Rencontre débat du GPPS sur le Code pénal

Pour une réforme en phase avec les mutations sociales

Tous les intervenants au cours de la rencontre organisée mardi par le Groupement parlementaire du Progrès et du socialisme à la Chambre des représentants sous le thème : «le Code pénal et les exigences de modernisation de la société» ont souligné la nécessité de réviser les dispositions du code pénal et de celui de la procédure pénal pour en assurer la conformité  et les harmonier avec la Constitution de 2011 et les conventions internationales ratifiées par le Royaume. Et ce dans le but de disposer d’un Code pénal en mesure de répondre aux besoins du Maroc de la modernité, de la justice sociale et de la démocratie et en phase avec les transformations qu’il connait, à l’heure de la société du savoir et de l’information, de la technologie, de la mondialisation et des réseaux sociaux. Au cours de cette rencontre, dont la modération a été assurée par la présidente du GPPS, Aicha Lablak tous les intervenants programmés ou non, y compris le représentant du ministère de la justice ont reconnu l’urgence pour le pays de se doter d’un nouvel arsenal juridique en la matière destiné à aider le pays à aller de l’avant dans les réformes qu’il réalise dans tous les domaines.

M’Barek Tafsi

Nabil Benabdallah : Parvenir à un projet consensuel à travers un dialogue serein et constructif

D’entrée, le Secrétaire général du parti du progrès et du socialisme a appelé à une refonte globale de l’ensemble pénal (code, procédure et philosophie), compte tenu de l’importance des changements que la société à connues et connait tous les jours. Le Maroc des années 60 n’a rien à voir avec le Maroc d’aujourd’hui et de  demain, a-t-il rappelé.

Il a toutefois estimé nécessaire de procéder de manière collective, sereine et modérée, loin de toute surenchère politique ou autre blocage au sein de la Majorité ou de l’Opposition pour parvenir un consensus entre toutes les forces vives du pays au sujet des modifications à apporter à l’actuel code pénal, dont l’importance le place directement après la Constitution du pays en ce qui concerne l’organisation et l’encadrement de la société.

Pour ce qui le concerne, le PPS s’est engagé dès le début dans cette action visant à la refonte et à la mise à niveau de ces textes en prenant part aux débats et efforts  déployés depuis 2015 par le gouvernement, qui ont abouti à l’élaboration du projet de loi 10.16, qui semble avoir occulté un ensemble de questions sociétales d’une grande importance dont les libertés individuelles et collectives en se limitant à d’autres : avortement, peine capitale, enrichissement illicite, crimes contre l’humanité et génocide. Ce qui risque d’approfondir les divergences et d’aboutir à un nouveau report qui s’ajouterait à ceux déjà enregistrés.

Tout en rendant hommage au GPPS pour avoir initié ce débat, il a appelé à davantage de concertation et d’échange pour parvenir à la meilleure formule possible de révision, tout en soulignant la pertinence des propositions du Conseil national des droits de l’homme. C’est pourquoi le PPS soutient le mémorandum du CNDH, a-t-il expliqué.

Aicha Lablak:  l’actuel code pénal est archaïque

A l’ouverture de cette rencontre en présence des membres du GPPS, des parlementaires du parti et des groupes parlementaires (PAM, ISTIQLAL, PJD, MP, UC),  d’associations de défense des droits humains et d’autres organisations de la société civile, la présidente Aicha Lablak a souligné la portée du thème débattu à un moment où l’examen du projet de loi 10.16 est très avancé. C’est ainsi que tous les groupes et le groupement ont été invités à déposer leurs projets d’amendements au plus tard, vendredi 29 novembre, a-t-elle dit, tout en insistant encore une fois sur la nécessité d’actualiser les dispositions obsolètes de l’actuel  code pénal.

Elle a également mis l’accent sur la nécessité de procéder à une révision globale au lieu de se contenter de la sélection d’un certain nombre de dispositions du texte, a-t-elle affirmé.

C’est ce qui été longuement explicité dans la plateforme du débat de cette rencontre, élaborée par le GPPS et dont lecture a été donnée par Fatima Zahra Barassat, membre du groupement du PPS.

Pour une refonte globale

Tout en soulignant l’importance des amendements et modifications du texte initial de 1953, qui visaient surtout à répondre à des besoins conjoncturels limités dans le temps et au contexte, le document du GPPS présenté rappelle que toutes les modifications apportées n’ont jamais touché le fond de la politique pénale.

