

Il a révélé que le Parti du Progrès et du Socialisme aspire à s’inspirer des idées des intellectuels pour renouveler son discours politique et développer de nouvelles approches reflétant les évolutions rapides dans les domaines de la technologie, de l’intelligence artificielle et des grandes transformations mondiales. Il a également précisé que le parti travaille actuellement à constituer des groupes de travail composés d’intellectuels et d’experts dans ces domaines, dans le but d’élaborer des visions adaptées aux défis futurs.

Nabil Benabdallah a également insisté sur la nécessité de résister aux discours sur la «fin de la politique», devenus courants dans certains milieux, affirmant que la politique ne disparaîtra pas, mais qu’elle pourrait connaître des reculs notables face aux crises successives.

Par ailleurs, il a affirmé qu’un nouvel élan politique est essentiel, et qu’il ne pourra être réalisé qu’en unissant les efforts des intellectuels et des politiques, et en intensifiant la coopération entre les think tanks et les partis politiques.

Enfin, le secrétaire général du PPS a appelé à une véritable réconciliation entre politiques et intellectuels, soulignant que cette collaboration doit se fonder sur une compréhension des réalités actuelles et de leurs nouvelles données, tout en travaillant main dans la main pour éclairer la voie vers un avenir meilleur.

Mohammed Chiguer : « Il y a une crise de la pensée »

Mohammed Chiguer, président du Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB) et modérateur de cette rencontre, a mis en avant la question de la relation entre l’intellectuel et le politique, en tenant compte de la situation actuelle. «Nous vivons une période particulière où l’humanité a réalisé des avancées technologiques notables, notamment en matière d’intelligence artificielle, tout en négligeant la culture et la politique.», a-t-il déclaré. Selon lui, il y a une dévalorisation et une ignorance du travail de l’intellectuel, dont le rôle est devenu marginal, même au sein des partis politiques. Pour le président du CERAB, l’intellectuel est en fin de compte traditionnel. «L’intellectuel est le produit de son environnement. Et la relation entre l’intellectuel et le pouvoir est importante, voire cruciale.», a-t-il souligné. Aujourd’hui, explique Mohammed Chiguer, nous vivons une période de transition marquée par le développement technologique. «Il y a une crise de la pensée, en particulier avec le déclin du niveau de lecture et de la culture. Il y a un vide et l’émergence de phénomènes populistes.», a-t-il indiqué. En revanche, l’intellectuel, a-t-il rappelé, doit faire preuve de courage pour jouer pleinement son rôle et doit bénéficier d’une indépendance financière.

Hassan Aourid : «Le vide conduira à un moment populiste»

Intervenant lors de cette rencontre, le politologue, romancier et essayiste Hassan Aourid a pointé du doigt la ‘’rupture’’ existante entre l’intellectuel et le politique, tout en appelant à combler ce «fossé». «Une vie politique dynamique est essentielle. Le pouvoir a besoin d’action politique, et la société doit accueillir l’intellectuel.», a-t-il affirmé. Pour lui, la question de la relation entre l’intellectuel et le politique est fondamentale dans l’évolution des sociétés. Selon lui, ce sujet devrait faire l’objet d’un débat public.

Il a souligné que l’intellectuel est une personne qui pratique la politique en ‘’costume civil’’. «L’intellectuel s’engage dans les affaires publiques. Il exerce la politique même s’il ne s’engage pas dans ses règles formelles, et il a toujours été au cœur de la politique.», a-t-il expliqué.

Par ailleurs, Hassan Aourid a relevé que le désintérêt pour la politique est un phénomène mondial, marqué par le recul de la politique et le retrait de l’intellectuel. «Il y a aussi le phénomène de l’oligarchie qui se détourne de la politique. Le capital a tout dominé et n’a plus besoin du rôle de l’intellectuel, remplacé par celui de l’expert.», a-t-il fait savoir.

Cependant, l’intellectuel, poursuit-il, pose davantage de questions qu’il n’apporte de réponses. Il a également souligné que nous vivons une mondialisation des questions politiques, accompagnée d’un vide intellectuel. «Ce vide conduira à un moment populiste. Nous ne sommes pas à l’écart de ce qui se passe dans le monde, c’est un phénomène universel», a-t-il indiqué, précisant que l’intellectuel est le fils de son temps et de son lieu, influencé par le contexte dans lequel il vit.

Hassan Aourid a appelé à la nécessité d’analyser la situation au Maroc. Pour ce faire, il faudrait, selon ses dires, des éléments capables de poser des questions pertinentes et de développer une capacité critique pour former une conscience collective.

Nourredine El Hachami Oudghiri :

«Les idées de l’intellectuel doivent être une source d’inspiration pour les politiques publiques »

Nourredine El Hachami Oudghiri, expert en matière de sauvegarde sociale et environnementale, a insisté sur l’importance d’unifier le vocabulaire pour que le débat repose sur des significations communes, car les concepts sont souvent piégés. Selon lui, il existe une ambiguïté dans la définition de l’intellectuel, tout en précisant que ce dernier se distingue principalement par son activité intellectuelle, même s’il est spécialisé dans un domaine. L’intellectuel, a-t-il affirmé, possède une vision globale qui éclaire le chemin vers l’avenir.

Pour l’intervenant, l’intellectuel doit suivre de près le contexte local et mondial, ainsi que les grandes transformations que traversent les sociétés, en particulier l’évolution des valeurs. Il doit également se tenir au courant des avancées de la connaissance, qui évolue constamment, et développer les mécanismes avec lesquels il travaille.

«Les idées de l’intellectuel doivent être une source d’inspiration pour les politiques publiques. Aujourd’hui, il n’y a pas d’intersection entre ce que produit l’intellectuel et ce qui est formulé dans les politiques publiques », a-t-il souligné.

En outre, l’intellectuel partisan, estime l’auteur de l’ouvrage « Quo Vadis ? Essais sur le devenir collectif », doit jouer son rôle et s’impliquer activement dans les partis politiques.

Donner un sens et insuffler un rêve…

Sur cette même question de la relation entre l’intellectuel et le politique, Hassan Aourid a estimé que le politique gère l’immédiat, tandis que l’intellectuel évolue dans un temps non immédiat. Pourtant, l’intellectuel doit allumer « la mèche de l’action politique », a-t-il précisé.

«L’intellectuel doit suivre ce qui se passe avec des outils scientifiques et s’engager dans les grandes questions qui concernent principalement les problèmes de la société marocaine, tels que la famille, l’éducation…, etc., et contribuer, de sa position, à leur compréhension. Il doit également donner un sens et insuffler un rêve.», a-t-il affirmé.

Toutefois, l’intervenant a alerté sur le danger du populisme, tout en invitant, en contrepartie, l’intellectuel à réveiller la pertinence de la politique. «L’intellectuel doit comprendre le monde par la science et la raison. Il doit être engagé, défenseur de la justice et de la vérité, et porteur d’une vision globale afin de réintroduire l’action politique pour éviter les courants populistes», a-t-il conclu.

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