Il estime que l’examen du projet de loi 10.16 portant amendement et complétant le code pénal est un moment crucial dans le but de rechercher le moyen de sortir de l’engrenage des reports répétés de l’examen de ce texte dans le cadre de la gestion du temps législatif et de mettre fin à l’approche fragmentaire poursuivie par le gouvernement dans le traitement de la problématique.

Cette manière de légiférer au détail ne peut en aucun aboutir à une révision globale du texte à même de répondre aux profondes mutations que connait le phénomène de la criminalité au niveau national et international, explique la plateforme. Elle n’est pas aussi en mesure de parvenir à harmoniser le texte avec les dispositions de la Constitution de 2011, les engagements internationaux du Maroc en matière des droits de l’homme, les recommandations de la charte nationale au sujet du système de la justice et de l’Instance de l’équité et de la réconciliation ainsi que celles du CNDH.

En dépit de son importance, le projet de loi 10.16 ne répond pas au débat public en cours concernant notamment les libertés individuelles, note le document, qui appelle à une révision globale du groupe du droit pénal. La refonte attendue doit tenir compte des droits humains et consacrer les droits individuels et personnels.

Le document insiste aussi sur la nécessité de parvenir à un code devant servir comme instrument de lutte contre la prévarication et l’enrichissement illicite et de promotion de la moralisation de la vie publique à travers la mise en œuvre du principe de la corrélation de la responsabilité et de la reddition des comptes.

Il est également nécessaire d’en faire un instrument de protection des catégories vulnérables contre toutes les formes de discrimination, de haine, d’exploitation, de harcèlement sexuel et de viols (femmes, filles, enfants) sans passer sous silence diverses autres questions relatives aux rapports sexuels consentis entre adultes et les crimes cultuels et religieux.

Il importe aussi d’approfondir la réflexion sur les peines alternatives proposées tout en procédant à l’abolition pure et simple de la peine capitale, indique le document, qui rappelle que dans le cadre du traitement de la question de l’avortement clandestin, la priorité doit être accordé à la santé de la mère qui doit être protégée.

Dr. Ayoub Jaafar du ministère de la Justice : une nouvelle livraison en cours de finition

Prenant la parole au nom du ministère de la justice, Dr Ayoub Jaafar a indiqué que le droit régule la vie sociale. C’est le cas aussi du code pénal dont les dispositions visent à la protection des libertés et des intérêts individuels et qui définissent ce qui est permis et interdit dans la société.

Il s’est également arrêté sur l’évolution du code pénal marocain, précisant qu’il était l’œuvre du Makhzen avant le protectorat, qui avait imposé au pays diverses politiques punitives. Et c’est en 1953 que les jalons du code pénal ont été jetés, lequel a été adopté en 1962.

Depuis lors, il a fait l’objet d’une série de modifications et d’amendements sans jamais connaitre une révision globale, a-t-il dit, soulignant que les modifications proposées dans le cadre du projet de loi 10.16 portent sur quelque 600 articles et qu’une nouvelle tranche proposant 36 mesures est en cours de finition au sein du ministère de la justice avant sa livraison au parlement.

Selon lui, les amendements et modifications proposés ont pour but d’harmoniser l’ensemble pénal avec les engagements internationaux et les dispositions de la constitution de 2011. Le projet en question fait partie d’un ensemble de projets de lois soumis dans ce cadre par le gouvernement au parlement pour les harmoniser avec la nouvelle situation, a-t-il relevé.

Mustapha Naoui du CNDH : dépasser les considérations sécuritaires des années 60

Présentant le mémorandum complémentaire du Conseil des droits de l’homme, Pr Mustapha Naoui a d’emblée fait savoir que le  texte du code pénal en vigueur date de 1962. Il a été élaboré et adopté dans le but précis de punir sévèrement toutes les actions portant atteinte à l’ordre public. C’est pourquoi il est dominé par des considérations d’ordre sécuritaire, alors qu’en principe un code pénal doit avoir pour finalité d’organiser la liberté et en définir les limites et les contours à l’instar de la loi suprême du pays qu’est la Constitution.

Selon ses rédacteurs, il devait servir à aider l’Etat à réaffirmer son autorité sur l’ensemble du territoire national en incriminant nombre d’actes et de faits incriminables car ne portant préjudice à personne. C’est le cas des personnes qui consomment de la drogue et qui ont besoin plutôt d’un traitement médical au lieu d’être poursuivies. Elles se font du mal mais ne porte préjudice à personne, a-t-il dit. C’est le cas aussi des rapports sexuels consentis entre adultes.

Sans aller au fond des choses, les modifications proposées dans l’actuel projet de loi 10.62 restent insuffisantes pour doter le pays d’un code moderne en mesure de répondre aux mutations que la société connait, a-t-il estimé, affirmant que le Maroc de 1962 n’a rien à voir avec celui de 2019. Le Maroc d’aujourd’hui est tenu de respecter ses engagements internationaux en matière des droits humains et d’implémenter de manière saine les dispositions de sa Constitution de 2011.

Il s’est ensuite arrêté sur un ensemble de dispositions vagues et imprécises dans l’ancien texte et qui sont reconduites dans la réforme proposée comme les crimes portant atteinte à la sécurité de l’Etat, le droit à la vie, les crimes relatifs à déstabiliser la loyauté des citoyens envers l’Etat, les disparitions forcées, les dérapages lors des manifestations sur la voie publique, etc…

Il a également estimé qu’il est temps pour la société de se libérer de sa schizophrénie en cessant d’incriminer des pratiques auxquelles on s’adonne « en cachette » comme les rapports sexuels consentis entre adultes.

Karim Naït Lhou : le projet 10.16 propose une réforme fragmentaire insuffisante

 Prenant la parole, Me Karim Nait Lhou, défenseur des droits de l’homme et membre du Bureau politique du PPS a mis en évidence la déconnexion de l’ensemble pénal en vigueur de la nouvelle réalité sociale, marquée par l’apparition de nouveaux crimes relatifs notamment à la dilapidation des deniers publics, à leur détournement, à la corruption ou encore à l’enrichissement illicite. C’est pourquoi, le PPS appuie fortement les propositions contenues dans le mémorandum complémentaire du CNDH car le Maroc d’aujourd’hui diffère de celui de 1962.

Commentant le projet de loi 10.16, il a fait remarquer qu’il s’inscrit dans le cadre des réformes fragmentaires qui n’osent pas s’attaquer au fond du problème. Il maintient la peine de mort, alors que son abolition est de plus en plus réclamée dans la société.

Il a toutefois le mérite de prévoir des peines alternatives, mais leur mise en application risque d’ouvrir la porte à ceux qui détiennent le pouvoir d’argent pour s’acheter leur liberté en cas de condamnation.

Mais ce qui est incompréhensible c’est que le texte proposé reconduit l’incrimination de cas incriminables comme le fait d’être un sans domicile. Tout sans domicile encourt une peine d’emprisonnement d’un mois, comme s’il s’agit d’un acte volontaire délibéré de la part de son auteur, alors que c’est le résultat de sa situation de pauvre.

Assid : rester à l’écoute de la société

Plusieurs autres représentants d’organisations de la société civile sont intervenus pour réclamer un nouveau Code pénal moderne, répondant aux exigences de la société marocaine dont les attentes et les aspirations à davantage de libertés individuelles et collectives deviennent chaque jour plus pressantes.

C’est le cas du Dr Ahmed Hammoumi, de l’association Beït Al Hikma, du Dr Samira Bouahya de l’association «Coalition du printemps de la dignité» ou de Ahmed Assid du Mouvement «Conscience».

Pour ces derniers et en particulier pour Ahmed Assid, il ne faut pas sous estimer les revendications des populations et en particulier des jeunes qui réclament davantage de libertés individuelles et de respect des droits humains.

Selon lui, le Code pénal de 1962 tel qu’il a modifié et complété depuis est marqué par trois contradictions.   Dans le contexte de 1962, la femme était considérée comme un sujet à part. Un ensemble de Foukaha avaient même proposé à feu S.M Mohammed V d’interdire aux femmes de fréquenter l’école à l’époque.

Mais depuis lors, la situation de la femme a été révolutionnée et on a quand même préféré garder le même Code pénal de 1962, a-t-il dit.

Sociologiquement parlant, a-t-il ajouté, les comportements effectifs des gens contredisent les textes. Nombreux sont ceux qui prêchent la bonne parole et la morale, alors qu’ils s’adonnent à des actes qui contredisent leurs discours.

Le code en vigueur est également en contradiction avec la Constitution de 2011. Ce qui donne l’impression d’avoir adopté cette constitution  pour améliorer l’image du pays à l’étranger, alors qu’on maintient le même Code pénal de 1962 pour maitriser la situation à l’intérieur, a-t-il noté.

Il a indiqué de même que le code en question est également en contradiction avec les progrès scientifiques en refusant d’utiliser l’ADN comme preuve ou en incriminant la nature homosexuelle d’une personne, dont la définition scientifique doit être prise en compte par tous.

Le code en question contredit aussi la disposition constitutionnelle relative à la liberté de croyance et des minorités religieuses, a-t-il ajouté, soulignant la nécessité pour le législateur d’œuvrer pour garantir à tous la liberté individuelle contre les abus des conservateurs.

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